Jane Birkin : Femme du monde
Musique

Jane Birkin : Femme du monde

Avec Fictions, Jane Birkin revient à sa langue maternelle et s’entoure d’amoureux transis qui lui ont taillé des chansons enflammées et sombres, des Divine Comedy à Arthur H. Entretien.

Ce jour-là, au bout du fil, Jane Birkin est à côté de ses pompes, épuisée. Elle bafouille et cherche ses mots, on peine à la comprendre. Pour tout fan fini du grand Serge Gainsbourg, Jane B. existe principalement dans nos rêves et, surtout, à travers une panoplie de disques essentiels, majeurs dans la chanson française: Di doo Dah (1973), Ex-fan des sixties (1978), Arabesque (2002) et son chef-d’oeuvre, Concert à l’Olympia en 1996, avec des arrangements du divin Jean-Claude Vannier: "Je ne me réécoute jamais, je ne sais même pas si je possède ce disque, je me suis pourtant battue pour avoir cette couverture avec ma bouche et mes dents."

Des albums discrets, déclinés sur un ton mineur, sans prétention. Juste d’immenses chansons, pour qui sait écouter: "Il est trop tôt pour juger de la qualité de ce que je fais, on verra avec le temps ce qui reste. Que Serge soit un génie, ça va, on peut le dire maintenant." Jane ne s’attribue aucun mérite. Le succès mondial de son spectacle Arabesque, qui présente des versions arabisantes des chansons de Gainsbourg? "C’est à cause de Je t’aime moi non plus. J’en déduis cela, parce qu’à Hong Kong, trois mille personnes par concert, c’est assez inexplicable, même si j’ai fait pas mal de promo avant de partir. C’était en français, la seule chose qu’ils connaissaient, c’était peut-être la chanson Je t’aime moi non plus. On fait seulement une fois dans sa vie une chanson que le monde entier a entendue."

En 2004, Jane change de maison de disques et sort Rendez-vous, un album de duos qui, au-delà de sa qualité, ressemble davantage à un coup de marketing, un truc à la mode, rassembleur. Dans le vent, Jane se fait accompagner par Souchon, Miossec, Daho, Feist, Françoise Hardy, Brian Molko et même le Brésilien Caetano Veloso. De cette tentative désespérée de réunir un public branché, on retiendra surtout l’honnêteté de Michael Furnon (Mickey 3D) avec son refrain "Je m’appelle Jane / Et je t’emmerde" qui dépoussière et humanise l’icône Birkin. Une chanson pour célébrer la beauté, la jeunesse éternelle de Jane, intemporelle chanteuse feutrée et séductrice malgré elle avec son accent british, ses fautes de français et le tutoiement systématique de son interlocuteur, quel qu’il soit.

Plus sincère, plus convaincant, voici son nouvel album Fictions, un titre que l’on peut prononcer à la française ou à l’anglaise, mais qui contient principalement des chansons dans la langue de James Bond. Seulement deux ans séparent Rendez-vous de Fictions, un délai assez court et inhabituel chez elle: "C’est parce que j’ai changé de maison de disques, et qu’ils m’ont réclamé trois albums assez vite. Cette fois-ci, je me suis dit: pourquoi pas en anglais? Je ne l’ai jamais tenté, il ne faut pas se répéter, trouver encore une autre manière de chanter Serge ou encore des duos. On m’a suggéré Neil Hannon de Divine Comedy, Tom Waits, Rufus Wainwright, Magic Numbers. Je voulais chanter depuis toujours Alice de Tom Waits, je l’ai fait. On m’a proposé Harvest Moon de Neil Young, Mother Stands for Comfort de Kate Bush." Il y eut aussi Beth Gibbons de Portishead qui lui a offert My Secret, ainsi que Gonzales qui, en plus de signer les arrangements de Fictions, a écrit Living in Limbo.

De bien jolies choses qui sauront sans doute plaire à un large auditoire mélomane, de l’Angleterre aux États-Unis, avec des chansons qui traversent les frontières grâce au charisme et au talent de leur interprète. Jane se rendra-t-elle ainsi compte que c’est elle qui fait son succès et que les meilleures oeuvres ont besoin d’une interprète de son calibre, c’est-à-dire immense?

Mais pour le fan fini de Jane et Serge, ce sont les morceaux en français de Fictions qui frappent le plus fort avec les signatures de Cali, Arthur H et surtout une grande chanson de Dominique A, Où est la ville. Un Dominique A que l’on peut d’ailleurs voir dans le DVD de Birkin qui sort ces jours-ci en même temps que Fictions. Un documentaire sur la genèse des deux derniers disques avec en prime la présence de Marianne Faithfull, Alain Bashung, Daniel Darc… Invités de marque pour une chanteuse classieuse, cosmopolite: "Sur la pochette de Fictions, si je cours, c’est pour essayer de savoir où est ce home. La France? L’Angleterre? L’enfance? Qu’est-ce que c’est, pourquoi on veut y aller?" Pour le savoir, il ne nous reste qu’à courir avec elle, en tendant l’oreille à ses chansons.

Jane Birkin
Fictions
(EMI)

DVD
Rendez-vous avec Jane
(Capitol / EMI)