Dandy Warhols : Petite leçon de dandysme
Musique

Dandy Warhols : Petite leçon de dandysme

Les Dandy Warhols lançaient cet automne un album mitonné dans un nouveau studio comme une bulle en dehors du monde. Rencontre avec le dandy en chef et frontman de la formation, le sulfureux Courtney Taylor-Taylor.

D’abord le nom, formidable petite entorse verbale qu’on aime bien, et qui en révèle déjà beaucoup sur le groupe. Comme Andy, les Dandys abordent la pop et le vulgus avec panache, distinction et une assez haute opinion d’eux-mêmes. À l’autre bout du fil, Courtney Taylor-Taylor, frontman du quatuor et beau brumel glam somme toute plus sympathique que ce à quoi on s’attendait, peste contre la télévision, un classique, presque un passage obligé chez tout dandy moderne digne de ce nom: "Ça me déprime tellement de voir ce qu’on y présente, toutes ces opinions prédigérées pour les masses…" Alors on lui suggère de ne plus accorder d’attention à celle que Paul Banks (Interpol) surnomme, nauséeux, "the idiot box". "Ouais, je n’ai plus la télé depuis que j’ai quitté le giron familial, mais tu sais, en tournée, on passe beaucoup de temps dans les hôtels et il n’y a pas grand-chose à faire…"

Oisiveté relative, prétention à l’élégance et au bon ton, recherche de raffinement, sainte horreur du trivial: pas de doute, on a bel et bien affaire à un dandy qui connaît les codes du personnage. Après tout, c’est bien ce Courtney au nom de famille dédoublé (après qu’un intervieweur eut trébuché sur son patronyme) qui, sur une des photos du livret en accompagnement du dernier opus, dans les toilettes d’un petit endroit où l’on a recouvert les murs du cabinet de peluches roses, s’en allume une, vêtu d’un petit tailleur féminin écarlate, c’est-à-dire en jupe et en bas nylon, avec une sorte de nonchalance affectée. Sur cette image, le dandysme se détecte dans la superposition effrontée des rouges: vif et flamboyant pour le vêtement, empourpré pour les bottes aux genoux. Ça jure; il jubile.

À L’ABRI DU MONDE

C’est avec Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles en tête, et retiré dans son nouveau studio, que le quatuor a planché sur son dernier-né, Odditorium or Warlords of Mars, qui reçoit jusqu’à maintenant un accueil mitigé. "Comme pour chacun de nos albums, on a essayé de rendre par la musique l’état d’esprit dans lequel on se trouve. Depuis nos débuts en 1994, le noyau est le même, mais notre musique a évolué. L’Odditorium dont il est question dans le titre, c’est le nouvel espace où l’on se rend pour faire de la musique. Il s’agit d’un environnement magnifiquement inspirant, une ancienne manufacture qu’on a retapée pendant plusieurs mois. J’ai découvert qu’il est facile et agréable pour les humains de créer dans des espaces très vastes. Ce disque a quelque chose à voir avec l’espace, la lumière, c’est comme s’il y avait une trappe sur le dessus de votre tête et qu’elle restait ouverte… On a passé une année formidable à faire de la musique et à faire la fête. On enregistrait continuellement."

Certaines pièces sont longues, meurent dans d’interminables finales en forme de jam-sessions un peu erratiques… (agonisantes Love Is the New Feel Awful et A Loan Tonight). Qu’en pense le principal intéressé? "Notre intention, à la base, c’était de produire l’album qu’on voudrait que quelqu’un fasse mais que personne ne fait. Il faut bien que quelqu’un s’applique à faire de bons disques stoner qui soient un tant soit peu stimulants intellectuellement. Quand tu t’engages dans une direction et que tu vas aussi loin que tu peux à partir de ce filon, il arrive inévitablement ceci: les gens qui sont comme toi vont t’aimer, et les autres, ceux qui sont différents, détesteront. En faisant des albums qui reflètent exactement ce que nous sommes et où l’on en est, on s’assure de pouvoir se promener dans le monde et d’être toujours entouré de gens avec qui l’on sait qu’on va passer du bon temps et dont on appréciera la compagnie. C’est fantastique. On a amorcé cette tournée il y a une couple de mois et on rencontre des personnes adorables, drôles et brillantes, qui ont trouvé une façon d’être bien malgré tout, dans ce monde "fucké" où tout fout le camp. Je dirais que ce sont des cyniques positifs."

Cyniques positifs? "Oui, à l’image de ce qui nous a rapprochés, les autres membres du band et moi: un état dans lequel tu te sens outsider, marginal et un peu plus intelligent que les autres. On s’est rencontrés à Portland, on était tous très sensibles aux arts, en accord avec ce que nous sommes tout en étant plus ou moins bien dans notre peau. Notre sensibilité est un mélange de confiance, d’instabilité, de sens de l’émerveillement, de sexe aussi… Mais pas du sexe à la "oh baby, baby", non, quelque chose de plus vrai que ça. C’est une musique qui s’adresse aussi à l’intellect, mais certainement pas aux nerds par contre."

