Chloé Sainte-Marie : Poème moi non plus
Chloé Sainte-Marie, portée par les mots des Miron et Giguère, conjugue thérapie et poésie. Le résultat? Une pure honnêteté que les Québécois ont vite ressentie.
Quelques heures empruntées aux samedis lents de février, dans un hôtel du Vieux-Montréal portant le nom du premier de nos poètes maudits. Y a-t-il meilleur moment que cette froidure et meilleur lieu pour parler des trésors de la langue que Chloé Sainte-Marie et ses acolytes ont finement mis en musique?
"Je lis, je lis, je lis, et je retiens des textes qui me touchent. Sinon, je ne serais pas capable de les chanter." Après une autre longue journée de répétition, Chloé, allergique au thé, a fait 150 kilomètres pour une tasse d’eau chaude, deux rondelles de citron, et pour, bien sûr, expliquer les convictions qui l’ont menée à ce répertoire exigeant et méconnu constitué des poèmes des Miron, Roland Giguère, Patrice Desbiens et Alexis Lapointe. "Ce qui les relie, ce n’est pas la manière d’écrire autant que la manière de penser, ainsi qu’une certaine américanité…" poursuit Chloé à propos des textes qu’elle a choisis pour Parle-moi, série de poèmes en prose qui ignorent pratiquement tous la rime et qui se prêtent si bien à la mise en musique subtile et dépouillée de Réjean Bouchard: "Je veux pas juger la chanson, répète plusieurs fois Chloé, mais j’ai un problème avec la rime. Quand on écrit, on force sa pensée pour une rime, on fait des concessions. Ce que j’aime, c’est quand la rime est de surcroît. Or, dans la chanson moderne, on voit venir la rime. Il y a des poètes chez qui, quand ils pensent chanson, on dirait qu’ils réduisent leur quotient intellectuel. Comme s’il fallait que ce soit simpliste. Chez moi, l’intérêt pour la prose relève de mon éducation, je crois. La Bible, avec laquelle j’ai été élevée, c’est écrit en prose."
Avec des articulations plus souples qui les situent à quelque distance de la chanson actuelle, les albums de Chloé connaissent néanmoins un remarquable accueil: "Y’a un désir chez les gens de connaître la poésie, et aussi un blocage parfois, dit-elle. Après les shows, ils viennent me voir et me disent: "Je suis pas capable de lire de la poésie." Peut-être que ça nous fait un peu peur. On nous a appris à haïr beaucoup de choses à l’école, à craindre la différence des possédés qui sentent des choses. Verlaine et Rimbaud, c’était pas avant le cégep. De grands poètes comme Miron, ça crevait de faim."
Au-delà de cette véritable passion pour la parole, en ce qui concerne le chant, Chloé ne se considère pas à proprement parler comme une chanteuse. Et c’est peut-être ce qui lui confère cette extraordinaire spontanéité, ce qui donne à ses interprétations ce naturel désarmant: "Ça vient naturellement, et c’est comme ça que je chantais quand j’étais petite, avec beaucoup de pudeur et de retenue, sans pousser sur les mots ou sur la voix. J’exprime vraiment ce que je vis."
Connaissant son rapport avec Gilles Carle, affligé de parkinson dégénératif fatal, on ne s’étonnera pas que ce disque soit enveloppé des ailes amères du départ.
"Oui, la mort est omniprésente. Faut que je l’exprime, c’est un exutoire. C’est insupportable de voir quelqu’un mourir à petit feu. Si je faisais pas ça, je voyagerais, ou bien… quoi… je sais pas… C’est totalement intolérable autrement. Moi, c’est 24 heures par jour que je vis avec! Je passe pas faire des coucous de temps en temps. Sans ce drame, je crois que je serais tout de même allée vers la chanson et la poésie, mais le bonheur, on exprime ça en ayant un enfant."
Mise en nomination six fois à l’ADISQ et chouchoutée par la critique en pâmoison, autant pour ses trois albums que ses spectacles, Chloé Sainte-Marie a fait passer de surprise en surprise ceux qui ne se souvenaient d’elle qu’en actrice légère, vedette sexy de quelques films improbables des années 80. "J’aurais pu mieux apprendre mon métier s’il avait été possible de faire un film par année. Mais le cinéma au Québec ne marchait pas aussi fort que dans les années 70 ou maintenant, dit-elle. Les albums, c’est bien plus simple, dès que j’en termine un, je pense au suivant… Et la scène ensuite, ce n’est plus que du bonheur dès qu’on a maîtrisé un peu la technique. Avant d’y entrer, je sens un insupportable froid dans le corps… Mais ensuite, le monde n’existe plus. Dans le quotidien, je m’exprime difficilement. Mais sur scène, j’ai tout le talent de mes poètes dans la tête. J’ai découvert la beauté des mots des autres pour raconter mes chagrins et mes joies. Jamais j’oserais écrire ce que je vis! Ce serait indécent."
Tout au long de la tournée consacrée à Parle-moi, qui mène aux quatre coins de la province, Chloé ne prendra pas la route sans emmener ce qu’elle a de plus précieux, son bel amour: "Gilles? Ah oui, il vient. Tout le temps. Ce que ça serait bien si on avait un gros Winnebago adapté…"
Le 10 février à 20 h
Au Théâtre Belcourt
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