Émilie Simon : La marche d’Émilie
Émilie Simon, princesse électro-pop, revient avec un troisième album au parfum entêtant et délicat, Végétal, après le triomphe de sa sublime bande originale, La Marche de l’empereur.
Samedi dernier aux Victoires de la Musique (les Félix français), Émilie Simon remportait le trophée de la meilleure bande originale de film avec La Marche de l’empereur, une symphonie hivernale qui nous avait foudroyé au printemps dernier. Nous avions d’ailleurs été surpris d’apprendre que les producteurs américains du film avaient décidé, cavalièrement, de retirer la musique d’Émilie pour la remplacer par une partition plus conventionnelle, made in USA! "Quand les distributeurs américains ont été intéressés par le film, ils ont pris le film tel quel, mais ils ont eu envie de le personnaliser, de l’américaniser pour le public. Ils ont donc retouché légèrement le montage, changé le système de narration et mis une musique typique de documentaire animalier à la place de la mienne." Proprement scandaleux, surtout si on considère que c’est la musique d’Émilie qui porte le documentaire de bout en bout, qui l’élève dans des sphères de beauté infinie: "Ça n’aurait pas dû arriver. C’est une oeuvre, il faudrait respecter les choses comme elles existent, ce film a récolté un succès mondial tel qu’il est, ça a été assez décevant pour moi de voir la réaction des distributeurs américains, mais en même temps, c’est davantage un souci marketing qu’artistique pour eux…"
Au bout du fil, Émilie Simon ne s’emporte pas, la voix demeure celle que l’on apprécie sur disque: d’une frêle douceur de gamine. Un style bien à elle, qu’elle peaufine avec un soin maniaque afin d’offrir des chansons éthérées, enveloppantes, rêveuses. De la beauté pure. "Musicalement, avec La Marche de l’empereur, j’ai eu l’occasion de travailler encore plus les arrangements ainsi que sur une identité sonore, un travail commencé sur le premier album, mais qui n’était pas encore très affirmé, c’était le premier pas. Avec La Marche, j’essayais de faire une musique encore plus imagée, avec des instruments qui m’évoquaient le paysage et la sensation de froid. Je le considère comme un vrai album, mon second, mais avec la particularité qu’il s’articule autour des images du film."
Aujourd’hui, Émilie frétille d’impatience, ça s’entend dans sa voix. Son nouveau-né s’appelle Végétal, un CD longuement mûri: "Au départ, je n’avais pas décidé de parler du monde végétal. Mais, à la suite de mon premier album, j’ai décelé des éléments végétaux dans les nouvelles chansons que j’écrivais. Des noms de fleurs qui faisaient irruption dans mes textes. À partir du moment où j’ai vu ce lien-là, c’est devenu un peu obsessionnel, je m’imaginais des situations autour de cet élément et j’avais en tête des images très contemplatives d’un petit monde parallèle: un lac, des roseaux, cette fleur de lotus, un arbre-piano", raconte joliment cette grande lectrice de mangas japonais.
"Un univers s’est créé au fur et à mesure que les chansons venaient. Mais Végétal, c’est aussi une poétique sonore. J’ai utilisé des matières brutes, comme l’eau, le feu, le bois, l’air et je m’en suis servie dans leur musicalité. J’ai enregistré des bruits, que j’ai intégrés, retravaillés pour en isoler certains passages pour fabriquer une programmation, une rythmique issues de ces matières-là."
Il y a dans Végétal un désir de s’enraciner, vite contrebalancé par une musique électro-pop planante, des cascades de cordes envoûtantes: "C’est un peu un retour aux racines pour moi, avec la sève, des choses qui nous ramènent à ce qu’on est vraiment. Parallèlement aux cordes, j’ai aussi voulu ancrer également ma musique en développant les basses et les rythmiques. J’ai essayé de creuser, car je sais que je peux m’envoler très vite, très facilement dans l’espace, l’éthéré, le côté léger des sonorités."
Si, par le passé, Émilie Simon ressemblait à une fée, adolescente joueuse avec des coccinelles sur le dos, l’image qu’elle nous renvoie avec ce nouvel album est celle d’une jeune femme aux traits mûris, d’une élégance anachronique. Une fugitive princesse diaphane, prête à s’évaporer pour laisser place à ses chansons aristocrates, compositions subtiles et fortes: "Pour moi, Végétal, c’est un conte. Un recueil de petites histoires intimement liées, avec des personnages oniriques, hybrides, qui évoluent dans un univers un peu étrange. Même si je suis très bien dans mon époque, je n’ai pas envie de dater mes disques, je veux qu’ils correspondent à un moment suspendu." Parfaite réussite, Émilie.
Émilie Simon
Végétal
(UNIVERSAL)