Cynique, ce Courtney Taylor-Taylor? "Non, plus maintenant. Au point où j’en suis, je ne m’en fais même plus avec ça. Je me vois plutôt comme un survivant." Et vous avez survécu à quoi? "À la crasse qui nous environne. Il y a tant de bonnes raisons de devenir amer et fâché. Pour rester heureux, il faut se démener pas mal, les gens sont si manipulateurs… il faut savoir rester droit. Bien sûr, on ne peut pas être heureux tout le temps, mais si on y arrive un peu plus que la moitié du temps, je considère qu’on s’en sort gagnant. Survivant aussi de la grossièreté. Mon band vient de traverser 10 années marquées au fer rouge par Blink 182, Kid Rock, etc., un vrai cauchemar, l’insulte. Non mais Kid Rock, come on! Les Spice Girls, les Backstreet Boys! Le monde devient fou ou quoi?"

LA VÉRITÉ SI JE MENS

Taylor-Taylor, en bon dandy, souhaite braver la mode et les tendances, se plaît à dire que les albums des Dandy Warhols sont toujours deux ans en avance sur leur temps, ce qui fait, selon lui, que leurs disques ne sont jamais appréciés à leur juste valeur au moment de leur parution et que d’autres en profitent pour vampiriser leurs idées, s’enrichir sur leur dos. Ce qu’on en pense? Que depuis leurs débuts en 95 avec Dandys Rule, OK?, 13 Tales From Urban Bohemia, paru il y a cinq ans, est l’étoile scintillante de la discographie des Dandys et qu’ils ne sont pas arrivés à se surpasser depuis. Sur ces 13 histoires-là, le groupe originaire de Portland avait réussi un alliage délicat d’ambitions (élevées) et d’un côté irrésistible, avec pour résultat un album ravissant qui brille plus fort que les autres de ses rayons entrecroisés qui empruntent bien sûr au Velvet Underground, avec quelques petites lueurs shoegazers et des effets de pédales maîtrisés, un fond stoner et néo-psychédélique qui prenait encore plus que sur la récente galette et quelques avancées en terres "country-glam". "Je pense que les bands glam affectionnent le country. Moi, c’est une petite lubie que j’ai, c’est un style qui permet d’exprimer un état d’esprit qu’on ne peut pas amener avec d’autres genres musicaux", estime Courtney Taylor-Taylor.

Dans le genre, cet automne, les Warlocks ont fait beaucoup mieux avec le sombre et écorché Surgery. Sans parler du prolifique Brian Jonestown Massacre (BJM), qui lançait cet été une jouissive compil intitulée Tepid Peppermint Wonderland: A Retrospective ainsi qu’un mini-album, We Are the Radio.

À la tête du BJM, le fou furieux et ingénieux Anton Newcombe, que l’on voit évoluer en parallèle avec les Dandy Warhols dans Dig!, un rockumentaire signé Ondy Timoner paru l’an dernier, où l’on assiste à la relation d’amour/haine qui unit Newcombe et Taylor-Taylor. Le premier nous est présenté comme un génie incompris, junkie dolent et batailleur, tandis que les Dandys, que l’on voit signer avec une major, apparaissent comme le band un peu moins coriace, qui finit par se compromettre. Aujourd’hui, ces deux figures au charisme caractériel s’entendent comme larrons en foire, surtout quand vient le temps de taper sur la réalisatrice. "Ondi Timoner est une mauvaise et laide personne", aboyait Newcombe dans une entrevue débile qu’il avait accordée à Voir cet été, lors de son passage au El Salon en juillet. Plus loquace, Courtney renchérit: "Ce film est basé sur onze mois dans la vie d’Anton et sur sept années de la nôtre. On ne nous y voit jamais en train de composer de la musique, tout ce qu’on nous voit faire, c’est haïr notre label et prendre de la dope. Et ce film laisse croire que tout ce qu’Anton sait faire, c’est se battre. Mais au moins, lui, de temps en temps, on le voit faire de la musique… Quand je me dis que les gens prennent ce film pour un documentaire, je me sens insulté. C’est une "œuvre" qui n’a rien à voir avec ce qu’est la vie d’un artiste, qui ne montre absolument rien de beau et qui insiste beaucoup sur la petitesse et la méchanceté. Anton et moi, on a été cons de ne pas plus s’en mêler au moment du montage."

Mais il y a cette scène où l’on voit très clairement l’amertume naître dans les yeux de notre dandy préféré, soudainement beaucoup moins arrogant, après une discussion tendue avec les bonzes de son label qui réclament un hit. Regrette-t-il parfois d’avoir signé avec un gros label, contrairement au BJM? "Non… Les majors te disent quoi faire si tu leur dis que tu sais pas où aller, sinon, tu fais tes affaires dans ton coin, tu leur présentes ça ensuite et ça va." Pas de doute, les Dandys font la loi, O.K.?

Le 2 décembre
Avec The Out Crowd
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