Les sours McGarrigle : Tricoté serré
Musique

Les sours McGarrigle : Tricoté serré

Les sœurs McGarrigle, portées par de spirituels hasards, accouchent du seul disque de Noël qui manquait encore à nos discographies.

Des skis de fond datant du premier hiver après le déluge, un chandail tricoté par Kate pour Anna il y a 30 ans, les photos du père en sépia, les couleurs délavées d’un cliché avec Rufus et Martha: le disque de Noël des sœurs McGarrigle est une affaire de famille, aussi hétéroclite que son emballage.

"C’est un disque qui a vu le jour peu à peu, sans qu’on le veuille vraiment… On voulait pas d’images religieuses, Jésus aime pas la neige…", rigole Kate McGarrigle jointe à Saint-Sauveur, pour une entrevue désordonnée, là où eurent lieu tant de ces randonnées de ski de fond immortalisées sur la pochette du très beau The McGarrigle Christmas Hour, afin d’expliquer l’album plutôt improbable, fabriqué dans le désordre. "Ben oui, il y a 20 ans, on avait cherché du matériel pour un concert de Noël, on avait chanté sur scène avec les enfants. Ç’avait été un bordel terrible, ils cassaient joyeusement les micros! Et puis bien plus tard, l’idée a fait son chemin. On a laissé ça dans un coin, et en 2003, on avait des pistes. On voulait sortir un genre de truc qu’on allait vendre dans la rue… puis quelqu’un a proposé ça à l’étiquette Nonesuch. Et ça a fait un disque."

Et, au hasard des rencontres, de très grosses pointures émaillent le bel album tout frais: Beth Orton, Emmylou Harris, Rufus Wainwright: "On a pas de plan, on travaille pas comme ça, faut que ce soit amusant", jette la copine de ces merveilleux artistes.

Perçues comme un duo granola aux accents incongrus dans les années 70-80, les sœurs McGarrigle, désormais passagères embarquées dans le très trendy monde du pop-folk américain de haut vol ressuscité depuis une dizaine d’années par les Lanois, Cave, Nelson et Cash, n’ont visiblement rien à cirer de cette appartenance à l’élite. Le travail reste celui d’artisanes dilettantes. Et les loisirs à Saint-Sauveur, bien plus amusants: "Beth Orton, elle est pas ben bonne en ski. Elle fait plus de six pieds. La neige, c’est pas tellement son élément. Elle criait toujours: "Aaaaah! Je tombe!" Emmylou Harris? Oh non! Elle est tellement délicate… On a écrit des chansons… elle veut faire un disque, on sait pas… elle vient à Saint-Sauveur, on a écrit un peu…"

À travers ces hasards coordonnés par Kate et Anna, l’album peut relativement se subdiviser en quelques grandes lignes: le pop-rock de Rufus qui a accouché de quelques titres, les splendides chansons faites avec la grande visite, les adaptations de chants des Fêtes modernes, et quelques airs bien connus des Québécois où les voix quasi égrillardes des deux sœurs font merveille: "Oui, parfois, outre le piano, il y a quelque chose de très pur dans des titres comme Ça, bergers, même si on l’a enregistrée à Nashville!"

Et comme le temps des Fêtes demeure historiquement celui du pardon et de la tolérance, les sœurs sont aussi, dans ce monde sans dieu, allées retrouver au fond de la Californie un neveu épivardé qui, sur ce disque, récite un autre noël où les étoiles des cieux ne sont que le prosaïque étourdissement d’une fin de nuit trop arrosée. "Oh! le neveu! Il a 35 ans, il demeure à L.A. À part la drogue, il est bien gentil, c’est le mouton noir de la famille, mais malgré tout, on a fait des entrevues toute la semaine à New York et les gens ont trouvé ça… très religieux."

En cette frange du temps, au-delà du concert prévu avant le Carnegie Hall et à Montréal ce 17, Kate se soucie des rendez-vous de fin décembre. "Rufus viendra, mais il ne boit plus, il va s’emmerder. En plus, bizarrement, ces temps-ci, tout le monde est en Irlande, il faut prendre trois avions pour venir ici, mais il arrivera à temps pour le concert, je crois…"

L’événement, pour les amateurs, fut historique. Il y a deux ans, lorsque les deux sœurs enregistraient la majorité des chœurs du sublime No More Shall We Part de Nick Cave, par une affaire d’élision, une finesse du langage, ce dernier leur fit inopinément transformer une phrase banale en truc de cul. L’anecdote aura beau faire l’objet d’un documentaire mémorable, Kate s’en souvient à peine. Sauf que, cette fois-ci, on leur a rendu la pareille: "Beth Orton voulait chanter un passage qui disait possiblement joy of six et elle a chanté joy of sex. On n’a rien dit. Et puis, on a pris la voix d’Emmylou Harris et on a enterré Beth dans les harmonies, parce qu’un disque de Noël classé 18 ans et plus, c’était pas une bonne idée."

The McGarrigle Christmas Hour
Nonesuch