Gilles Bellemare : La musique d'une vie
Musique

Gilles Bellemare : La musique d’une vie

Impossible de dissocier le nom de Gilles Bellemare de l’histoire de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières. Impliqué dans la fondation de l’ensemble et chef attitré de 1978 à juin 2005, l’homme s’est vu décerner le titre de "Chef émérite" samedi dernier. Portrait d’un passionné.

Comme sa voiture sommeille chez le garagiste, le maestro me donne rendez-vous chez lui. Curieusement, j’aurais trouvé la maison même si j’avais égaré l’adresse. Car c’est l’unique résidence d’où s’échappe une douce mélodie. Sa femme, pianiste, répète dans le silence hivernal. Le chant de la sonnette met un terme à ce concert intime. Du coup, Gilles Bellemare quitte son studio de travail pour se retrouver au salon avec Toto, un schnauzer d’une dizaine d’années, sur les genoux. L’heure est maintenant au bilan…

INTRO POUR UN CHEF

On ne choisit pas toujours son destin. Dans le cas de Gilles Bellemare, la musique s’est imposée d’elle-même. Elle s’est glissée sournoisement dans son existence, ne lui laissant d’autre choix que celui de l’adopter. C’est donc avec l’idée simple de faire ce qu’il aime que le fils de réparateur de machines à coudre entreprend des études au Conservatoire de musique de Trois-Rivières en percussion, écriture musicale et composition.

Le temps passe. Habité par le désir constant de jouer, l’homme crée avec une bande de passionnés les bases de ce qui va devenir l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières. "On n’avait pas de vision, se souvient-il. On était des jeunes qui voulaient. On faisait des heures supplémentaires. On était étudiants au Conservatoire. On faisait des concerts par passion. Puis, tout d’un coup, c’est devenu l’Orchestre de Trois-Rivières. Puis, ça s’est développé, développé… Et c’est devenu une institution, c’est devenu un bon orchestre." Une croissance motivée par un goût de se surpasser. "On a eu la chance d’avoir des profs qui nous ont appris à se dépasser soi-même. Et en se dépassant soi-même, on va beaucoup plus loin qu’à essayer de dépasser les autres. Ça, c’est phénoménal!"

Rapidement, le vent pousse Gilles Bellemare à la tête de l’Orchestre. Il chausse alors les souliers du tout premier chef en 1978. Un délicieux hasard. "Moi, ma formation, c’est compositeur. Si on regarde mes diplômes officiels, je devrais être compositeur, pas chef d’orchestre!" admet-il. Sa jeune carrière comme enseignant au Séminaire se trouve à l’origine de cette nomination. "Le bonhomme qui s’occupait de la direction est parti aux études, à Paris. Alors, on s’est demandé ce qu’on allait faire. Moi, j’ai commencé à enseigner très tôt. J’avais un petit peu de contact avec le fait d’être devant des musiciens. Donc, j’y suis allé. Et je suis resté."

TRIOLET

De 1978 à 2005, Bellemare porte le costard de chef d’orchestre. Vingt-sept années pendant lesquelles il revêt aussi l’habit de pédagogue et de compositeur. "Le volume de concerts que l’Orchestre de Trois-Rivières me donnait était en fin de compte juste l’idéal pour être capable d’écrire aussi un peu. C’est le hasard qui a fait ça. Et même si j’ai vécu dans de grandes villes, la grande ville ne m’attire pas! Trois-Rivières m’a donné l’espace pour développer de grands projets." Sa triple personnalité professionnelle lui permet d’ailleurs de se réaliser pleinement: "Quand je dirigeais, je dirigeais des œuvres que j’aurais voulu écrire. Et quand j’écrivais, j’écrivais des œuvres que je me voyais diriger. La composition m’a aidé à devenir un bon chef et la direction d’orchestre m’a appris à devenir un bon compositeur. Ils sont rares, les compositeurs qui ont la chance d’être en contact continuel avec un instrument aussi complet qu’un orchestre."

Boursier, l’homme s’est perfectionné à Rome en tant que compositeur. Là, il a appris les rudiments de l’hyperstructuralisme, une forme louangeant une musique aride et sérieuse. Gilles Bellemare se sent plutôt mal à l’aise dans ce créneau où les émotions sont mises de côté. Avec les projets d’hommage (Leclerc, Brel, Piaf, Desjardins), il trouve enfin sa voie. Enrober la pop d’une saveur classique devient sa signature.

FIN DE LA MESURE

À la fin de l’année 2004, Gilles Bellemare décide de quitter l’OSTR. "Ça a été dur. On ne passe pas 27 années pour prendre une décision comme ça, dit-il en traçant rapidement une ligne invisible dans l’espace. Ça faisait quelques années, quelques saisons que j’y pensais. Il y a eu des éléments déclencheurs, c’est sûr. Mais quelque chose flottait. Il fallait que je réorganise ma relation avec la musique." Cette relation s’oriente aujourd’hui davantage vers la composition et l’édition. L’homme bosse entre autres sur la restauration d’une œuvre d’André Mathieu.

Et au lendemain de sa distinction honorifique, Gilles Bellemare a-t-il senti le besoin de faire un bilan? "On ne fait pas un bilan après 27 ans… On fait un bilan à 50 ans, je pense. Quand tu réalises que tu as mal dans le cou parce que tu regardes plus souvent en arrière qu’en avant, chose que tu n’avais jamais faite, ça, ça joue. Là, tu arrives à un niveau d’expérience et d’expertise qui est autre. Ce que tu fais, la reconnaissance des pairs partout au Canada – la musique est un milieu qui déborde les frontières -, tu mets tout ça en bout de ligne. Puis, tu te mets disponible à d’autres projets. Et ce que je trouve fantastique, c’est qu’à mon âge vénérable de 53 ans, je ne me dis pas que, dans deux ans, ça va être la préretraite. Non, j’amorce plein de projets", dit-il, les yeux brillants.