Luck Mervil : Lucky Luck
Musique

Luck Mervil : Lucky Luck

Heureux qui comme Luck a fait de beaux voyages, du cinéma engagé et, dans une langue étrangère, l’album qu’il voulait faire. Credo d’un patriote enflammé, capable de défendre plus d’un pays.

Il est huit heures du soir. Lorsqu’on joint Luck Mervil au bout de son cellulaire, celui-ci vient tout juste de s’attabler dans un resto du centre-ville pour commander un jarret d’agneau. "J’ai faim, man! Ça fait dix heures qu’on répète." C’est comme si tout se passait comme ça avec Luck. Un appétit de vivre, d’apprendre, de faire, qui doit bien friser parfois la boulimie. Cette année seulement, il a fait le succès de la comédie musicale Motown, mais aussi des concerts au Brésil, un rôle de tonton macoute dans Le Goût des jeunes filles, un séjour au Rwanda pour tourner dans le dernier film de Raoul Peck… en plus de s’afficher en faveur de causes humanitaires et de se faire élire "Patriote de l’année" par la Société St-Jean Baptiste.

"J’ai rien fait pour ça!" clame l’intéressé. N’empêche que les premières lignes de la charte rédigée par le patriote Duvernay stipulent précisément que quiconque vit au Québec, comprend son désir d’être indépendant et se joint à ce combat est un Québécois. Voilà pour le paradoxe.

Le premier chanteur à gagner l’Empire des futures stars en balançant un rap en créole – c’était en 1992! – a voulu dire "Je me souviens" dans la langue de sa mère. Une langue qu’il a tenu à réapprendre avec les manuels, les cassettes, les poètes, les chansons et sur le terrain puisqu’on l’a vu, en novembre et décembre 2003, "sur le béton", comme on dit là-bas, c’est-à-dire à la tête des gigantesques marches pacifiques qui ont dénoncé les chimères du président Aristide jusqu’au renversement de ce dernier.

"Moi plus chanter en créole. Pays trop petit pour gagner sa vie." C’est Charlebois qui mimait jadis cette complainte du chanteur indigène. Luck Mervil a fait l’inverse. Après avoir excellé dans le funk francophone et tenté un remake des classiques de la chanson d’ici, l’ex-chef des sans papiers du Notre-Dame selon saint Luc a redécouvert Haïti, son pays d’origine, fasciné par son histoire et sa langue et se disant, comme Lelièvre, qu’on est toujours l’Iroquois de quelqu’un…

"J’ai voulu m’impliquer en 2004 et rendre hommage à tous ceux qui avaient donné leur vie pour que se fasse l’indépendance d’Haïti, il y a 200 ans. Cet exploit les a condamnés parce qu’ils ont défié l’ordre économique mondial qui était basé sur l’esclavage, menaçant de le détruire. Ils déclaraient par là qu’ils n’étaient plus une denrée, un gisement d’or ou de pétrole, mais qu’ils avaient une âme."

C’est ainsi que Mezanmi (Mes amis), la seule chanson en vernaculaire sur son album soul, est devenu un hymne rassembleur dans son pays d’origine. L’album Ti Péyi A (Ce petit pays), lancé l’hiver dernier, recevra son vrai baptême du feu avec les concerts au Club Soda cette semaine. Une mise en scène signée par sa compagne et comédienne Tania Kontoyanni et un appareillage visuel important orchestré par un "vidéo scratcheur" réputé, le Vietnamien Thien Vu Dang.

Sur scène, à part Toto Laraque, un spécialiste dûment certifié de la musique konpa déjà présent sur l’album, toute l’équipe est nouvelle. Cette musique urbaine et particulièrement entraînante, qui est le genre de prédilection des Haïtiens de l’île et de la diaspora depuis plus de 50 ans, est un secret aussi bien gardé que la potion magique de Panoramix. Mais depuis qu’un autre druide du nom de Carlos Santana en a percé le mystère et a intégré ce rythme à son répertoire, des gens comme Mervil sont de plus en plus persuadés que l’heure est venue de l’internationaliser.

"Je ne joue pas le konpa traditionnel comme sur les vieux disques de mon père que je me suis mis à réécouter. Il est important que chacun modernise la formule, le fasse à sa manière."

Comme le dit la chanson des militants minoritaires: "que l’on soit Québécois, Breton, Nègre ou Cajun…"

Le 9 décembre
Au Club Soda
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