Marie-Jo Thério : Le vent du large
La lumineuse Marie-Jo Thério réapparaît au Québec avec ses Matins habitables, après une nuit d’absence dans la rumeur parisienne.
Il y a deux ans et demi, motivée par des raisons personnelles, Marie-Jo Thério quittait les grands espaces du Québec pour le romantisme de Paris. Là, en plus de monter un spectacle éclair destiné à de petites salles de Montmartre, elle dévoilait des parcelles de son univers éclaté sur un album éponyme, qu’elle lançait plus tard ici sous le titre Les Matins habitables. Doucement, son quotidien prenait d’autres courbes, se moulait à d’autres impératifs. Bien qu’absorbée par ses activités dans l’Hexagone et par la conception d’un disque anglophone, l’Acadienne à la chevelure d’or n’a pas oublié sa terre d’adoption. Elle est de retour dans la Belle Province le temps d’une tournée printanière. "Ça me semblait juste évident qu’il fallait que je vienne faire mon petit tour ici pour véhiculer ce que je vis depuis deux ans et demi", dit-elle au téléphone.
UN NOUVEAU PORT
Sa voix mâtinée de soleil vole comme un papillon. Chacun des mots qu’elle prononce est accompagné d’un souffle de vie. Marie-Jo Thério rayonne tellement qu’on ne peut s’empêcher de lui demander ce qui l’habite depuis les 30 derniers mois. "J’ai voyagé beaucoup, même si j’étais en France. Je suis allée à Haïti, au Salvador, au Guatemala, au Burkina Faso, au Sénégal, au Maroc aussi un peu… Mais la France est devenue l’équation à changer, c’est-à-dire qu’au lieu de revenir dans ma petite maison de Verchères quand je faisais mes spectacles, je rentrais dans un studio de son à La Frette, en banlieue de Paris. C’était de là que je devais apprendre à rebondir avant de prendre mon envol. Il y a quand même eu certaines périodes d’errance à travers cette déportation-là, si je peux dire. (rires) Quand on part comme ça au bout du monde, c’est le fun d’aller passer un mois ou deux à Paris. Mais, quand tu fais "Oups! C’est vrai. Ta vie, c’est ça", il y a une période où il faut que tu saches comment tu vas faire pousser tes racines et dans quel sens. Moi, je me rends compte que, dans le fond, il y a toujours eu trois racines principales comme je suis une francophone d’Amérique. J’ai des racines acadiennes, des racines d’adoption très, très fortes au Québec – j’ai passé plus de temps au Québec qu’en Acadie dans ma vie – et j’ai toujours eu, comme tous les artistes, un rapport avec la France. Là, c’est le même triangle, mais l’équation est un peu différente. Et je dois m’ajuster à ça." Ce changement l’amène d’ailleurs à lire le monde autrement. La distance qui la sépare du Québec et du Nouveau-Brunswick place ses souvenirs dans un ordre différent. "Je me suis mise à avoir un regard très tendre, très intimiste parfois, avec des choses très précises de la petite enfance, de Moncton, de certaines amitiés, raconte l’auteure-compositrice-interprète. J’évoque le poète Gérald Leblanc (décédé l’an dernier) sur cet album des Matins habitables, parce qu’il y a quelque chose de très spécial dans cette amitié, dans cette relation que j’ai en tant que chanteuse, en tant que femme aussi, avec cet artiste-là, qui véhicule une réalité très précise de Moncton, qui fait un peu la fête de cet endroit-là. Et moi, ça me faisait du bien d’interpeller ces choses-là lorsque j’étais au bout du monde. De chanter Évangeline sur un album, c’est quelque chose que je n’avais jamais fait non plus. Mais là-bas, j’avais toutes les raisons du monde de chanter cette chanson. C’était vraiment ça. Il y avait dans cette chanson quelqu’un qui était dans un espace géographique incertain, mais qui était tellement enraciné dans son coeur, dans sa capacité d’espoir."
Et c’est tout cela que l’âme errante partagera avec le public québécois. Elle jonglera aussi avec l’humour. "Les chansons que je fais dans le spectacle, ce sont essentiellement les chansons qui sont sur Les Matins habitables. Je fais quelques pièces des albums précédents et peut-être deux ou trois clins d’oeil d’interprétation. Et il y a toujours une part d’improvisation dans mes spectacles ", s’exclame celle qui sera accompagnée par des musiciens différents chaque soir. "Des fois, les gens vont dire: "Toi, tu aimes ça déconcerter!" Non… ce n’est pas vraiment ça. Mais j’aime être provoquée sur scène. C’est bon pour déstabiliser les rôles, les clichés du chanteur et de ses musiciens. Moi, je trouve que c’est bon pour la santé mentale. Juste pour ne pas trop s’embourber dans des caricatures de soi, dans des certitudes ou dans des conforts sur scène."
JETER L’ANCRE, UN MATIN
La conversation glisse vers le large. Les idées voyagent. Puis, une dernière question naît d’elle-même. Elle porte sur la nature véritable des matins habitables. Rêveuse, la femme au coeur d’enfant répond: "Moi, j’aime vraiment cette idée que, des fois, entre deux intensités, entre deux essoufflements, entre deux élans, entre deux passions, entre deux orages, entre deux saisons, entre deux plein de choses, il y a un espace. Et le lever du soleil est un espace. Je dis ça… Malheureusement, je vais avoir la franchise de te dire que je ne me réveille pas très tôt le matin. Donc, je ne connais pas quotidiennement les matins très tôt, mais ce n’est pas important. (rires) Les matins, ce sont les matins, le rituel de l’éveil des sens: l’odeur du café, le choix de la musique, le choix de la tasse pour le café, le choix de comment aborder la journée. Il y a quelque chose d’extrêmement sacré et apaisant."
Du 16 au 18 mars à 20 h
Au Maquisart