Thomas Fersen : Trompe-l’oil
Thomas Fersen, quadragénaire intemporel, revient au Québec soutenir un huitième album vertigineux et truffé de personnages dévissés et farfelus.
Treize ans! Treize ans déjà que, mine de rien, mine de gamin, Thomas Fersen abuse joyeusement des vieux ingrédients de la chanson réaliste, et plaque sur ses pittoresques personnages ses accessoires de forain, son cirque macroscopique, à coups répétés de détails et de clins d’œil farfelus, le filtre distordant de son étrange perception du réel.
Et treize ans plus tard, onze ans après Les Ronds de carotte, cette ménagerie inoffensive et douce, immortalisée par les photos de Jean-Baptiste Mondino, le petit Parisien aux immortelles allures de Beatle métrosexuel, a rangé dans clapiers et bocaux les lapins, truites, cochons et autres engeances qui ont fait son style et ses pochettes, pour rentrer direct à l’asile.
CAMISOLE
"Par périodes, je voyais bien que des thèmes pouvaient relier les chansons entre elles, murmure Fersen selon sa discrète habitude. Au bout de trois, quatre, cinq chansons, je décelais des points communs. Pour moi, Le Pavillon des fous, c’est un endroit où mes textes pouvaient s’intégrer. Comme un bâtiment qui les recouvre…"
Titre de son huitième album, Le Pavillon des fous est donc le nouveau lieu de convergence où, désormais réfugié dans l’onirique Bretagne, Thomas puise encore aux sources du farfelu qui, avec la superbe La Chandelle ou Je suis d’venu la bonne, ont déjà ramené la valse au bal des intellos. Maintenant avec Zaza, Hyacinthe ou Maudie, ce qu’il traque plus abruptement à coups de pop sobre, dans ce décor de carton-pâte, ce ne sont pas des figures de style imposées par une vision de poète sous absinthe, mais bien une perception du réel et de fugaces fantômes qui l’habitent naturellement: "On pourrait croire que j’écris au détriment de la raison, dit-il, mais moi, ce réel ne m’est pas étranger, c’est le mien. Je pense, en fait, que la perception qu’on a de la réalité est toujours en trompe-l’œil. En fait, j’essaie d’investir par l’imaginaire une réalité assez forte."
Et Fersen d’y aller d’un exemple platonique sur ses perceptions: "Je me suis toujours posé des questions intéressantes: Quand on éteint la lumière, est-ce que les choses existent encore? Petit, je me souviens, j’enterrais un oiseau. Et puis je me demandais si, une fois recouverte de terre, lorsque je ne la voyais plus, la bestiole existait encore. Alors je la déterrais plusieurs fois pour vérifier si, lorsqu’elle échappait à mes yeux, la bête était encore dans la boîte ou partie." Cette fois-ci, sous le sombre escalier du Pavillon des fous, ses chansons cachent un petit monde grouillant, à peine contenu dans les marges du texte.
POINT DE FLUIDE POUR LES BRAVES
Alors, comment situer cet anachronisme au sein de la chanson télé-réalité du 21e siècle, brocardeuse de mamours insignifiants, d’états d’âme puérils, populistes et mercantiles? "Oui, les temps semblent être au réalisme plat. Moi, c’est justement de relever un point de vue différent qui m’intéresse! En respectant, tout de même, les paramètres de la chanson."
À la manière dont Satie ponctuait ses plus lisses musiques de pets sonores ludiques afin de déconcerter l’auditeur perplexe, Fersen use délibérément de ces rimes dont un enfant de maternelle rougirait. Telle cette résonance atroce: "Lorsque avec un air benoît / il brise une noix", qui éclate une chanson animalière du Pavillon: "Dans le farfelu, il y a quelque chose de léger, quelque chose de flagrant qui me plaît. J’aime ce qui est purement ludique, il y a des moments où cette simplicité est une joie."
Passé le cap de la quarantaine, l’acharné est pudiquement heureux de sa persistance professionnelle: "Qu’aurais-je fait si j’avais pas fait ça? Ah non! Ça, c’est une question impossible… Ce métier, je le désirais de toutes mes forces. Or ça ne marchait pas. Je perdais courage… Je crois que ce passage à vide a donné de l’étoffe aux chansons, dès le début."
Les 16, 17, 18, 23 et 24 janvier
À La Tulipe
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