Antoine Gratton : La métamorphose
Antoine Gratton change de tête, peaufine son style et surprend avec Il était une fois dans l’Est, un second opus plus rock que pop, plus sale que propre. Un jeune homme à surveiller.
Antoine Gratton, pour son premier essai en 2003 (Montréal Motel), ressemblait à un personnage de La Vie, la vie: bouffon, cheveux longs, barbe de 15 jours. Les photos du livret se voulaient humoristiques. Les chansons, elles, étaient léchées, propres, gentilles, limite inoffensives. Mais voilà que notre jeune homme opère un bienheureux changement de cap: cheveux courts, petite barbichette à la Daniel Boucher, belle pochette d’un rouge chaud et invitant, graphisme épuré. Seuls font sourire les titres des chansons, écrites comme des bulles de bédé. "J’ai grandi. À un moment donné, la phase hippie, ça suffit. Le premier album était aussi plus léger que celui-ci, je l’aimais bien, mais il ne me représente pas du tout, un trip musique qui allait un peu n’importe où."
Grand bien lui fasse. En perdant ses poils, Gratton a aussi taillé dans ses chansons, désormais plus personnelles, moins badines, au plus près du cœur. Et forcément, elles touchent davantage: "Ce nouveau disque est plus axé sur la performance, on s’est amusé avec l’interprétation et avec le son. On était moins à la recherche de la perfection que sur le premier album. Ce n’est pas parfait, mais l’émotion est là. On a fait beaucoup de one take. Les instruments, c’était surtout à deux: Éloi Painchaud et moi." Painchaud se faufile partout dans Il était une fois dans l’Est (titré ainsi à la blague). Il coréalise l’album avec le chanteur, tient guitares et banjo et co-signe certaines chansons. Une histoire d’amitié entre eux: "On a passé l’été 2004 ensemble, à écouter de la musique, à triper, à essayer des choses sur mes tounes pour voir ce qu’il pouvait y apporter. On écoutait du vieux McCartney, du vieux Rod Stewart, Faces, la période 69 à 74, du vieux rock sale, tu baisses les fenêtres et tu roules dans la garnotte. Ça nous a donné une belle drive pour travailler."
Tranquillement, l’album se construit, et le hasard des rencontres fait bien les choses: "C’est beaucoup le phénomène Éloi Painchaud: ferme tes yeux et plonge, on va voir ce qui arrive. Alors que moi, je suis plutôt du genre à planifier les affaires." Gratton s’entoure d’artistes de talent, une bulle de création s’installe autour de lui et fait décoller plus haut ses chansons: "Coral Egan, c’est une amie à moi depuis deux ou trois ans. Je suis tombé en amour avec sa voix, on a vraiment une espèce de vibe frère-sœur." Egan illumine de sa voix la jolie Es-tu là?. Séduction garantie, également, grâce à la présence de Jorane en choriste de luxe sur Carole à gogo et Dans les yeux de Françoise. Pour compléter cette joyeuse bande, Martin Léon vient jouer de la tambourine sur À l’aide! "Martin, c’est un gars hilarant, très impulsif, musicalement très intelligent." Sans oublier Ginette, rencontrée lors d’une tournée canadienne du Coup de cœur francophone.
Il était une fois dans l’Est a été enregistré sur le coup de l’inspiration du moment, du flash de dernière minute, dans un climat de détente et d’amitié. Seul mot d’ordre: le plaisir. Qui risque d’être contagieux, alors que sur scène Gratton sera accompagné du batteur des Chiens, de certains musiciens de Monsieur Mono, des gens "qui privilégient la même esthétique sonore que moi, ce qui facilite la cohésion". Des goûts communs: les Beatles, Johnny Cash, Bob Dylan et pas mal de francophone aussi.
Avec ce nouvel album, Gratton semble avoir trouvé ses marques. La coquille est craquée, il lui reste à prendre son envol. Qu’il fonce. Et qu’il s’éclate. Le reste suivra. Il a le talent et l’enthousiasme requis.
Antoine Gratton
Il était une fois dans l’Est
Tacca Musique