Les disques de l’année
Rock
Clémence Risler
Wolf Parade
Apologies to the Queen Mary
(Sub Pop)
Rares sont les découvertes aussi fulgurantes que celle de cette meute montréalaise. Leur performance en première partie d’Arcade Fire en avril, quoiqu’un peu brouillonne, nous avait mis la puce à l’oreille. Le EP paru quelques mois plus tard laissait deviner qu’on tenait là un précieux filon, ce que vint confirmer Apologies to the Queen Mary. Cette œuvre nerveuse enivre et énergise avec son rock sous tension mené par une rythmique carrée que viennent assouplir les assauts en cascade de claviers et de guitares. L’emportement chaotique de Fancy Claps, la voix qui s’écorche et se dévoile vulnérable sur Modern World ou le niveau d’intensité qui ne cesse de grimper sur It’s a Curse n’en finissent plus d’émouvoir, même après plusieurs mois d’écoutes répétées.
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Chanson
Francis Hébert
Monsieur Mono
Pleurer la mer morte
(Indépendant / Local)
Le chanteur des Chiens sort un album solo, Pleurer la mer morte, sous le pseudonyme de Monsieur Mono. On y apprend que Mono a voulu faire l’album de chanson le plus triste au monde. On se dit que c’est pour soi, on l’achète. Et on tombe sur le cul. Tant de beauté peut-elle exister? Tant de sincérité, tant de précision dans l’écriture, tant de déchirure dans les musiques acoustiques où dominent piano et guitares. La grâce totale. Le plus triste au monde? Si ce n’était des trois premiers opus de Mano Solo, on lui donnerait la palme sans hésiter. Mais en même temps, il y a tant de vigueur, tant d’extase à écouter les chansons de Mono que ça revigore. Sublime est le mot juste.
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Pop francophone
Patrick Ouellet
Malajube
Le Compte complet
(Dare To Care)
Bon, oui, d’accord: il s’est peut-être montré le bout du livret fin 2004, mais quelques semaines, c’était beaucoup demander à un CD, fût-il fameux, pour grimper au sommet des revues de ladite année. Et de toute manière, c’est en 2005 que Le Compte complet, premier long jeu des fabuleux Malajube, se sera mué en véritable grand chelem. Dans les lecteurs comme sur scène, les quatre jujubes bioniques seront parvenus à convertir bon nombre de mélomanes d’ici et d’ailleurs (la contamination de la France est amorcée) avec leurs rythmes déjantés et leurs mélodies aussi stupéfiantes qu’accrocheuses. Que ceux qui s’imaginaient qu’il était encore impensable de pousser un bon rock original en français s’en rincent les ouïes! La suite est attendue en février. Que le jujube soit avec vous.
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Pop anglophone
Pierre Landry
Gwen Stefani
Love.Angel.Music.Baby.
(Interscope / Universal)
Même si cet effort de Miss Stefani est paru à la fin de l’année dernière, c’est en 2005 que l’album a pris son envol grâce en très grande partie au puissant simple Hollaback Girl. Jamais un roulement de caisse claire n’a été aussi entraînant, au point de vouloir se joindre à la fanfare. Certains ont reproché à Gwen d’être trop disparate sur L.A.M.B. mais en vérité, les nombreux changements de style font en sorte qu’on ne s’ennuie guère. Disque de party, certes, mais aussi un disque pop subtilement conçu, réunissant des échos de dancehall (Rich Girl), d’électro saccadé (Bubble Pop Electric) et de rock new wave (Cool). Où ira la blondinette ensuite? Mieux encore, No Doubt suivront-ils?
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Indie rock
Marie Hélène Poitras
Okkervil River
Black Sheep Boy
(Jagjaguwar)
Secret trop bien gardé, Okkervil River est ce band du Texas qui tricote des chansons à vous faire perdre connaissance; For Real, par exemple, dont on n’est pas encore tout à fait revenu (voir nos trois chansons de l’année en indie rock). Avec ses pièces parfois brusques et emportées, ailleurs douces et cotonneuses, passant d’un rock sauvage et complètement écorché à vous trouer le cœur jusqu’à un folk enveloppant, mais toujours déchiqueté, Okkervil River est un groupe insaisissable qui sait doser et varier les arrangements (chœurs de falsetto, cordes, cuivres, guitares acoustiques retenues ou électriques défoulatoires, voix incandescente d’une femme aussitôt disparue, grincements délicats et discrets), sans parler de la voix de Will Sheff, qui chante avec la conviction torturée d’un pré-adolescent en plein tourment amoureux. Sans contredit LE disque qui m’aura saoulée de joie en 2005.
