Corneille : Oiseau de bonheur
Musique

Corneille : Oiseau de bonheur

L’élégant Corneille nous entraîne dans un vol au-dessus d’une vie de star pour aller se percher sur son deuxième album de soul métissée, Les Marchands de rêves.

Il y a quelques années, un producteur lui avait laissé entendre qu’il n’y avait pas de place pour quelqu’un comme lui, "comme lui" dans le sens de "Noir", dans le paysage musical franco-québécois. Un million de succès plus tard, au dernier Gala de l’ADISQ, on l’a vu "déteindre" sur l’une des icônes de ce même paysage musical franco-québécois (petit rappel des faits: en faisant la bise à Isabelle Boulay lors de la remise d’un Félix, Corneille lui a légué une partie de son fond de teint). "Un ami m’a fait la blague: t’as gagné des prix l’année passée, ce que tu voulais répéter en partageant ta couleur avec d’autres", nous dit, au bout du fil, un Corneille amusé. Plus sage, il ajoutera: "On pouvait y trouver autant de clins d’œil, autant d’interprétations qu’on voulait."

On peut aussi trouver que ces "show-bizarreries" sont bien futiles, opposées aux horreurs qu’il a vécues en avril 1994. Rescapé (le seul de sa famille proche) du génocide interethnique rwandais, le jeune homme est aujourd’hui bien établi dans un Occident où il marie à merveille grande humanité et goût du chic, des valeurs qui ne vont pas toujours bien ensemble.

"C’est important pour moi de rester moi-même, et d’assumer toutes mes contradictions… J’aurais pu être tenté de vouloir afficher une image qui va beaucoup plus avec le message que je véhicule, c’est-à-dire le message humain, me défaire en public de tout ce qui pourrait être vu comme superficiel ou artificiel, mais ça n’aurait pas été moi. J’aime les beaux vêtements, c’est un truc que je tiens de mon père, que j’ai hérité de lui, ça fait partie de ma personne. Je préfère être critiqué sur la personne que je suis, parce que c’est ce que je montre, plutôt que de devoir me battre à chaque fois, à contre-courant, pour essayer de sauver une image qui ne me correspond pas."

Sur la pièce Rêves de star, tirée de son premier opus, Parce qu’on vient de loin, Corneille "sue beaucoup plus pour porter la torche / Et beaucoup moins pour frimer dans (s)a prochaine Porsche". S’il n’avait pas encore fait l’acquisition de la bagnole de ses rêves à l’époque, lors de l’écriture de son deuxième album, Les Marchands de rêves, qui vient de paraître, il en possédait tout bonnement une, et voilà ce que ça donne: "J’avoue, je suis plutôt choyé, mais l’autre jour y’en a une qui m’a crié / "Vends ta Porsche et rentre chez toi aider les tiens / avec tout le fric que t’as" (Toujours le même).

"Je pense que dans le premier album, oui, j’évoquais des vœux, des souhaits, un peu naïvement. Dans le deuxième, certains de ces vœux ont été réalisés. Et dans ce cas-ci (le cas de la Porsche), j’en reparle non pas pour annoncer que je suis content d’y être arrivé, mais plutôt pour dire que ça vient souvent avec des petits changements qui ne sont pas toujours agréables, comme le regard des autres sur moi, par exemple."

L’incident autobiographique aura tôt fait de nous ramener aux considérations artistiques. "Je pense que l’élégance ou l’esthétique, c’est peut-être un souci que j’ai, peut-être même que c’est inconscient… et qu’en musique aussi, j’essaie de raffiner les choses, mais j’apprends avec le temps à découvrir la beauté du cru, du rough, du moins poli, et ça me plaît beaucoup. D’ailleurs, sur le deuxième album, je me suis laissé aller dans cette direction. J’aurais pu peaufiner davantage, mais j’ai plutôt préservé une dimension "naturelle", plus spontanée."

Mais il ne faut pas se leurrer, Les Marchands de rêves n’est pas un disque de gros rock R&B distorsionné, il ressemble plutôt à l’ode assez acoustique d’un Corneille qui, après avoir revécu, est maintenant bien né, né de ses chansons-vœux, devenu celui que la vie souhaitait qu’il devienne. Sa voix, à l’avant plus que jamais, entraîne dans son sillage une musique soul qui, plus organique, moins Frenchy lounge que ce qu’on a connu, se métamorphose discrètement en reggae, bossa-nova, comme si tous ces beats s’appartenaient – et c’est probablement le cas. Le tout pour des paroles vraies, justes et ajustées, dont la candeur est poème. "Quand j’ai commencé à écrire en français, je me suis automatiquement tourné vers des gens comme Brel ou Alain Souchon, qui avaient trouvé le juste milieu parfait entre le français parlé… et le français des littéraires", nous dit celui qui rêve de faire un jour un grand spectacle au stade de Kigali, où il allait voir ses idoles jouer au foot.

Corneille
Les Marchands de rêves
DEJA Musique