50 Cent : Une main de fer dans un gant de cuir
50 Cent a la bosse du rap et des affaires. Son étiquette G-Unit, dont toutes les parutions sont certifiées platine, lançait une ligne de vêtements dont les recettes en 2004 dépassent le cap des 50 millions de dollars. Tête-à-tête avec le bad boy de la bonne business.
Sans doute échaudé par la controverse entourant sa venue chez nous (voir encadré), le protégé d’Eminem, véritable Midas du rap, a choisi d’annuler toutes les entrevues fixées avec les médias canadiens dans une volte-face de dernière minute dont on ne sait si elle émane de 50 Cent lui-même ou de son entourage.
Nous avions cependant rencontré celui qui a bien failli laisser sa peau sur le chemin de la gloire et de la richesse au moment où il faisait paraître son second album, The Massacre. Rencontre avec un homme étonnamment souriant, et dont la lucidité, si elle n’induit pas nécessairement l’admiration, impose à tout le moins le respect.
Dirais-tu que tu es d’abord un businessman, puis un artiste?
"Absolument, et je l’avoue sans gêne. Les premiers mots prononcés sur Get Rich or Die Tryin’ sont "G-Unit! We here!" Ils dépeignent l’intention de fonder mon propre groupe d’artistes, mon propre label, dès le départ. Je suis sans doute plus doué côté business, vu mon passé criminel."
Chaque fois qu’on se rencontre, tu es tout sourire! Tu n’as rien de l’image du gangster menaçant que montrent les photos des magazines ou de ta pochette d’album.
"Ce gars-là (pointant du doigt une photo en frontispice du magazine XXL, où le rappeur, vêtu d’un complet-cravate, brandit un AK-47), je le sors seulement quand ça va mal! J’ai dû développer deux personnalités en grandissant: d’une part, un côté très agressif, nécessaire pour me défendre, survivre dans mon quartier, d’autre part, à la maison, je devais être le petit-fils, le bébé de ma grand-mère qui m’a élevé. Je me promène donc entre ces deux extrêmes. Mais je suis conscient que le sourire désamorce beaucoup de gens! Ça met les gens à l’aise, ça facilite la communication. Si j’arrivais avec ma face de gangster tous les jours, je ferais peur à tout le monde, et je crois que je me mettrais beaucoup de gens à dos."
Tu parles de ta grand-mère. Quelle est sa réaction à ta musique? Lorsqu’elle voit une de tes vidéos, voit-elle 50 Cent ou son petit-fils Curtis Jackson?
"Elle voit Curtis, c’est clair! Mais elle réalise que j’ai pris tout ce qu’il y avait de négatif dans ma vie pour en faire du positif. Je suis qui je suis. Je n’ai jamais eu à remplir une demande d’emploi, je n’ai jamais connu autre chose que la rue ou le rap. Je dois donc me servir de ce que je connais pour créer. Les fans sentent que c’est vécu. Mais au bout du compte, ma famille, mes fans et moi sommes conscients que c’est grâce à mon talent de rappeur – et non parce que j’ai pris neuf balles à la poitrine et au visage – que j’ai du succès. Je n’essaie pas de glorifier un environnement violent, je tente de dépeindre une situation."
En écoutant le duo avec Eminem qui apparaît sur ton album, Gatman and Robbin, on sent bien que votre relation dépasse les bornes musicales ou professionnelles.
"Eminem est responsable de mon succès. Point final. C’est lui qui m’a entendu, pour ensuite amener mon démo à Dr Dre. Lors de notre première rencontre, il était tellement excité que ça m’a rendu mal à l’aise! J’étais très nerveux à l’idée de le rencontrer, et il m’a tout de suite fait sentir que le privilégié, c’était lui. Il était prêt à tout pour me convaincre de signer avec son étiquette, Shady Records. C’était radicalement différent de toutes les autres rencontres très "corpo" que j’avais eues auparavant avec des dirigeants de l’industrie. Et depuis, on se parle aux deux, trois jours."
