Hawksley Workman : Douce apocalypse
L’imprévisible Hawksley Workman rapplique avec un cinquième album tendre et introspectif, aux doux airs de fin du monde. Un exercice pour se rappeler ce qu’il préfère de la musique, et aussi pour conserver trace de toutes ces émotions en voie d’extinction.
"Je suis au poste de police", lance d’emblée un Hawksley Workman joint à Toronto, entraînant malaise et inquiétude à l’autre bout du fil. A-t-il de nouveau sombré dans l’abus de substances plus ou moins licites? S’est-il retrouvé coincé entre deux gangs de rue hostiles aux abords de Yonge Street? Est-il soupçonné de conspiration terroriste? Peut-être préférerait-il remettre l’entretien à un moment ultérieur? "Je me suis fait voler mon portefeuille, tempère-t-il. C’est pas mal la chose la plus excitante qui me soit arrivée dernièrement; le reste de ma vie est plutôt ennuyant: on a sorti un disque, on répète pour la tournée. Une petite vie très normale…"
ACROBATE SANS FILET
Vous aurez deviné, c’est une vie tout sauf normale que mène le natif de Bay Lake, désormais installé dans la Ville Reine. Flamboyant danseur de claquettes, multi-instrumentiste chevronné, chanteur au timbre perçant, auteur à la plume incisive, compositeur prolifique et réalisateur assidu, Hawksley fait hausser bien des sourcils au Canada et à l’étranger depuis la parution de ses premiers albums, For Him and the Girls et (Last Night We Were) The Delicious Wolves, au début des années 2000. En 2003, il délaissait un brin sa pop acrobatique aux effluves de piano bar pour un album résolument plus rock, Lover/Fighter, production léchée ayant laissé plusieurs fans des premières heures un tantinet déconcertés. Mais le voilà qui rapplique avec son disque le plus épuré et personnel à ce jour, Treeful of Starling (Universal). "Je crois que, dans un sens, l’idée était de mettre de côté tous les trucages et de ne conserver que l’essentiel", explique-t-il, recevant son congé de la force constabulaire. "Je me suis installé dans mon petit appartement et je n’ai utilisé que du vieil équipement vintage, rapporte-t-il. J’ai travaillé avec un vieux huit pistes, sans aucune forme de technologie moderne. Et tout le processus s’est fait assez rapidement: j’ai enregistré tout l’album en cinq jours environ, en mettant vraiment l’accent sur la performance; je faisais une ou deux prises pour chaque piste et j’avançais sans trop penser à tout ce qui se passait, en laissant les choses venir très naturellement, en essayant de me laisser entrer pleinement dans le moment présent, au lieu de tenter de créer ce moment…"
L’APOCALYPSE POUR ENFANTS
Encore une fois sur ce disque, Workman joue de presque tous les instruments, en plus de signer la réalisation; seuls quelques cordes et cuivres sont l’oeuvre d’invités. En neuf simples et prenantes chansons à base de piano et guitares sèches, le folk s’acoquine au country, les ballades et les valses se fondent en une sorte de grande comptine célébrant joyeusement la fatalité. "J’aime bien le qualifier d’album apocalyptique pour enfants", lance-t-il, s’esclaffant devant l’étonnement confus de l’intervieweur. "C’est un album que l’on peut entonner", précise-t-il, ajoutant ne pas y délaisser sa triade de thématiques fétiches, soit Dieu, la Mort et le Sexe. Mais c’est sur de guillerettes mélodies que Workman s’abandonne et chante la cruauté de l’amour, l’implacable mortalité et diverses autres plaies de la condition humaine, engendrant de savoureuses pièces telles Hey Hey Hey ou When These Mountains Were the Seashore.
C’est toutefois avec la divine You and the Candles, évoquant par moments un Syd Barrett dans tout son gai délire, que l’on pourrait résumer l’essence de Treeful of Starling: dans un futur dépourvu d’argent, voitures, avions, téléphones, industries et électricité, c’est à la lueur des chandelles qu’il contemplerait sa belle en lui chantant la pomme. Un chapelet d’émotions vives, crûment mises à nu. Des sentiments forts, immortalisés pour la postérité, comme si l’on en craignait l’extinction. "On a effectivement l’impression que plus vite vont les choses, plus vite on s’en remet aux jeux vidéo, dans une culture qui s’éloigne des émotions et de toute forme de sensibilité humaine. Parfois, on sent que s’y consacrer est une responsabilité primaire lorsqu’on fait de la musique; qu’il existe véritablement des émotions et qu’elles se retrouvent au devant de la musique, parce que ça serait tellement facile aujourd’hui de ne plus rien ressentir", poursuit-il, confiant ne plus posséder de téléviseur, pour une simple et bien bonne raison: "C’est vraiment difficile de l’allumer et de voir tout ce qui se passe sans se sentir troublé et frustré. Je dirais que d’après ce que je peux voir et comprendre, nous sommes plutôt dans la merde à l’heure actuelle, à cause de la manière dont nous nous comportons et dont nous cautionnons les politiciens. Je dirais qu’il y a beaucoup de nettoyage à faire, et que si nous ne nous y mettons pas tout de suite, il faudra s’attendre à davantage de problèmes dans les années à venir…"
LES BLUES DU BUSINESSMAN
Si un objectif prédominant a gouverné la conception de ce dernier opus, c’était pour Workman de revenir à ce qui lui plaît le plus de son art. "La musique a pour but d’être jouée", résume-t-il, soulignant au passage qu’il sera accompagné d’un seul pianiste (Mr. Lonely) pour la présente tournée. "Ce disque n’a pas été conçu à l’aide de machines ou sous une quelconque forme de pression, autre que celle de devenir exactement ce qu’il est. C’est un disque avec de vraies voix, de la vraie musique et de vrais instruments. Puis c’est ce que j’aime de la musique… Tu sais, ça a très peu à voir avec l’engouement média ou les annonces télévisés, ou avec tout l’aspect "affaires" de la chose, qui peut vite te faire oublier la musique. Une fois que tu te retrouves dans l’industrie, tu te rends compte qu’il y a beaucoup plus de business que de musique, bien souvent. Alors il faut trouver un équilibre. Je me souviens que plus jeune, je jouais de la musique toute la journée. Aujourd’hui, je passe le plus clair de mon temps au téléphone. Mais il y a toujours du temps et un endroit pour la création. Sinon, il faut les trouver", insiste-t-il, reconnaissant néanmoins apprivoiser le rôle du businessman. "J’adore ça. Absolument. Car oui, ce n’est qu’un stupide jeu, mais un jeu amusant et divertissant…"
Le 17 mars à 20 h
Au Cabaret du Capitole
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