Jérôme Minière : Voyageur immobile
Jérôme Minière s’est fait plaisir. Après l’aventureux et métissé Chez Herri Kopter et deux performances au Grand Théâtre de Québec, il se paie le luxe d’un double album en concert rempli à craquer d’extras. Rencontre.
De retour d’une escale à Berlin et à Cologne où il s’est payé un chouette jam dans une station de radio en compagnie de Françoiz Breut et Mathieu Boogaerts, c’est avec le sourire aux lèvres que Jérôme Minière se pointe dans un petit local de sa maison de disques. Promenant le regard entre son interlocuteur, le plancher et le plafond, hésitant, cherchant ses mots, trébuchant parfois sur ceux-ci, il se fait pourtant lumineux et volubile.
Dès les premiers instants, les aveux. "Depuis longtemps, je désirais présenter un spectacle, une création qui me ressemble." Il se réfugie alors au Grand Théâtre de Québec l’été dernier, la tête remplie d’espoir (et d’idées inusitées), se déniche un solide noyau de musiciens (en plus d’une généreuse poignée d’invités dont René Lussier et Patrick Watson) et remporte le prestigieux prix Miroir du dernier Festival d’été de Québec. "Tu sais, ce spectacle est un aboutissement dont je suis pas mal fier. On s’est dit, dans la foulée, qu’on aimerait documenter le tout. Plusieurs prestations avaient été enregistrées depuis le début de l’année mais avec les conditions idéales de la salle, on devait aussi capter celle-ci", raconte le Montréalais d’adoption.
Mais pour cet ex-étudiant en cinéma, produire une galette en concert relevait du défi et comportait sa part de risques. "La musique live, c’est comme du théâtre et un disque studio, c’est comme du cinéma. Et il est vrai que le théâtre filmé n’est pas toujours très bon! Le live, ça m’intriguait, mais surtout en jazz. Je sais que beaucoup de gens affectionnent les bootlegs, mais moi, ça me rappelle surtout des souvenirs d’adolescence alors que je me promenais avec des cassettes de The Cure sous le manteau!" rigole-t-il. Du haut de ses 33 ans (qu’il ne fait pas), le musicien considère qu’après cinq albums studio, il était pertinent de faire paraître ce document d’archives. "Capter un moment isolé dans le temps avec toutes les limites que ça peut impliquer. Voilà ce qu’on voulait faire. Précisons que les arrangements sont différents et que je ne chante pas non plus comme sur les versions connues. Sur scène, l’émotion qui naît du plaisir que j’éprouve à me retrouver face aux gens fait en sorte que je n’ai pas du tout la même voix qu’en studio."
Au Grand Théâtre se veut plus qu’un simple souvenir dédié aux inconditionnels ou une compil de "plus grands succès." En plus de contenir une impressionnante quantité d’extras sur la portion DVD (court métrage, clip, vidéos), les pièces retenues y retracent le parcours entier de la carrière de Minière, avec ou sans Herri Kopter (son alter ego devenu depuis sa compagnie de production). On a même droit à quelques extraits de ses deux premiers albums (Monde pour n’importe qui et La nuit éclaire le jour qui suit, aujourd’hui pratiquement introuvables) et à une relecture toute personnelle d’Il pleut, classique de Brigitte Fontaine. "J’adore son travail. Disons que je suis peut-être vieux jeu mais j’aime surtout ce qu’elle a produit au cours des années 70. C’était naturel de faire cette chanson."
Un hiver chargé attend notre "petit cosmonaute" qui, en plus de bosser à la réalisation de l’album d’un partenaire d’étiquette, se mettra au boulot sur de nouvelles chansons en vue d’un prochain opus solo qui pourrait voir le jour d’ici un an. Et les shows dans tout ça? "Avec un bébé de six mois, je ne sors que lorsque je dois faire un spectacle et ce n’est pas parce qu’il n’y a rien d’intéressant! Je sais qu’il y a des gens qui sont prêts à jouer sur scène 365 jours par année, mais moi, j’ai besoin de me reposer, de me rendre à mon atelier et de travailler sur de la musique à tous les jours. Comme un fonctionnaire dans son bureau. Aujourd’hui, je m’attarde davantage à la mélodie, je retourne à la base même de la composition. C’est agréable de donner aux gens l’impression de voyager."
Un prochain album sans Herri Kopter, est-ce que cela signifie la fin du mystérieux laankais? "Je ne pense pas mais c’est toujours compliqué avec lui. Il est dur à rejoindre et je ne sais jamais où il va m’amener, ce drôle de bonhomme."
Jérôme Minière
Au Grand Théâtre
(La Tribu)