Compte tenu de ses nombreux démêlés avec la justice, lui arrive-t-il de te faire la morale, de te suggérer de ne pas faire certains trucs, pour que tu ne répètes pas les mêmes erreurs que lui?
"Souvent. Eminem est idéaliste. Il voudrait qu’il y ait moins de tensions, moins de guerres entre les clans hip-hop. J’ai la mèche courte, et lorsque quelqu’un s’attaque à moi en musique, je veux y répondre, indépendamment des conséquences que ces batailles, ces rivalités peuvent engendrer. Eminem voudrait que ça se passe autrement. Il voudrait qu’on s’entende tous, qu’il n’y ait pas de beefs, qu’on concentre nos efforts à composer des hits. Sur mon premier album, mes querelles ont presque pris le dessus sur ma musique, et j’ai passé plus de temps à parler de ma rivalité avec Ja Rule qu’à composer des succès. Et Eminem me répète sans cesse que ce sont des chansons comme In Da Club qui font vendre des albums, pas des pièces hard core qui parlent de rivalités."
Pourquoi, donc, perpétuer cette guerre de clans et cette violence en y faisant référence à plusieurs reprises sur The Massacre?
"Parce que même lorsqu’on essaie de laisser tomber, comme lorsque Eminem a sorti Toy Soldiers, on continue de nous attaquer. Eminem a la sagesse de ne pas vouloir riposter, moi non. Si tu fesses sur moi, je fesse sur toi." (A-M Withenshaw)
PARFUM DE SCANDALE… POLITIQUE
En 2005, la ville de Toronto a connu une année sans précédent sur le plan des homicides impliquant des armes à feu: 49 meurtres sur 70 y ont été commis par balle. Flairant l’occasion – fortement médiatisée – de dénoncer publiquement cette escalade de la violence, le député libéral torontois Dan McTeague a donc demandé au ministre de l’Immigration, Joe Volpe, d’empêcher l’entrée au Canada du rappeur américain 50 Cent. Curtis Jackson, de son vrai nom, fait la promotion des armes à feu, selon le député.
Pour mettre cette requête en contexte, il faut rappeler que 50 Cent a, dans un premier temps, donné un concert en marge duquel a eu lieu une fusillade au Canada Day à Toronto, en 2003. D’autre part, l’artiste a un dossier criminel et doit obtenir un permis spécial pour entrer au pays, même si ces permis sont émis fréquemment. "Il y a des limites et des restrictions à la liberté d’expression, particulièrement s’il y a incitation à la haine ou s’il en résulte des meurtres dans notre cité", a déclaré le député, de toute évidence en mode pré-électoral. De son côté, le premier ministre ontarien, Dalton McGuinty, juge qu’on ne peut faire porter le fardeau de la violence urbaine aux rappeurs tels que 50 cent, même si les critiques ont souvent dénoncé les textes de Jackson pour l’apologie qu’il y fait des drogues et des armes à feu, tout en faisant fi des répercussions sociales. Selon le premier ministre, la violence est un phénomène bien plus complexe.
Pour la petite histoire des récents déboires du rap américain en sol canadien, on se rappellera qu’il y a quelques années, les députés ontariens avaient, encore en vain, fait une première levée de boucliers en vue de la tournée nationale d’Eminem en 2000, prétextant que ses textes encourageaient la violence faite aux femmes. Puis en 2003, DMX fut détenu puis refoulé des frontières canadiennes en raison de son casier judiciaire, le forçant à annuler deux spectacles.
Mais "Fitty" semble carburer à la controverse. Son G-Unit a défrayé la manchette régulièrement depuis quelques mois, à la suite de conflits internes et d’un remaniement majeur: le départ de The Game, remplacé par Spider Loc, et finalement l’inclusion des membres de Mobb Deep et de M.O.P. dans le clan. L’été dernier à New York, des t-shirts avec l’inscription G-UNOT! ont fait leur apparition dans les vitrines. (R. Lafrance)
Le 21 décembre à 20 h
Avec G-Unit, Rihanna et Kardinal Offishal
Au Centre Corel