Bénabar : Le kangourou chantant
En dix ans, Bénabar est devenu un phénomène en France, le chanteur populaire par excellence, avec ses chansons drôles et tendres. Rencontre avec le phénomène dans sa loge parisienne.
En plein Paris, à la mythique salle des Folies Bergère, un kangourou bondit, tourne sur lui-même, sue et frémit. Puis rebondit encore. Applaudissements hystériques. Déferlante de joie, de rires. Bénabar a la cote, il le sait, et s’en réjouit. Pendant deux heures, il peut remiser sa timidité et sa nervosité (bien palpables en entrevue), pour devenir une bête de scène irrésistible, un kangourou qui saute partout, s’approprie les planches comme peu savent le faire.
Il rejoint un vaste auditoire: élégants trentenaires comme lui, jeunes intellos dans la vingtaine, parents, grands-parents et… enfants. Il fallait les voir, ce soir-là, les mômes enthousiastes, emmenés par leurs parents. Bénabar, une sortie familiale? De père en fils, ça tape dans les mains à toutes occasions, ça chante avec le chanteur. Et ça bondit. Décidément. Un public kangourou.
Même si la chaleur est intenable au balcon, qu’on ne voit pratiquement rien, que la musique bouffe les paroles (essentielles, chez Bénabar), on tombe sous le charme du chanteur, ironique observateur de nos travers intimes: "Je ne me complais pas dans le populaire, je n’ai pas non plus la haine des intellectuels. Je me méfie seulement des faux intellectuels snobs. Contrairement à plein de gens, je trouve que le côté grand public, pour un chanteur, est très noble. Ce qui ne m’empêche pas d’aimer à la fois Michel Delpech et Alain Bashung ou Tom Waits", nous confie Bénabar dans sa petite loge des Folies, une heure avant son concert.
À l’heure du vin et des clopes, consommés avec angoisse, ça se lit dans son teint, blafard: "Le succès permet des conditions de tournée et de vie plus confortables, mais la pression, le stress augmentent aussi. Par nature, je me mets déjà de la pression tout seul, alors tu vois… J’ai toujours été hyper-nerveux et anxieux, mais j’essaie de résister pour ne pas sombrer là-dedans."
Mais au-delà des aléas, des malaises du chanteur populaire, il y a chez Bénabar une jubilation permanente: celle que procurent ses chansons. Une poignée d’albums en dix ans, une écriture précise, raffinée, des observations hilarantes. Un regard posé sur les choses, des histoires racontées de biais, par l’anecdote. Ainsi, sur le dernier opus, Reprise des négociations, qui vient tout juste de paraître chez nous, l’amateur de chanson française a souvent de quoi se régaler. Le Méchant de James Bond est un superbe exemple du style Bénabar, fait de détours, de références à la culture populaire, de dérision et de tendresse: "Il voudrait être un méchant de James Bond / Pour menacer la planète / Et soumettre le monde / Armé jusqu’aux dents dans un repaire qu’il imagine / À l’intérieur d’un volcan ou dans une base sous-marine / Il aurait un rire sardonique qui inspire la terreur / Pas trop sardonique quand même / Parce qu’il sait pas ce que ça veut dire". La chanson va bon train, on rigole, puis soudain: "Peut-être même que sa femme annulerait le divorce, et aucun juge n’aurait l’audace de le priver de ses gosses". De la fantaisie au constat d’une injustice sociale, voilà Bénabar dans toute sa splendeur.
Une utilisation du langage quotidien qui est chère au chanteur populaire: "Ce qui est important, c’est qu’on suive la chanson et qu’on comprenne ce que je raconte. Je ne vais pas essayer de montrer que je suis un intello et que je connais des mots compliqués." Grand lecteur? "J’ai du mal à lire des romans. J’ai un peu le défaut des trentenaires urbains qui lisent beaucoup les journaux, qui regardent trois fois par jour les infos à la télé." Mais ses chansons racontent admirablement la société dans laquelle nous vivons, avec juste ce qu’il faut de romances et d’histoires romancées pour faire de lui un chroniqueur de nos sentiments, toutes générations confondues. Populaire, quoi.
Bénabar
Reprise des négociations
(Phaneuf Musique)