Anik Jean : Eau de rose
Anik Jean cultive un jardin de roses rouges depuis le lancement, au printemps dernier, de son premier album, Le Trashy Saloon. Et depuis, sa culture s’est avérée florissante.
"C’est moi qui ai amené la neige!" s’exclame d’entrée de jeu Anik Jean. Effectivement, une grande couche de neige recouvrait la ville ce matin-là, alors qu’elle m’attendait dans un café, bien au chaud. Sa relationniste de presse m’avait justement dit quelques minutes avant l’entrevue qu’il y avait toujours une tempête lorsqu’elle partait sur la route avec la rockeuse pour des journées de promo. "Oui, c’est vraiment étrange, chaque fois qu’on part ensemble, il y a des choses bizarres qui arrivent! Quand on ne se ramasse pas dans le champ, je prédis quand mes chansons vont jouer à la radio. Je la fais "freaker"!" s’esclaffe l’auteure-compositrice-interprète. Pas étonnant puisque l’artiste épanouie qu’elle est devenue provoque des torrents de réactions partout où elle passe.
Atypique que le parcours de cette musicienne à l’allure rebelle et un tantinet masculin. Au terme d’une migration de quatre ans à Los Angeles, où elle est en quête d’un public anglo et apprend les rudiments du métier à la rough – à l’école de la vie, comme diraient certains -, elle revient au Québec définitivement. C’est son ami Jean Leloup-Leclerc – qui deviendra son mentor – qui la convaincra de revenir prendre racine ici. À cette époque, Anik Jean avait déjà un démo: l’album né de son flirt avec les plus grands de L.A., trop léché et surproduit à son goût, n’allait jamais voir le jour. Son maître lui fera ensuite apprivoiser la langue de Molière pour l’écriture de ses chansons. "Je ne voulais pas sonner colonne, je ne voulais pas sonner québécoise quétaine, je voulais que ce soit beau. J’ai dit à Jean: "Si j’écris en français, faut que ce soit hot, faut que tu sois là, puis que tu me ‘coaches’." Ma première a été Tendre Sorcière, et je trouvais que ça passait bien finalement…"
La moitié du Trashy Saloon sera créée en studio. Ainsi, Leloup avait pris, comme il ne l’avait jamais fait, un petit chaperon rouge sous sa dent, l’emmenant sur le sinueux chemin de l’industrie musicale. "Il n’a jamais collaboré de cette façon-là, jamais avec une fille, mais il a toujours rêvé qu’une fille chante ses tounes… Je pense que c’est une période importante de sa vie, il a 44 ans, je pense qu’il a vécu beaucoup de choses et qu’il est rendu à une autre étape. Il a écrit un livre, il travaille à des scripts de films. Puis là, de travailler avec moi… On dirait qu’il avait besoin de donner."
Ayant été associée dès ses débuts au grand méchant (Le)loup, les médias la présentant comme sa "protégée", son "héritière", Anik Jean commence peu à peu à se sortir de ce cadre, ayant fait ses preuves à bien des points de vue. "Si tu écoutes l’album au complet, tu vois que j’ai une identité propre, puis tu vois que c’est une collaboration d’auteurs avant tout. Ça prend du temps pour apprivoiser un artiste. Les gens commencent à "catcher" que je ne suis pas juste une fille qui chante du Leloup."
La suite du conte est plus connue: la reprise de Je suis partie et la rythmée Junkie de toi tournent à grande vapeur dans les radios commerciales. Et en boutade, la jeune frondeuse a lancé au président de sa compagnie de disques qu’elle voulait ouvrir pour les Rolling Stones. Son vœu a été exaucé le 10 janvier dernier, alors qu’elle a dû pendant 40 minutes convaincre le public coriace de la formation légendaire.
ÉPIDERME DE LA ROSE
"Je dirais que je n’ai jamais été aussi bien dans ma peau. Quand je suis revenue de Los Angeles, j’étais comme une fleur pas ouverte au complet, et on dirait que l’album, ça a été l’éclosion. Et les tounes dark, il fallait que ça sorte de mon système. Écrire, c’est une thérapie pour moi, s’il y a de quoi qui me fait chier, je l’écris en toune, puis le tiroir est fermé. C’est vraiment une façon de "cleaner" mes affaires pour que je me sente bien", explique celle qui a été pilote de brousse comme son père, avant de se consacrer à sa carrière musicale.
