Diane Dufresne : Réinventée
Musique

Diane Dufresne : Réinventée

Diane Dufresne inaugure à la Salle Maurice-O’Bready son tout nouveau spectacle, justement intitulé Plurielle. Rencontre avec une artiste qui place l’inventivité au cœur de son travail artistique.

– Comment allez-vous, Madame Dufresne?

– Bof, vous savez…

– Êtes-vous en pleine…

– Non, je ne suis pas en pleine quoi que ce soit. C’est juste qu’il faut redevenir Diane Dufresne, et je ne m’habitue jamais à ça.

C’était un jeudi soir, quelques minutes avant la première répétition du nouveau spectacle de Diane Dufresne, Plurielle. La chanteuse semble agacée. L’entrevue téléphonique durera 20 minutes et, graduellement, elle se laissera apprivoiser, emportée par le plaisir de parler de son prochain show… Le lendemain matin, 9 h 02, le cellulaire sonne. C’est Richard Langevin, l’amoureux et gérant de Diane Dufresne. "Auriez-vous une petite demi-heure aujourd’hui? On aimerait reprendre l’entrevue avec vous. Les conditions d’hier n’étaient pas très favorables…" En 15 ans de journalisme, c’est la première fois qu’un artiste veut reprendre une entrevue. Par seul souci de donner sa pleine mesure. "Excusez-moi pour hier. Je tenais à vous reparler parce que quand on lance un nouveau spectacle ou un nouveau disque, il faut bien faire toutes les choses, et ce, dès le départ." L’anecdote en dit long sur le professionnalisme de la dame. Une grande dame du show-business qui, en 35 ans de carrière, n’a jamais triché son public. Pas surprenant qu’elle ait un si large bassin d’inconditionnels, probablement les plus dévoués au Québec.

Redevenir Diane Dufresne, vraiment? "Monter sur la scène, il n’y a rien de normal là-dedans. À part certaines personnes qui se prennent pour le bon Dieu, aucun artiste ne trouve ça normal." Il est en effet difficile de s’imaginer ce qui peut bien habiter un être humain à quelques jours du moment où il présentera une nouvelle création, fruit de longs mois de travail patient, d’incessants doutes et questionnements, d’éclairs d’imagination que l’on se dépêche de noter sur un bout de papier. Diane Dufresne emploie d’ailleurs à bon escient l’expression "écrire mon show": "Un spectacle, pour moi, ce n’est pas juste aller chanter des chansons les unes après les autres! Je commence l’écriture plusieurs mois avant la première, je note des idées à la main, sur les costumes, les chansons, la mise en scène, les éclairages, etc. Je me mets constamment à la place du public, me demande comment il réagira… Je fonctionne à l’instinct, comme un animal. Je travaille énormément le pacing, le choix et l’ordre des chansons. C’est très important, car toute l’énergie d’un spectacle part de là. Pour créer, il faut aussi une grande détente, il faut être paresseux pour laisser entrer en soi les choses qui allument. C’est pour cette raison que je vis pratiquement en sauvage… Mais, chose étrange, on a beau tout imaginer, c’est seulement lorsqu’on le fait qu’on sait si ça fonctionne ou non."

EN CONSTANTE RÉINVENTION

Pour Plurielle, toujours mue par la volonté de ne pas se répéter et portée par le sentiment que ce prochain tour de chant sera son dernier, l’artiste a imaginé un spectacle en quatre tableaux fort différents. Le premier, qu’elle nomme "Romantisme et Nostalgie", lui permettra de "fouiller dans [ses] anciennes tounes, juste pour voir sourire le public"… et de porter une nouvelle robe de star, une création de Mario Davignon. Dans le deuxième, qu’elle veut plus court et entièrement acoustique, elle interprétera quelques chansons de Kurt Weill, du récent spectacle qu’elle donnait en compagnie de l’Orchestre métropolitain, sous la direction de Yannick Nézet-Séguin, "pour tous les gens qui n’ont pas vu ce beau spectacle". Le thème de l’avenir et de la sauvegarde de la planète obsède presque la chanteuse depuis Détournement majeur (1993); ainsi, dans le troisième tableau, plus heavy, la chanteuse dira son inquiétude pour notre avenir en tant qu’espèce animale vivant dans un village global qui rapetisse chaque jour, une espèce qui flirte si facilement avec l’autodestruction: "Ça éternue au Danemark et on se mouche en France et au Liban! Nos problèmes sont désormais planétaires! Chaque être porte toutes les guerres, toute la pression et la folie furieuse du délire planétaire. À l’époque de Détournement majeur, je parlais d’écologie et j’avais l’air d’une extraterrestre; aujourd’hui, on a les pieds dedans. Je suis chanceuse d’être une vieille, je suis encore dans le bon temps. Je plains les jeunes qui seront pognés avec ça. Avant, il y avait un peu d’espoir, mais là…" Je lui cite la superbe phrase de Réjean Ducharme "Je suis un désespéré qui ne se décourage jamais". Elle enchaîne: "C’est vrai, on peut avoir perdu tout espoir mais garder courage. On peut encore faire quelque chose, ne serait-ce que chanter devant des gens, leur apporter un moment d’amour et de partage. L’amour est tout de même la plus belle prière qui soit."

Comme une ultime réponse à cet avenir plus qu’incertain, Diane Dufresne propose, avant la tombée de rideau, un quatrième tableau qu’elle intitule "Folie douce": "J’ai souvent chanté la folie, mais cette fois-ci, j’ai envie de l’aborder sous un angle positif. Par son côté créateur, disons. Je vais chanter Brel, Bélanger et Rivard… Je suis étonnée de trouver des gens qui écrivent encore sur ce sujet avec beaucoup de tendresse…"

Autre bonne nouvelle pour les fans, quatre nouvelles chansons jalonnent Plurielle, dont trois écrites par la chanteuse elle-même (l’autre, Partager les anges, étant de Roger Tabra): "Ce sont des chansons plutôt lourdes. Parfois, il faut délaisser la légèreté pour dire les choses qui nous tourmentent. J’aurais pu en inclure d’autres, magnifiques, qui ont récemment été écrites pour moi, mais elles ne cadraient pas dans le concept du spectacle. Pour un prochain album, peut-être…"

Flanquée d’une solide équipe de créateurs et de musiciens, Diane Dufresne se dit ravie de partir une fois de plus en tournée: "Je suis comme Molière, je vais voir les gens là où ils sont. Car c’est pour eux que je porte une gaine qui m’étouffe, que je fais quatre changements de costume à 60 ans, que je vis encore sur la corde raide après 35 ans, et que je ne m’appartiens plus, le temps d’un show…"

Le 11 février à 20 h
À la Salle Maurice-O’Bready
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