Arctic Monkeys : Des singes en hiver
Les Arctic Monkeys sont cette semaine en concert pour la première fois à Montréal. L’occasion de prendre le pouls en direct d’un des phénomènes les plus spectaculaires qu’ait connu la pop anglaise.
L’Angleterre, qui a, dit-on, le coup de coeur particulièrement facile, ne s’était pourtant pas enthousiasmée comme ça pour quatre garçons depuis des lustres. La semaine de la sortie de leur premier album, Whatever People Say, That’s What I’m Not, les Arctic Monkeys de Sheffield ont écoulé 360 000 copies, provoquant des ruptures de stock dans certains des mégastores les mieux achalandés du Royaume. On n’avait pas constaté pareil phénomène depuis les Beatles, c’est ce qu’ont écrit la plupart des journaux britanniques.
Le 24 février, ces mêmes Monkeys remportaient trois prix lors de la prestigieuse soirée de récompenses organisée à Londres par l’hebdomadaire phare de la musique anglaise, le New Musical Express, dans les catégories "groupe de l’année", "meilleur nouveau groupe", et "meilleur single" (pour le terrible I Bet You Look Good on the Dancefloor). Curieusement, le même soir, alors que l’Angleterre à guitares s’agenouillait devant eux, les quatre de Sheffield se trimballaient joyeusement du côté de Paris, ouvrant un concert forcément complet depuis des lustres par un ironique Don’t Believe the Hype emprunté à Public Enemy. Le show fut une vraie merveille: d’énergie, de classe et de justesse, lors duquel ils prouvaient en se préservant soigneusement des hommages et en jouant leur titres toniques et tendus que leur fraîcheur n’avait aucunement souffert du succès qui s’était abattu sur leurs épaules. "Nous avons conscience de tout ce qui se passe autour de nous. C’est complètement dingue. Mais depuis le début nous avons choisi de prendre tout cela avec sérénité, en cherchant à jouer avec les limites du système", explique le batteur Matt Helders, 19 ans, sous le regard approbateur de ses trois compères.
Jouer avec le système, se moquer d’un music business qui a appris à faire et défaire les réputations. C’est ce que les Arctic Monkeys ont fait en choisissant d’abord l’Internet pour faire découvrir leur musique, remplissant en 2005 les salles les plus en vue de l’Angleterre alors même qu’on ne trouvait pas un seul disque du groupe dans les bacs. Jeu avec les convenances, encore, lorsque le groupe impose au label qui a fini par les convaincre (Domino, qui accueille aussi Franz Ferdinand et a veillé aux destinées plus expérimentales de Jim O’Rourke, Four Tet ou Bonnie Prince Billy) de pouvoir faire figurer sur la pochette de leur premier album la mine patibulaire d’un ami inconnu, le dénommé Chris Mc Lure, aujourd’hui familier de toute l’Angleterre. "Cette façon de voir les choses, nous la tenons paradoxalement du hip-hop. Nous sommes de grands fans de ce genre de musique. Pour nous, Dr. Dre est un modèle (les Monkeys ouvrent d’ailleurs systématiquement leurs concerts par un de ses titres). Certains le trouveront arrogant, mais il est parvenu à une chose: imposer ses règles. C’est en imposant ses règles que l’on rencontre ensuite le moins d’obstacles sur le plan artistique. Lorsque nous avons signé le contrat avec notre label, nos chansons étaient déjà connues grâce à l’Internet: dès lors, il était impossible de nous demander de modifier quoi que ce soit", confie Matt Helders.
Petits maîtres du marketing viral, utilisateurs malins du réseau Myspace, les Arctic Monkeys ont créé eux-mêmes les conditions de leur incroyable succès. Mais tout cela ne doit pas faire oublier leur musique: Whatever People Say, That’s What I’m Not est un disque presque parfait, ce que l’Angleterre a fait de mieux depuis le premier album des Stone Roses, ce chef-d’oeuvre. En 13 chansons, les Arctic Monkeys, petits maîtres du storytelling, parviennent à raconter mieux que quiconque l’Angleterre d’aujourd’hui, auscultée sous toutes ses coutures, avec un recul rare pour des types aussi jeunes. "Je crois que ce qui nous arrive est simplement dû au fait que nous racontons ce que nous voyons avec une certaine honnêteté. L’Angleterre qu’il y a dans nos chansons, c’est une Angleterre qui existe vraiment, pas le pays fantasmé que décrivent trop de groupes", note Alex Turner, qui écrit et compose tous les titres. Princes en Europe, les Monkeys sont depuis la mi-mars partis à la conquête de l’Amérique du Nord: elle ne devrait pas résister longtemps au passage de ces jeunes singes.
Le 22 mars
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