Karkwa : Viser juste
Musique

Karkwa : Viser juste

Karkwa vient présenter la version scénique des Tremblements s’immobilisent, un deuxième album venu confirmer l’immense potentiel du groupe. Rencontre avec des musiciens qui ont décoché quelques flèches avant de viser dans le mille.

Lancé à l’automne 2005, l’album Les tremblements s’immobilisent a rallié les critiques, séduits par sa poésie efficace et ébahis par la richesse de son rock atmosphérique. Le disque représente une surprenante évolution par rapport au Pensionnat des établis, un premier album disparate créé par de jeunes musiciens de talent, mais visiblement en quête d’un son.

Que s’est-il donc passé entre les deux albums pour que la formation parcoure autant de chemin? "On a appris à se connaître", observent le batteur, Stéphane Bergeron, 26 ans, et le chanteur et guitariste Louis-Jean Cormier, 25 ans. Depuis le premier album, le groupe a donné beaucoup de spectacles. À force de jouer ensemble, d’explorer et d’écouter toujours plus de musique, les musiciens en sont venus à trouver un style. "On est tous des mélomanes, observe Stéphane. Tu découvres toujours des nouvelles affaires. Tes goûts changent."

À travers des sujets sombres comme la fuite d’un homme qui vient d’assassiner un président ou le mal de vivre d’un adolescent ayant commis une tuerie dans une école, Karkwa s’est décidé à parler d’amour. Un sujet qu’il avait soigneusement contourné dans son premier essai. "En vieillissant, tu te rends compte que tu peux pas passer à côté de cette patente-là", lance Stéphane. Le défi que les gars s’étaient donné: parler d’amour sans tomber dans la facilité et le sirupeux. "Éviter le quétaine, c’est un défi de tous les jours", observe Stéphane, qui avoue une paranoïa envers la chose.

"Avec le deuxième album, Karkwa s’est découvert une personnalité", poursuit Louis-Jean. Personnalité qu’on a beaucoup comparée à celle de Radiohead, flatteuse comparaison s’il en est. Pourtant, à la création des Tremblements s’immobilisent, les CD du band britannique ne jouaient plus dans le lecteur depuis un moment. "Quand t’es un fan de Radiohead, tu sais que ça ressemble pas tant que ça", considère Louis-Jean, dont les inflexions de voix s’apparentent pourtant bien à celles de Thom Yorke. Les gars déballent alors un paquet d’influences, citant au passage Neil Young et Eleni Mandell. Le rock planant de Karkwa s’est défini à partir de tous ces artistes admirés.

Principal parolier du groupe, Louis-Jean Cormier avoue baigner dans la chanson francophone depuis son tout jeune âge. Ses textes sont souvent influencés par la plume du percussionniste Julien Sagot, qui signe la drolatique Pili-pili. "On tord un peu nos images", illustre Louis-Jean, le regard d’un vert perçant planté droit dans les yeux de son interlocutrice.

Devant un résultat si abouti, on s’étonne d’avoir affaire à de si jeunes hommes. Musiciens accomplis, âgés dans la mi-vingtaine, les membres de Karkwa participent presque tous à d’autres projets de musique. Louis-Jean est guitariste pour Vincent Vallières, avec qui il s’apprête à entrer en studio. Il a aussi accompagné Chloé Sainte-Marie et Dumas. Julien Sagot fait partie de Pawa Up First… Mais avec le succès qui se dessine pour Karkwa, ils ont de moins en moins de temps à consacrer aux autres projets.

ÇA PLANE POUR EUX

Porté par une rumeur favorable, le disque Les tremblements s’immobilisent se laisse découvrir par des fans de plus en plus nombreux. "On en a déjà vendu plus que du premier en deux ans! fait remarquer Louis-Jean. On est choyés. On a reçu une belle couverture. De se faire encenser comme ça, on est vraiment contents." Le deuxième extrait, Le Coup d’État, puissante pièce où une relation amoureuse orageuse est décrite à travers un champ lexical s’apparentant à un champ de mines, présente un argument de taille pour conquérir d’autres oreilles. La chanson se fait d’ailleurs entendre sur les ondes de radios commerciales et a inspiré un clip, tourné dans une mine d’or abitibienne, 350 mètres sous terre.

Le reste de l’entreprise de séduction s’effectuera dans les salles. Sur scène, le groupe amène ses pièces encore plus loin, fait durer le plaisir. "Quand tu penses que ça peut pas monter plus, eh bien, ça monte encore! illustre Louis-Jean. On étire les tounes. On ouvre des terrains de jeux." Le groupe interprète aussi quelques chansons du premier album, mais "réarrangées, déguisées et masquées", dixit le chanteur et guitariste.

Pour enrober ses pièces, Karkwa a fait appel à l’éclairagiste Mathieu Roy, que Louis-Jean et Stéphane décrivent comme un jeune homme très créatif. Sous ses projecteurs, la musique de Karkwa s’illumine et se laisse accompagner de projections vidéo, dont la présence discrète vient sans doute ajouter ce petit quelque chose qui a fait dire à Sylvain Cormier, critique au Devoir, que d’assister à un show de Karkwa s’apparentait à "un trip d’acide sans drogue". Les chansons empruntent aussi des avenues plus rock, plus groovy que sur l’album. "Depuis la sortie du disque, y’a des gens qui chantent les paroles", lance un Stéphane étonné. "On arrive même à les faire chanter", rajoute Louis-Jean.

POUR LA SUITE

Quelques spectacles sont prévus ce printemps pour Karkwa, et des festivals ainsi qu’une tournée en Europe sont à l’agenda cet été. À la mi-juillet, les membres du groupe sauteront dans l’avion pour se rendre aux FrancoFolies de Spa en Belgique et aux Vieilles Charrues, un festival breton attirant des milliers de spectateurs. Le groupe en sera à sa deuxième incursion en sol européen puisqu’en 1999, il s’était fait offrir une tournée en France grâce à Cégeps en spectacle. La véritable tournée de salles au Québec est prévue pour l’automne. C’est qu’Audiogram, la maison de disques qui a pris Karkwa sous son aile, voit à long terme pour ses protégés. Eux aussi. "On veut que ce soit progressif. On ne veut pas être un feu de paille."

À travers les spectacles, de nouvelles chansons sont déjà en chantier. Le défi qu’a le goût de relever Louis-Jean Cormier cette fois-ci, c’est celui d’arriver à se laisser inspirer par la joie. "Quand c’est deep, on dirait que c’est plus facile de ne pas être quétaine." Encore cette crainte et ces doutes, tellement injustifiés. N’empêche qu’avec une telle réception de son deuxième album, le band se sent plus libre de créer. "On dirait qu’il y a moins de fardeau sur nos épaules. L’album a été bien reçu. Ça nous soulage. Ça nous donne une confiance."

Le 21 avril à 20h30
Au Vieux Clocher de Sherbrooke