Polémil Bazar : Variations sur un même temps
Polémil Bazar en deux temps, trois mouvements. Entrevue avec Hugo Fleury.
On l’organise, on l’économise, on le rentabilise. On en abuse et on l’use, on le perd ou le monnaye. Il a volé l’eau des clepsydres, s’est écoulé en soufflant sa poussière dans les sabliers, il a filé sa bobine sans fin jusqu’à nous, et il bat la mesure de nos vies effrénées, laissant la trace de son passage dans nos cheveux, sur nos visages. Le temps est une vieille étoffe fripée qu’on perd son temps à repasser.
Avec Avale ta montre, le dernier album de Polémil Bazar, invitation nous est faite d’assumer notre condition éphémère. D’accepter que notre vie ne soit qu’un transit et de s’en satisfaire. Le groupe nous encourage à arrêter le temps, à en profiter pour réfléchir, pour réinventer le monde, pour prendre conscience de nos actes et de ce que nous sommes. Le disque est très théâtral, exploitant à souhait des personnages attachants, comme Gaétan, assis sur le divan, qui nous convie joyeusement au partage de sa musardise, nous convainquant qu’on n’a qu’un temps, mais qu’on peut s’en donner du bon… Qu’on peut enfin prendre le temps de se perdre, de goûter le bonheur latent, de succomber à la tentation d’une pause ou d’une récréation. Et il y a ces personnages qu’on aime détester, desquels on peut rire avec une satisfaction presque sadique. "On avait la volonté de faire un album un peu plus anecdotique, de mettre en scène des personnages, aussi d’être plus humoristiques." La réponse jusqu’ici est excellente.
En quatre mois, il s’est vendu 5000 copies d’Avale ta montre, très attendu des amateurs. Fleury est plutôt satisfait: "On peut dire que ça va très bien. Nous autres, plus on joue, plus on vend des albums. Depuis septembre, on a joué seulement quatre fois…" Il faut dire que Polémil Bazar est convaincant en show: c’est l’atmosphère d’un véritable carnaval qui se dégage dans les salles où passe le groupe. Sur les airs qu’il nous propose, on s’amuse à virer le monde à l’envers, juste par plaisir, le temps de danser un swing…
SPECTACLE EN DEUX TEMPS
La théâtralité de l’album imprègne certainement les spectacles de Polémil Bazar. Plus question pourtant de se déguiser ou de se maquiller comme c’était le cas lors des premières prestations publiques du groupe ou dans certains vidéoclips, comme celui de la pièce Mange ton âme, extraite du deuxième album. Depuis le temps, bien des choses ont changé… "J’ai travaillé à rendre les personnages sans tomber dans la caricature. Je vais les interpréter, mais ils ne seront pas grossis. De toute façon, ces personnages-là, ils partent de moi. C’est pas l’fun à dire quand on parle de Culturé, bien élevé, mais au fond, on est tous une bande d’égocentriques."
Ce changement d’attitude du groupe, loin de perdre les admirateurs, semble les avoir ralliés. Peu nombreux sont les nostalgiques, la plupart préférant suivre l’évolution du groupe avec une ferveur communicative. "J’ai senti à un moment donné que ça créait une barrière entre nous et le public, raconte Fleury, pas une barrière énorme, mais quelque chose qui faisait qu’on "connectait" peut-être un petit peu moins. Un masque, c’est un masque… On a décidé justement de les laisser tomber, les maquillages, les masques, les costumes, et d’être profondément nous-mêmes sur scène, de manière à connecter plus avec les gens."
LE TEMPS D’ÉCRIRE
Hugo Fleury, principal parolier du groupe, signe encore la plupart des titres du dernier album. "Les textes, c’est moi qui les écris, sauf la chanson que Josianne Laberge chante: c’est elle qui l’a écrite, c’était beaucoup plus intéressant comme ça, qu’elle apporte sa poésie à elle, ses mots à elle. Et puis il y a une chanson qui a été coécrite avec Martin Desjardins…"
Les textes auxquels Fleury nous a habitués sont empreints d’une poésie qui se démarque: "Je suis une espèce de littéraire par la bande. Ce sont les lectures et les voyages qui m’ont amené à l’écriture." Ou peut-être l’écriture lui a-t-elle permis de trouver sa place? "J’travaille chez moi, sur l’île d’Orléans, dans ma chambre." D’où l’apparition pas si fortuite de Félix dans la chanson Gaétan… "À la fin de cette chanson, je dis "seul sur mon île". Ça peut avoir deux sens: au sens figuré, ça peut vouloir dire "seul au monde, dans sa bulle", mais ça adonne aussi qu’il y a le sens propre, je suis vraiment installé sur l’île d’Orléans."
Pour Fleury, l’écriture n’est pas un temps mort: "Je suis très zélé. Très souvent, le texte va être récrit deux à trois fois. Je ne fais pas partie des artistes qui vénèrent le premier jet. Évidemment, du premier jet, il faut garder la spontanéité, l’essence de l’inspiration qui t’a mené à écrire…"
L’AIR DU TEMPS
Polémil Bazar fait partie de ces groupes engagés qui prennent de plus en plus de place dans le milieu de la chanson québécoise. "Habituellement, l’éveil des sociétés commence par les artistes. Les artistes ont cette possibilité-là d’éveiller les gens parce qu’on a de l’espace médiatique. On a de l’attention, je pense qu’on en a plus que les politiciens, et même de la crédibilité." Par contre, pas question de casser les oreilles de ceux qui assistent à leur spectacle: c’est alors un moment privilégié où on ne cherche plus qu’à s’amuser.
Les paroles respirent simplement l’air du temps. Cultivé, bien élevé s’intéresse à "l’égocentrisme à outrance qui "occure" dans nos sociétés en ce moment et qui, finalement, nous mène à la catastrophe. Parce que c’est ce qui fait qu’il n’y a plus de solidarité sociale, qu’il n’y a plus de grand mouvement." La Chanson du vaurien est aussi bien de son temps, pataugeant dans quelque scandale qu’il est inutile de nommer… "Les scandales, on n’a pas inventé ça. Je suis un accro de Balzac, j’ai lu presque toute la Comédie humaine. Les travers de l’humain, on ne les a pas inventés…"
Peut-être est-ce une perte de temps que de chercher le temps perdu. Proust a su l’écrire, mais combien de temps a-t-il pris pour y arriver? L’a-t-il rattrapé? Peut-être est-il préférable de profiter de celui qui s’en vient et qui passe. Polémil Bazar nous tend une perche sur son chemin, que nous ne pouvons qu’agripper avec entrain.
Le 19 avril à 20 h
À la Maison de la culture de Tois-Rivières
Le 4 mai à 18 h
Au Centre des arts de Shawinigan
Le 5 mai à 20 h
Au Théâtre Belcourt
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