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Rap
Stéphane Martel
Spleen
She Was a Girl
(Fusion III)
M.I.A.
Arular
(XL Recordings)
J’ai reçu le premier compact de la belle Maya Arulpragasam, Arular, comme une claque en plein visage! Grime, crunk, dancehall, touches électro, hip-hop. Difficile de rester de glace devant autant d’enthousiasme et de talent. Avec des tounes comme Galang et Fire Fire, c’est le disque par excellence pour faire la fête à tout moment! Quant à Spleen, c’est l’étoile montante en Europe. Qui n’a jamais rêvé de dédier un album complet à une ex-flamme? Âgé de 22 ans, Pascal Oyong-Oly l’a fait et le résultat est saisissant. Un des disques qui est demeuré le plus longtemps dans mon lecteur cette année. C’est allumé, éclectique, inspiré, parfois un peu brouillon mais vraiment attachant.
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Électro
Stéphane Martel
Four Tet
Everything Ecstatic
(Domino)
Comment résumer mon été? Une route de campagne, les vaches qui beuglent et l’album de Four Tet dans le tapis! Bon, O.K., pas dans le tapis mais comme compagnon de route. Texturé, exaltant, audacieux, luxuriant, Everything Ecstatic marque une nouvelle étape dans l’évolution du projet de Kieran Hebden. S’aventurant fièrement dans de nouveaux sillons, l’opus se veut encore plus accompli et jouissif que le précédent (Rounds). On utilise la touche "replay" pour des morceaux tels que Turtle Turtle Up et Sleep Eat Food Have Visions. Magnifique.
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Folk
François Desmeules
Kate Maki
The Sun Will Find Us
(MapleMusic)
Si l’on ose classer les récentes éditions de Bob Dylan, Son Volt et autres grandes pointures du genre hors compétition, le disque country-folk le plus remarquable de l’année reste alors un avatar venu de la porte d’à côté. Deuxième ouvrage autoproduit de la toute jeune Kate Maki de Sudbury, Ontario, The Sun Will Find Us possède une spontanéité qui, au cours des ans, échappe un peu à ce genre qui s’est très sophistiqué et poli. Le naturel déconcertant de pièces bien indolentes comme la magnifique First Impression, ponctuée de slide et de Rhodes, côtoie des moments d’une rare intensité rappelant parfois les guitares du Pearl Jam des meilleures années. Album enregistré sans grands moyens mais avec conviction, à la limite de l’artisanat de qualité, la voix de Maki y évoque dans les passages intimes un improbable croisement entre Lucinda Williams et Carlene Carter, le tout serti d’une pudeur d’adolescente. De la première seconde à la dernière, on veut croire à tout prix à ces 11 chansons impeccables et à leur propos banal et doux.
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Disque jazz
Denys Lelièvre
Elisabeth Kontomanou
Midnight Sun
(Nocturne / Fusion III)
Elisabeth Kontomanou fait une relecture extrêmement émouvante de chansons-cultes du jazz, dont plusieurs associées au répertoire de Billie Holiday. Les amateurs de jazz vocal découvriront avec bonheur cette chanteuse au timbre chaleureux et seront peut-être surpris par son audace. Son chant présente beaucoup d’affinités avec d’autres grandes interprètes de la négritude comme Abbey Lincoln et Jeanne Lee. Les versions de Good Morning Heartache, Yesterdays, The Very Thought of You, All Alone et The Midnight Sun constituent des moments de pure grâce. Dans You’re My Thrill, pour suggérer comment le sentiment amoureux prend possession de soi, elle épelle/étire chaque syllabe des mots why-this-strange-desire. Le pianiste Jean-Michel Pilc, souvent volubile, accompagne la chanteuse avec une sobriété rare qui n’est pas sans rappeler Duke Ellington et Ran Blake.
