Malajube : Malades imaginaires
Musique

Malajube : Malades imaginaires

Malajube, un an après être tombé dans les meilleures grâces des critiques et des mélomanes avec son indie-pop accouplée à une énergie punk, est de retour avec un album déjà inscrit dans nos palmarès de l’année en cours. Rencontre avec nos jujubes préférés.

Il y a un peu plus d’un an, en décembre 2004, au moment où le tourbillon automnal de la rentrée retombe juste avant les Fêtes, tout bonnement, mine de rien, Le Compte complet de Malajube s’était retrouvé sur nos bureaux. Une plaquette qui allait extirper les critiques de leur torpeur avec ses 23 minutes ahurissantes, un alliage inespéré de pop acidulée et d’énergie punk, des textes déjantés, en français, qui savaient, pour une fois, éviter l’absurdité prévisible et si souvent rencontrée dans les textes des groupes d’ici, ou encore l’hyperréalisme tout aussi régulièrement croisé chez nos groupes: bref, un ovni dans la galaxie du rock en français made in la Belle Province. Un disque fait à la "va comme je te pousse", dixit Julien Mineau, chanteur de la formation de retour avec un second opus plus consistant, Trompe-l’œil. Déjà, un peu partout, on déclare que "2006 sera l’année Malajube". Après de nombreuses écoutes fébriles de ce disque qui rend dingue, on vous le confirme: se gaver de jujubes rend gravement malade. Malade de Malajube.

MYSTÉRIEUSE CITÉ 2000

Malajube tricote ses chansons hallucinées dans l’intrigante Cité 2000, à Montréal, près de la station Papineau. C’est dans un petit local surchauffé et mal insonorisé, calé entre une caisse de disques et un masque de poulet, installé dans un vieux fauteuil crevé situé sur la mezzanine juste au-dessus de l’endroit où le groupe pratique, que Voir est allé à la rencontre du chanteur, principal parolier et guitariste de la formation, aussi réservé en tête-à-tête qu’extroverti une fois monté sur scène. Pendant que, tout doucement, le reste du groupe, juste en dessous, jouait les chansons du nouveau disque.

"Quand on l’a composé, on était pas mal plus maganés qu’en ce moment. Maintenant tout va bien pour nous parce qu’on est des petits anges, on fait rien de pas correct, même la drogue on n’en prend quasiment plus…", assure avec un drôle de petit sourire en coin le chanteur.

"Depuis mars dernier, on peut vivre de notre musique, de l’argent qu’on fait avec les concerts et des subventions. Pour nous, ça marche. Avant, je faisais des cartes d’affaires, je fabriquais des petits objets pour le cinéma, de faux paquets de cigarettes, par exemple… et même des pochettes de Malajube. Quand j’ai commencé à me faire demander des autographes au comptoir, j’ai abandonné tout ça pour me consacrer entièrement au groupe. Mathieu (Cournoyer, à la basse) fait encore un peu de courrier à vélo pour payer l’ampli… Si on avait signé avec une grosse compagnie, on n’aurait pas ce genre de problèmes, s’interrompt-il. Mais on aurait trahi un paquet de monde."

Des offres alléchantes, Malajube en a reçu, et plus d’une. Pensez aux plus importantes compagnies de disques: toutes sont venues cogner à la porte du local miteux de Malajube un jour ou l’autre. "On nous offrait de l’argent à l’infini pour des clips, du temps à l’infini, des montants 10 fois plus importants que ceux avec lesquels on arrive à se débrouiller. […] On a hésité. Une semaine, la moitié du groupe voulait, l’autre semaine, on changeait d’idée… On était pas assez sûrs."

Mais, finalement, le quatuor devenu quintette pour les besoins du concert ("c’est complexe, il y a parfois jusqu’à 100 tracks par toune") est resté chez Dare To Care, un petit label reconnu pour son flair en matière de groupes punk (La Descente du Coude, The Sainte-Catherines) qui grandit avec Malajube et se montre tout à fait capable de s’adapter à l’ascension de son poulain racé, de le nourrir à sa faim et de s’engraisser avec lui.

Tellement que le groupe, sur le point de lancer ses albums en France et aux États-Unis, vient aussi de remporter le prix Tour Scandinavia qui lui permettra d’aller se faire voir en Suède, en Finlande et autres pays voisins. D’ailleurs, tout ça les dépasse un peu… "On a remporté un concours auquel on n’avait même pas participé! Un jour, un booker nous a envoyé un courriel nous demandant de faire une version anglaise de notre site Web et qu’il allait s’occuper de nous inscrire. Le lendemain, on apprend qu’on a gagné! […] Des petits bands new-yorkais nous en veulent."

MALADIE GRAVE

D’abord cette pochette belle à brailler, qui rappelle à la fois le dépouillement du disque de Gonzales, la fascination pour les organes internes du corps humain sur In Utero de Nirvana, ou encore la poésie anxiogène de L’Écume des jours, roman phare de Boris Vian, pour l’idée du nénuphar qui croît sur un poumon; ici, c’est un "jujube sur mon cœur", un poumon, une racine et une fleur qui, ainsi assemblés, dessinent un oiseau.

Ce disque a vu le jour à la suite d’un accouchement beaucoup moins douloureux que pour le premier. "Si on n’avait pas eu un deadline aussi rapproché, on se serait sans doute éternisé et ce serait probablement devenu aussi chaotique que pour Le Compte complet. À un moment donné, il faut arrêter, sinon tu vires ça de mille et une façons et t’en finis plus."

Sur Trompe-l’œil, Malajube se paye le luxe de collaborations avec Loco Locass et Pierre Lapointe, réinvite Valérie Jodoin-Keaton (claviériste pour les Dears). Mais le plus saisissant, ce qui nous laisse éberlué quand on sort la loupe pour regarder de plus près, ce sont les textes. Au départ, on se dit que les paroles sont comme la porte d’une caverne qui ne s’ouvre pas quand on hurle "Sésame" à l’entrée. Puis, on se rend compte qu’il est beaucoup question d’amour et que pour écrire des trucs aussi délicatement ficelés que "Quand tu rugis, tu rougis, la bouche pleine de confettis et tu danses, danses, toute la nuit" (La Monogamie), ce Julien Mineau doit vivre de rock, d’amour, d’eau fraîche. Mais voilà qu’on apprend que derrière chaque chanson, une maladie se terre. Sans blague. "J’ai des tendances hypocondriaques", dit-il.

À propos de sa maladie, le chanteur de 24 ans se fait très loquace, s’enflamme tout à coup, et nous apprend que Montréal -40 oC, premier simple de l’album, réfère à un rhume de sinus, que St-Fortunat aborde le sujet de la bipolarité, que La Russe, avec Loco Locass, parle du syndrome Gilles de la Tourette, que Pâte filo, sous ses dehors de bluette amoureuse, renvoie à une affliction que Malajube ne souhaite à personne, la fissure anale. En jasant avec ce Julien Mineau, on apprend l’existence de toutes sortes de maladies dont on ne soupçonnait même pas l’existence. "C’est tout le temps ça qui m’arrive; quand j’étais jeune, il m’a même poussé des seins! Mais ma plus grande crainte serait de me faire opérer, ça c’est le sujet de Ton plat favori. Imagine qu’on doive t’opérer à cœur ouvert, imagine la semaine précédant l’opération, quand on t’annonce qu’il faut que tu te rases le torse…"

On imagine, on imagine… Et si jamais l’opération tourne mal, on lègue notre cœur à Malajube.

Trompe-l’œil
Dare To Care

Concert le 22 février
Au Café du Palais