Eddie Palmieri : De main de maître
Musique

Eddie Palmieri : De main de maître

Eddie Palmieri était passé par chez nous il y a déjà huit ans. Le petit taureau du piano latin est toujours fougueux. Un authentique leader qui gagne encore des trophées et n’arrête pas de tourner.

Quand on parle de salsa ou de jazz latin, Eddie Palmieri est vraiment un incontournable. Avant son fameux album Sun of Latin Music, il y a 30 ans, il n’y avait même pas de Prix Grammy pour les artistes jazz ou pop d’obédience hispanophone.

"Imagine-toi qu’on a dû se battre pendant 17 ans avant que l’Académie du disque aux États-Unis n’accepte de créer une première catégorie pour représenter tous les musiciens latins du monde et les styles différents dans lesquels ils s’illustrent."

Au téléphone depuis New York, le señor Palmieri est débonnaire et généreux, amical et respectueux. Rien de la terreur qu’on m’avait décrite à plusieurs reprises en parlant de ce chef d’orchestre redouté. Je l’avais vu au Blue Note à New York avec Ray Barretto et j’avais été passablement impressionné par son autorité. Il faut dire que le bonhomme a milité pour la cause. En tout, 14 nominations depuis 76 et un huitième trophée Grammy, plus tôt ce mois-ci, pour son superbe album Listen Here! où le maestro se paye la traite avec une collection de grosses pointures du jazz américain.

D’origine portoricaine mais natif du Bronx, Eddie Palmieri a vécu aux premières loges l’éclosion de la salsa et les bouleversements sociaux dans le Spanish Harlem des années 50 et 60. Embrigadé très jeune dans l’orchestre de son oncle, ce benjamin qui trônait derrière les timbales vouait d’abord une admiration fervente à son aîné de six ans, Charlie Palmieri, qui faisait déjà sa marque comme pianiste. Jusqu’au jour où sa mère lui dit: "Pourquoi tu ne joues pas du piano? Tu n’en as pas marre de te casser le dos à transporter tout cet attirail de percussions?"

Eddie est un fougueux. Et il joue fort. En 1955, dans le Conjuto Orlando Marin, on lui montre la porte et on l’accuse d’être un casseur de piano. "L’autre pianiste avant moi avait été accusé de la même faute, rigole encore Eddy. C’était un instrument vraiment cheap avec des marteaux bien trop faiblards."

En tout cas, tonton Eddie n’est pas là pour caresser son clavier. Avec lui, faut que ça groove. Les accords étriqués, le degré de difficulté sont omniprésents aussi. Pour mettre de la chair autour de l’os. Et pour donner à la salsa ses lettres de noblesse sans jamais oublier que cette musique se danse. Ce qui ne l’empêche pas, sur son dernier opus, de saluer Bud Powell, Thelonious Monk et Horace Silver. Mais quand on lui en parle, il décline une liste impressionnante de claviéristes de jazz en spécifiant l’importance de chacun.

"Je suis assez fier d’avoir pu imposer ma signature pianistique. Il faut rester moderne et enrichir l’harmonie mais avec des figures qui soient toujours complémentaires des structures rythmiques."

Leçon du maître. Les trombones et la flûte dans la section des cuivres où dominaient jadis les trompettes tonitruantes, c’est lui aussi. Pourtant, Palmieri, c’est aussi une carrière en dents de scie marquée par une certaine malchance, une instabilité chronique dans ses rapports avec les compagnies de disques et un retour tardif et raté vers Porto Rico. Ses prises de position à l’époque des Black Panthers avec des disques mémorables comme La Jusiticia et La Verdad (la justice et la vérité) lui ont peut-être valu quelques ennemis. Proche de sa communauté dans les époques mouvementées, Palmieri a une force de caractère qui a marqué tous ses choix. Géré aujourd’hui par son fils, conseillé par sa fille, le maître n’est pourtant pas amer. Il dirige de main de maître un orchestre rutilant de 10 musiciens et l’enthousiasme ne faiblit en rien.

"J’ai la conviction que cette musique est là pour rester et qu’elle sera toujours présente. Il n’y a qu’à voir la quantité et la diversité de jeunes artistes latins qui s’engagent de plus en plus un peu partout. Salsa, timba, reggaeton, de multiples formes de danse nouvelles aussi. C’est d’une grande vitalité."

Plein de vitalité comme un boss, à 70 ans bientôt, il ne veut rien entendre du farniente.

"La retraite, pour quoi faire? Je ne crois pas aux formules du genre "semi-retraite" pour les musiciens d’un certain âge qui se sentent fatigués. On vient de boucler 300 concerts avec le groupe. Ça va de l’Espagne à l’Australie. Dites-leur que je ne passerai plus jamais huit années sans venir à Montréal."

Et il éclate de rire… Ça promet!

Le 24 février
Au Métropolis
En première partie: Yoel Diaz
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