"J’aime beaucoup écrire au piano, et avec cet instrument, ce qui sort de moi, c’est noir. Mes influences anglaises sont plus dark aussi, avec Nick Cave, Coldplay… Quoique ma chanson Amour absinthe s’inscrit beaucoup dans ce que je faisais à L.A., c’est plus punk-rock…"
Et comment est-ce que tu conçois la rockeuse des temps modernes?
"J’en ai aucune idée parce que j’en connais pas vraiment. Il y en a pas assez. Puis j’aime bien ce que dégage une Courtney Love. En show, je vais à des places où les filles ne vont pas d’habitude. Je "trashe" avec ma guitare, je pète des cordes. Toutes les filles ont cette énergie-là; moi, j’essaie de l’exprimer. Il y a des filles qui m’écrivent qu’elles écoutent Amour absinthe en faisant le ménage par exemple, et que ça les défoule, ou qu’elles écoutent ma toune cachée, Non, quand elles sont en crisse après leur chum!"
Et comme pour se justifier, elle poursuit: "Je suis moi-même, mais je me rends compte qu’il y a peut-être un manque, puis si ça peut donner de la drive à d’autres filles, ben let’s go! Il y a ce préjugé dans la musique que les filles ne peuvent pas jouer de la guitare… Mais on peut "rocker", on peut faire des accords aussi rock qu’un gars!" annonce celle qui dévoile habituellement ses bras tatoués dans la seconde partie de son spectacle, où l’énergie se décuple.
ROUGE, NOIR ET TURQUOISE
Empreint d’une certaine maturité, Le Trashy Saloon dépeint une femme qui a du chien, indépendante, franche, fougueuse, et dans la fleur de l’âge. "Avec des chansons comme Numb ou Trashy Saloon, que je fais au piano, ça paraît que j’ai 28 ans, que je n’en ai plus 21… Je n’aurais pas écrit comme ça il y a cinq ans. Je trouve que c’est un album qui représente bien où je suis rendue."
Un album en anglais est déjà prêt à enregistrer et une incursion vers l’Europe devrait se faire au courant de 2006. Une série de spectacles l’attend aussi. Et où qu’elle aille, guitare, papier et crayon ne sont jamais bien loin. "Je ne peux pas arrêter de créer. En ce moment, je peins, j’écris un livre, je fais des tounes", lance-t-elle. À mon air intrigué, elle rajoute: "J’écris un livre ça fait un an. C’est un peu autobiographique, c’est l’histoire de ma vie depuis que j’ai huit ans. C’est romancé. J’écris, mais je n’ai pas mis de date de sortie…"
Et ta peinture, ça ressemble à quoi?
"C’est dark. J’utilise juste trois couleurs: le rouge, le noir puis le turquoise, un peu genre couleur absinthe. En ce moment, je peins les pièces de mon album. J’ai toujours une image quand j’écris une chanson, et c’est ce que j’essaie de recréer. Je vais l’exposer à un moment donné…"
Et est-ce que l’absinthe fait toujours partie de ton processus de création?
"Ben, je n’ai pas pris ça comme un instrument de création, c’est juste arrivé par hasard. Comme Duel, je l’ai écrite sur l’absinthe; le lendemain, je ne m’en souvenais plus. L’absinthe, c’est mon alcool préféré, je n’en bois pas tout le temps parce que je ne pourrais pas fonctionner à 100 %, mais j’aime bien gros ça à l’occasion. Puis c’est romantique, Rimbaud en prenait…" remarque l’artiste aux yeux bleu acier, qui rappellent la couleur du saphir.
Une pierre précieuse à découvrir au plus vite, si ce n’est déjà fait.
Le 20 janvier à partir de 20 h
Au Musée canadien des civilisations
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Anik Jean offrira un extrait de son spectacle au Théâtre du Musée canadien des civilisations dans le cadre de Contact ontarois, une foire du spectacle par laquelle Réseau Ontario offre une vitrine à 40 artistes. Pour souligner son 25e anniversaire, l’événement s’ouvre au public. Parmi les autres incontournables de la programmation, notons les Iceberg, Marco Calliari, Polémil Bazar, Tricia Foster, Véronic Dicaire et Chloé Sainte-Marie. Info: www.reseauontario.ca.