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Musique du monde
Ralph Boncy
Mocca Flor
Quadro Nuevo
(Fine Music / Justin Time)
Si l’on accepte logiquement le reggae africain dans le registre des musiques du monde, je voterais volontiers pour l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly qui a frappé très fort avec son Coup de gueule. Mais la vraie surprise de 2005 est venue par l’album instrumental Mocca Flor de l’énigmatique quatuor allemand Quadro Nuevo. Une chose bien singulière que le bon disquaire hésite encore à classer dans les sections world, jazz ou… musique de chambre! À la recherche du tango perdu, ces quatre surdoués nous font le tour du bassin méditerranéen sans guide. Un voyage aventureux truffé de mélodies fabuleuses et de parfums nocturnes exotiques. Arrangements ingénieux, virtuosité d’exécution, un twist d’humour bien dosé: le meilleur disque qui pouvait se faire avec une clarinette, une contrebasse, une guitare classique et un accordéon. Dire qu’il aura fallu leurs deux prestations en plein air cet été pour que nous nous rendions compte que ces quatre mousquetaires avaient joué tout l’album quasiment sans overdubs et, à toutes fins pratiques, sans même l’aide d’un percussionniste. Chapeau!
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Reggae
Richard Lafrance
Damian "Junior Gong" Marley
Welcome To Jamrock
(Tuff Gong / Universal)
La plupart des albums reggae sont des compilations de simples déjà parus sur des rythmiques réutilisables, mises en marché par les réalisateurs qui les ont financés, auxquelles on ajoute quelques extraits inédits. Sans être exactement un album-concept, Welcome To Jamrock ramène la manière nord-américaine, avec des chansons et des musiques originales et inédites, qui en racontent pas mal plus que ce que la Jamaïque propose dernièrement en fait de musique pop. En empruntant les stratégies urbaines comme les collaborations spéciales et les remix pour clubs, Damian Marley a frappé dans le mille et a fait cent fois mieux que le fameux Bubbling on the Top 100 de son père dans les palmarès! Une carrière majeure est née avec Half Way Tree, mais se confirme solidement avec Jamrock.
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Rock
Olivier Robillard Laveaux
Karkwa
Les tremblements s’immobilisent
(Audiogram / Select)
Si Malajube incarne la révélation francophone de 2005, le titre d’"évolution scène locale de l’année" revient sans contredit à Karkwa. Profitant de moyens à la hauteur de ses ambitions, le combo formé de musiciens au talent exceptionnel a trouvé l’équilibre parfait entre une approche grand public et une authenticité plus indépendante émanant d’une absence de compromis. Aussi enveloppant qu’un album de Radiohead, Les tremblements s’immobilisent s’est incrusté dans le lecteur pour nous faire frissonner à l’écoute de pièces comme Vertige, Le Coup d’État et Les Vapeurs. Au dernier Gala de l’ADISQ, Jim Corcoran a souligné le mérite d’Audiogram d’être une étiquette qui ne prend pas l’auditeur pour un con. Ce compact en est l’exemple parfait.
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Métal
Christine Fortier
Between the Buried and Me
Alaska
(Victory Records)
Imminence of Death, le premier disque du groupe québécois Vortex, et City of Evil, d’Avenged Sevenfold, sont parmi les trois albums qui se sont succédé le plus souvent dans mon lecteur cet automne. Mais c’est Alaska qui remporte la palme de l’album de l’année pour une raison toute simple: Between the Buried and Me est capable de livrer sur scène (je n’ai pas eu l’occasion de voir Vortex) les chansons de son album, qui est un véritable pot-pourri d’influences death métal, power métal, black métal et hardcore, enveloppé de quelques incursions rock progressives qui rappellent par moments Opeth, mais sans les longueurs insipides. Une rafraîchissante surprise.
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Classique
Réjean Beaucage
Robert Normandeau
Puzzles
(Empreintes Digitales / Diffusion I Média)
Une petite révolution chez Empreintes Digitales. Voici un disque sur lequel on trouve deux versions DVD 5.1 différentes (l’une pour lecteur audio, l’autre pour vidéo), deux versions stéréo (idem) et même les fichiers MP3 des œuvres. L’encodage en 5.1 surround de la musique électroacoustique permet de vivre l’expérience du concert à la maison (moyennant l’achat dudit système de reproduction). Après ça, l’écoute stéréo, c’est comme la télé en noir et blanc… Les œuvres reproduites ici sont principalement des versions de concert de musiques composées pour le théâtre. Éden, Chorus, StrinGDbrg, Hamlet-Machine with Actors ou la pièce-titre ont pu être goûtées en concert; maintenant, on peut vraiment le refaire à la maison. Enfin!