Stereolab : Une création sans fond
Musique

Stereolab : Une création sans fond

Stereolab nous fait cadeau d’un nouvel album et d’un concert. Entretien avec Tim Gane, un des fondateurs de cette formation qui traverse les épreuves et le temps avec une grâce renouvelée.

Déjà 15 ans qu’on se love dans les chansons-bulles de Stereolab. Plus que tout autre ensemble, la formation franco-britannique a toujours su façonner une musique enveloppante, introspective, qui escorte le citadin tout aussi bien dans ses balades à travers la ville que lors de ses virées en forêt. Fab Four Suture, le dernier Stereolab, saisit dès la première écoute par son recours aux cuivres et notamment au cor français, qui appuie avec délicatesse et efficacité la voix de Laetitia Sadier sur un morceau tel que Get a Shot of the Refrigerator, et qui le faisait déjà, il est vrai, sur Baby Lulu notamment (SoundDust, 2001): "On avait déjà fait usage des cuivres sur d’autres disques, mais pas depuis un petit bout de temps, avance Tim Gane, un des piliers du groupe qui amorce sa tournée américaine. On est retourné aux cuivres pour aller vers un son précis, que l’on recherchait. À la base de cet album, il y a de très petites découpures de loops et de samples. La pièce Kyberneticka Babicka, par exemple, qui ouvre et clôt l’album, est le résultat d’un long processus. On a assemblé 32 sections, à partir de petites découpures de musique des années 60 qu’on faisait jouer en boucle; ça donnait un son très embrumé, limite cacophonique. Puis on a demandé aux musiciens de jouer ce qu’ils avaient entendu: un exercice assez ardu." D’où également la facture plus organique de la nouvelle galette.

Fab Four Suture n’est pas tout à fait un nouveau "long-jeu" (pour ça, il faudra attendre 2007) puisque sur 12 morceaux, 3 ont été lancés en septembre dernier sur un 7 pouces édition limitée et 3 autres sur un autre 7 pouces qui paraît également en ce mois de mars, de quoi ravir les collectionneurs.

Qu’est-ce qui motive un groupe à larguer ainsi sa musique? "Je ne suis pas ce qu’on appelle un songwriter, j’aime jouer avec la musique, la laisser s’installer dans son espace. Lorsqu’on prépare un album complet, on pense la musique différemment. On a toujours fait la musique qu’on souhaitait faire. Quand on se transforme, c’est parce qu’on a envie d’investiguer de nouveaux territoires, non pas pour s’accorder à la saveur du mois. Rester honnête vis-à-vis de la création est capital, à la base même de notre travail. Parfois, entre les albums, nous ressentons la nécessité d’explorer, d’essayer des trucs, d’où ces mini-albums qui en rendent compte." Une idée bien illustrée par la pochette de Fab Four Suture, avec ses pièces détachées, façon puzzle ou blocs Lego, qui pourraient très bien s’emboîter mais qu’on nous présente disjointes.

Et malgré cette aptitude au renouvellement, le son de Stereolab se reconnaît à la seconde près. "Même si, à la fin, ça finit toujours par être reconnaissable et lié à ce qu’on a fait avant, sur chaque disque, ma manière d’écrire et de composer évolue. Je n’essaie pas de contourner ça, d’être en rupture avec ce qu’on a été. Sans parler de la voix de Laetitia, qui joue pour beaucoup dans le son de Stereolab, et que l’on reconnaît tout de suite." Celle qui officie désormais pour Monade, son projet perso, dispose effectivement d’un organe assez singulier. La voix de Laetitia Sadier, douce moitié de celui qu’on tient à l’autre bout du fil, est grave et mate, déployée avec calme et autorité. Pas de trémolos ou d’emportements ici, ni de fêlures ou de cris, Laetitia est toujours droite et flegmatique: une reine presque désintéressée, cérébrale. S’il fallait associer cette voix à une couleur, ce serait à une sorte de vert mat, un aqua issu des années 50, tout comme le nom du groupe d’ailleurs, pointant une forme de matriçage (mastering) du disque associé à la fin de ladite décennie.

Et d’ailleurs, ce jour-là, on aurait juré que l’entrevue se déroulait à partir d’un téléphone datant des années 50, tellement la voix de Tim Gane se rendait jusqu’à Montréal en ondulant, tellement elle passait de quasi inaudible à sursaturée en quelques secondes. La ligne captait la radio, allant même jusqu’à intercepter les conversations entre les membres du groupe et du label…

"Ce qui n’est pas clos, du point de vue le plus essentiel / Ce qui est ouvert, est à être", chante Laetitia Sadier sur Refractions in the Plastic Pulse (Dots and Loops, 1997). Il y a, chez Stereolab, cette magie, ce petit côté insaisissable et secret, ce langage crypté, autant dans les textes, dans le design codé des pochettes, que dans les titres d’albums. "On aime bien sortir les mots de leur contexte et les aborder sans idée préconçue. C’est complexe et intuitif. J’ai vu les mots "Fab Four" et "Suture" côte à côte, par hasard. Et c’était la bonne combinaison, car il m’a semblé que "Fab Four Suture" décrivait précisément les pièces réunies."

Stereolab
Fab Four Suture
Too Pure / Beggars Banquet

Le 15 mars
Avec Espers
À La Tulipe
Voir calendrier Rock / Pop