Mes Aïeux : Assemblée de cuisine
Depuis plusieurs années, le groupe Mes Aïeux nous fait le cadeau de présenter une essoufflante série de spectacles pendant la période des Fêtes, alors que tout le monde veut être en vacances. En guise de retour d’ascenseur, Voir offre aux six membres du groupe l’entrevue de leurs rêves…
Un entrepôt humide, jonché d’immenses rouleaux de papier blanc. Les six membres de Mes Aïeux y tournent leur quatrième clip, Toune en "on", sous la direction du réalisateur Robin Aubert. C’est dans ce décor de béton froid, pendant leur break du midi et autour d’une table de fortune éclairée par un spot de plateau de tournage, que Mes Aïeux partagera pointes de pizza, idées sur la vie et l’avenir, ainsi que bons souvenirs sur les débuts du groupe, il y a bientôt 10 ans.
L’idée est simple: pas de questions, juste une discussion à bâtons rompus.
Stéphane Archambault: C’est comique de proposer ça. Les entrevues commencent à être intéressantes après les questions de poutine de base qu’on nous pose toujours, comme: Faites-vous du folklore ou du néo-trad? Pourquoi le folklore alors que vous êtes jeunes? Pourquoi êtes-vous déguisés? Êtes-vous fâchés de jouer seulement pendant le temps des Fêtes? J’aimerais qu’on parle du fait qu’on est une gang de jeunes de Montréal qui ont autoproduit leurs trois albums, qui ne sont pas diffusés dans les radios commerciales, qui ont ramassé leurs fans un par un. Et puis d’abord, on n’a jamais prétendu qu’on faisait de la musique traditionnelle: on s’en inspire.
Éric Desranleau: C’est vrai que ce sont les médias qui nous ont catalogués comme ça. À notre première apparition médiatique, l’animatrice a dit: le groupe de musique traditionnelle Mes Aïeux! Elle n’avait sûrement pas écouté l’album!
Stéphane: Nous sommes les supposés leaders du mouvement trad… et nous n’en faisons pas!
Voir: Et vous venez de gagner le Félix de l’album folk contemporain!
Éric: Ça, on trouve ça correct!
Benoît Archambault: Si tu insistais sur le folk contemporain, ça ferait notre affaire. (Rires.)
Stéphane: Au commencement, on ne s’est pas dit: faisons du trad. Mes Aïeux a commencé tout simplement: Frédéric (Giroux) et moi étions colocs. Fred peut gratter sa guitare pendant une demi-heure sans jouer une seule toune connue, juste à plaquer des accords. Moi, pour m’amuser, j’ai mis le texte de Dondaine laridaine sur un de ses grooves, qui n’avait rien à voir avec du folklore. On a trouvé ça tripant. On venait de créer le "funkklore"! On s’est mis à composer quelques chansons dans ce mode-là. De fil en aiguille, on s’est pris au jeu, on a contacté des musiciens qu’on connaissait et on jouait pour le plaisir, pour nos parents et amis.
Éric: Un soir, on joue nos tounes après une pièce de théâtre à Baie-Saint-Paul, devant d’autres personnes que nos amis et nos parents. Et la patente a levé.
Stéphane: On a commencé comme un band de salon. À Baie-Saint-Paul, on se ramasse à jouer dans un décor de théâtre d’été… qui est un salon! (Rires.)
Éric: Et le premier costume de Mes Aïeux a été un masque de Batman peint en rouge, pour faire le Diable! (Rires.)
Frédéric Giroux: On a toujours gardé cet esprit intact. On joue pour le plaisir. Un jour, on a été engagés par un "fromentier" de la rue Laurier pour faire son party de bureau et il nous a payés en pains! On a joué pour la Guilde des potiers du Québec et on a été payés en pots!
Benoît: on est nés pour un petit pot. (Rires.)
Frédéric: On se faisait des déjeuners, qui devenaient nos répétitions. Et pendant ces repas, on parlait de politique, de plein d’affaires. Stéphane s’est fait le porte-parole de tout le monde, dans ses textes.
Marie-Hélène: Quand on s’est formés, en 1996, on était dans une sorte de déprime postréférendaire, on se demandait si on allait vivre une autre période noire comme dans les années 80. On se demandait tous un peu quel allait être notre rapport à la société québécoise. Quel moyen prendre concrètement pour ne pas déprimer? Alors on est retournés dans le patrimoine pour se demander d’où on vient et où on s’en va.
Voir: Et le monde a embarqué avec vous autres.
Frédéric: À partir de notre premier disque, ça a véritablement levé, oui.
Marc-André Paquet: Chaque année, on a doublé le nombre de nos spectacles.
Frédéric: On aime tous notre parcours. On a appris ce métier ensemble. On a vendu plus de 200 000 albums sans vraiment passer à la radio. On a vraiment le contrôle sur ce qu’on fait. Et il y a encore des gens qui ne nous connaissent pas!
Voir: Mais tout le monde connaît par cœur le refrain de Remède miracle… Une pilule, une petite granule… Vous avez composé un classique instantané!
Marie-Hélène: Le plus drôle, c’est qu’on a hésité à la mettre sur le CD. C’est une toune à chorégraphie, qui marche très fort en show.
Benoît: À Québec, même Bonhomme Carnaval faisait la chorégraphie, ça m’a marqué! (Rires.)
Voir: C’est léger, certes, mais c’est une bonne critique de notre consommation effrénée de médicaments.
Stéphane: Certaines chansons ont un propos lourd. Dégénérations n’est pas une chanson facile.
Voir: Je dirais même que c’est une chanson subversive.
Stéphane: C’est vrai. D’un côté, il y a quelque chose de l’ordre de la comptine dans la mélodie. Et là, tu entends: Et pis toi, ma p’tite fille, tu changes de partenaire tout l’temps/Quand tu fais des conneries, tu t’en sauves en avortant!
Voir: Dans l’histoire de la chanson traditionnelle, on retrouve cette volonté d’opposer des paroles dures avec des musiques plus légères.
Stéphane: On parlait de subversion tantôt, et je pense qu’il y en a beaucoup chez Nos Aïeux. Mais on dirait que peu de gens s’en rendent compte! À cause de notre côté loufoque. On fait passer des messages heavy à monsieur et madame Tout-le-monde.
Éric: Par contre, les gens apprécient de se faire dire des choses.
Frédéric: C’est qu’ils sont préoccupés par les mêmes choses que nous. On ne s’est pas donné, au départ, la mission de conscientiser les gens. Nous sommes un groupe engagé, il y a beaucoup d’artistes engagés, mais c’est aussi symptomatique de ce qu’on vit en ce moment comme société.
Stéphane: C’est presque devenu criminel de plaider l’innocence. Les sources d’inquiétude et les défis auxquels on doit faire face sont de plus en plus importants.
Voir: Juste écouter les nouvelles te fait disjoncter.
Benoît: Et tu as l’impression que tu ne peux rien y faire. La seule façon de s’en sortir, c’est de faire quelque chose pareil.
Stéphane: Exact. Nous, on se dit que peut-être, peut-être, peut-être, les mots peuvent changer quelque chose.
Voir: Une dernière chose à déclarer?
Frédéric: Je trouve ça drôle qu’on se retrouve autour de la table, à manger, à parler de comment tout a commencé, parce que justement, le groupe a commencé comme ça. Cette discussion que nous avons eue aujourd’hui, c’est exactement le même gaz qu’on met dans notre tank depuis le début.
Le 18 décembre à 20 h
À la Salle Odyssée
Voir calendrier Folk/Country/Blues