La musique trad : Le monde du trad tape du pied
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La musique trad : Le monde du trad tape du pied

La musique trad, surtout associée au temps des Fêtes pour les Québécois, est aussi très respectée sur la planète worldbeat. État de la question avec des gigueux qui piaffent…

On n’y échappe pas: chaque Noël, chaque jour de l’An voit arriver son lot de spectacles de musique traditionnelle. Mais curieusement, on oublie que le trad, comme on dit maintenant pour le distancier de la ceinture fléchée, n’est pas que de la musique du temps des Fêtes, mais bien un répertoire historique actualisé par plusieurs groupes aujourd’hui mondialement reconnus. Pour faire un état de la question, Voir a réuni, en plein cœur d’une bordée de neige quasi historique, Nicolas Boulerice et Benoit Bourque du Vent du Nord (meilleur album traditionnel au Gala de la musique folk canadienne), Gaston Bernard de Matapat et Yves Lambert, fondateur de La Bottine Souriante et musicien indépendant depuis trois ans.

Messieurs, juste pour s’entendre avant de commencer, qu’est-ce que la musique traditionnelle?

Nicolas Boulerice: "La musique trad vient de quelque part et s’en va quelque part, c’est quelque chose qui est en mouvement."

Yves Lambert: "C’est une matière issue du patrimoine. De tous les patrimoines, en fait. Et on se sert de ça pour créer une expression contemporaine qui va dans toutes les directions possibles. C’est aussi une source de connaissances indispensable, car peu importe la profession qu’on exerce, on s’inscrit en fonction d’une tradition – journalistique, gastronomique, etc. Salvador Dali disait: tout ce qui ne procède pas de la tradition est du plagiat."

Gaston Bernard: "Parfois, c’est une étiquette que les autres nous accolent. La référence à la musique trad, pour certains groupes, semble plus inconsciente qu’autre chose."

On sent un renouveau du trad depuis quelques années: plusieurs groupes tournent de plus en plus à l’extérieur du Québec; peut-on parler d’une espèce de "retour du refoulé"?

Benoit Bourque: "La musique trad, dans les années 80, est tombée en désuétude à cause du traumatisme post-référendaire. En fait, toute la musique québécoise a souffert de ça. Mais la musique trad, par définition, va toujours vivre par elle-même. On ne la voit pas beaucoup à la radio ou à la télé, mais elle existe, au même titre que le country. C’est vrai qu’il y a un renouveau depuis les années 90."

Nicolas: "C’est fou le chemin qu’on a fait depuis qu’Yves a fondé La Bottine Souriante. Quand on se promène en Europe et aux États-Unis, les gens nous parlent de la "musique du Québec". C’est devenu une entité propre."

LES MUSICIENS EN DANGER?

La musique trad ne s’est jamais si bien portée, alors?

Yves: "Détrompez-vous: la profession de musicien au grand complet est en danger. Je serais curieux de savoir combien de musiciens vivent sous le seuil de la pauvreté. Le musicien type gagne 7 000 $ par année et fait pousser du pot pour arriver! L’autre problème, c’est que tout le monde s’improvise chanteur ou musicien. Je n’ai rien contre la démocratisation, mais il y en a qui sont meilleurs que d’autres. Certains ont des démarches artistiques, d’autres, pas du tout."

Nicolas: "Sans compter que certains groupes cultivent les clichés associés à notre musique."

Yves: "Michel Faubert (Les Charbonniers de l’Enfer) prétend qu’à l’intérieur du milieu de la musique trad, on véhicule toujours les mêmes affaires et que ça finit par nous nuire."

Ce qui fait que vous jouez seulement quand il y a de la neige et à la Saint-Jean?

Benoit: "Le Vent du Nord a fait une tournée de 35 dates aux États-Unis au cours de la dernière année. On joue tout le temps, mais les gens en entendent parler seulement dans le temps des Fêtes. Nuance."

Tous: "Exactement."

Nicolas: "Même quand on joue en été, les gens veulent une atmosphère de temps des Fêtes."

Quand le traditionnel africain arrive ici, c’est du world; quand le traditionnel québécois va ailleurs, il passe pour du world, mais ici, c’est de la musique du temps des Fêtes!

Nicolas: "C’est comme ça dans beaucoup de pays. Ici, nous sommes folklorisés, mais ailleurs, nous sommes d’importants ambassadeurs de la culture québécoise."

Yves: "Nos groupes de musique trad sont "encarcanés" dans une formule sans substance. C’est bien beau de refaire les musiques de notre patrimoine, mais…"

Comme un groupe de jazz qui ne ferait que reproduire des standards?

Yves: "Oui, c’est ça. Il faut aussi expérimenter, faire de la recherche."

La musique trad est donc prise elle aussi avec ce phénomène de standardisation? Elle devrait pourtant être le dernier bastion de résistance!

Yves: "Il n’y a pas de résistance parce que les gens ne font plus de politique. Ils en ont peur. Chaque groupe, chaque musicien est isolé. On a un syndicat, la Guilde des musiciens, qui n’a rien à voir avec nous autres. Pierre Curzi parle de la solitude des artistes. On est en compétition, on est jaloux du succès des autres. Il n’existe aucune structure de diffusion pour nous faire travailler. À part Broue, les humoristes et les musiciens à succès, presque personne ne va dans les salles en région. Les diffuseurs doivent remplir leurs salles pour être rentables, donc ils choisissent des valeurs sûres. Ça va prendre une volonté dans le milieu pour amener une volonté politique de changer ces choses-là. Les politiciens ne nous respectent pas parce qu’entre nous, on ne se respecte pas. Ça nous prendrait un lobby! Ce n’est pas que je veuille chialer, mais il y a des raisons de le faire! Il faut améliorer nos conditions de travail. J’ai passé trois heures sur le plateau d’une émission de télé d’une grosse chaîne, on était les seuls sur le plateau à travailler bénévolement. C’est quoi, si ce n’est pas de l’exploitation?"

Benoit: "Il y a aussi la question du soutien aux artistes. Marie-Élaine Thibert, pour ne nommer que celle-là, a eu tout un système qui l’a montée en star. Nous, on a des systèmes qui ne nous soutiennent pas."

Gaston: "Avec Matapat, je tourne beaucoup, mais ce n’est même pas assez payant pour rembourser mes frais de voyage!"

Benoit: "Par contre, j’ai découvert que plusieurs musiciens qui font de la musique trad aiment que ça reste underground."

Gaston: "J’ai joué avec des artistes pop, ils ne pensent pas du tout comme ça! La promotion leur est aussi importante que la création artistique. Dans la musique trad, on ne songe même pas à faire une session de photo! Il n’y a pas assez de pensée commerciale."

Dernière question: en vous écoutant, on a l’impression que la musique trad d’ici s’exporte très bien.

Benoit: "Dans les années 70, la musique cajun est devenue très populaire et s’exportait facilement. Ce que je sens depuis quelques années, c’est que la musique traditionnelle québécoise est en train de devenir le nouveau cajun sur la scène folk, en Europe mais surtout aux États-Unis. L’autre phénomène qui me réjouit, c’est que depuis le milieu des années 90, beaucoup de jeunes s’intéressent au trad, au Québec. Il y a une profusion de groupes amateurs et professionnels. Avec les années, ça a créé un engouement. C’est bon signe!"