Sam Roberts : Coeur de rockeur
Musique

Sam Roberts : Coeur de rockeur

Le Montréalais Sam Roberts est de retour avec un second disque dans la continuité du rock brut qui nous l’a fait connaître, mais encore plus psychédélique et encore plus doux, étrangement. Rencontre avec le lumineux personnage dans le bar de son frangin.

Son nouvel album sous le bras, frais et dispos comme si nous n’étions pas à la veille du lancement de son second disque attendu, Sam Roberts, très zen, donne l’impression qu’il revient de loin, affiche l’air serein de celui qui a beaucoup voyagé. "Au départ, je m’étais imaginé lancer un album par année. Je me sens comme une rivière damnée, je suis LG2 sur le point de s’ouvrir. Ça fait un bon deux ans que je n’ai pas donné autant d’entrevues et ça fait du bien de pouvoir exposer ses idées, de relater ses dernières expériences et de faire le bilan… C’est comme si je passais la journée avec des psys!" confie-t-il dans un français agile et sympathique.

Il faut le dire, pour un journaliste, une rencontre avec Sam Roberts, c’est du bonbon. Lumineux, avenant et généreux, le Montréalais ne se prend pas pour un autre et livre le fond de sa pensée. Dans le bar de son frère qui lui prête les clefs pour ses entrevues, le Pistol, boulevard Saint-Laurent, il raconte la conception du nouvel effort qu’il lance ces jours-ci, un disque de rock tendu au titre intrigant: Chemical City.

LE VILLAGE

"Je voulais aller le plus loin possible. On voulait vivre quelque chose de complètement différent, susceptible de nous inspirer aussi pour la musique. On s’est donc rendus en Australie." Premier constat, le lauréat, lors de l’édition 2004 des Juno Awards, des prix "Album de l’année", "Artiste de l’année" et "Album rock de l’année" pour We Were Born in a Flame parle désormais au "on". Qui sont ces gens qu’on voit autour de lui? "Mes frères musicaux, des Montréalais et un Ontarien qui vit ici depuis un bon bout de temps. Je joue avec eux depuis que j’ai 15 ans. Au départ, on avait un band qui s’appelait Northstar. À un moment donné, on s’est perdus de vue." Sam Roberts a fait ses affaires de son bord, a enregistré un mini-album puis un premier disque par lui-même, sur lequel il jouait d’à peu près tous les instruments, et il a rapatrié ses potes au moment de partir en tournée. "L’idée d’être entouré d’un band correspond à ma conception du rock. J’ai jamais eu envie de jouer les crooners, de faire les choses seul. Quand j’aurai 60 ans, on me verra peut-être trimballer ma guitare acoustique et faire des shows en solo dans les petites salles. Pour l’instant, être ainsi entouré est la configuration qui me convient."

Après quatre ans sur la route et toutes ces tournées alignées, Sam et les siens ont donc senti le besoin de se retirer. "On ne voulait pas se mettre à parler de nos tournées dans nos tounes, et notre vie des dernières années se résumait pas mal à ça… On est partis avec nos blondes et on s’est installés dans un petit village, dans les montagnes, tout près de la plage… Il y avait des plantations de café, des "arbres de macadam" partout, des serpents et même des grenouilles dans les toilettes! Pour moi, ce voyage avait quelque chose de mythique, poursuit-il. Il y a eu toute une suite de petits moments marquants, comme de m’endormir le soir en regardant une grande araignée tisser sa toile, tout près… Retrouver la chance de faire de la musique, de composer des nouvelles chansons fut très précieux pour moi, parce que ça occupe une grande partie de mon esprit, c’est ce qui est le plus près de mon âme, de ce que je suis. Et le grand thème de ce disque que nous lançons, c’est, justement, la possibilité de sortir de notre expérience quotidienne."

LA VILLE

Composé en partie en Australie et à Montréal, Chemical City, comme l’album précédent, revendique sa racine rock et un lien de parenté frappant avec de dignes aînés: Led Zeppelin, Pink Floyd, les Rolling Stones et les Kinks, "tous ces groupes brit nés dans les années 60, qui ont commencé par jouer les chansons de Chuck Berry pour ensuite découvrir leur voix propre, donnant au rock une nouvelle direction. Les "guits" lourdes, la dimension psychédélique… Mon coeur est avec cette époque".

Dans la constellation d’artistes canadiens où l’on situe souvent Sam Roberts – celle qui réunit des artistes aussi différents que Buck 65, K-Os, The Dears, Broken Social Scene, The Stills, etc. -, il est celui chez qui l’influence de cette grande famille rock est la plus déterminante. Et cela se voit encore plus sur Chemical City puisqu’ici, Sam Roberts va au bout de tous les chemins sur lesquels il s’est engagé: son rock brut se fait ici psychédélique, là très doux et caressant, ailleurs presque beatlesque. Avec, toujours, en toile de fond, ce côté lumineux, la certitude que ses chansons ne sont pas alimentées, comme c’est souvent le cas, par un quelconque dark side; au lieu de nous écraser, elles nous élèvent. "C’est comme ça que je vis ma vie. Non pas en enragé, mais toujours en tension entre deux choses, et j’essaie de prendre la route du milieu. Parfois, le ton de la chanson est positif mais les paroles ne le sont pas, les Stones et les Kinks faisaient ça… Et pour moi, c’est là qu’habite le véritable esprit du rock’n’roll: quelque part dans la réunion de tous ces extrêmes."

Et cette intrigante "ville chimique", à quoi renvoie-t-elle? "C’est comme un collage d’images de toutes les villes que l’on voit. J’ai fait un disque qui témoigne de l’expérience urbaine au 21e siècle, qui n’est somme toute ni négative ni positive. Toutes ces images recueillies, une fois mises ensemble, créent une autre ville, un espace fictif, et moi, dans mes chansons, je fais la chronique des personnages qui habitent là, je raconte les histoires qui s’y déroulent."

Et pour se rendre jusqu’à la ville chimique, il y a, tel qu’il le raconte sur la première plage du disque intitulée The Gate, un obstacle de taille à franchir. Et c’est là que la dimension psychédélique intervient, "car il s’agit aussi d’un voyage mythique pour moi. Quand tu parviens à destination, tu vois toutes sortes de choses qui te font penser à notre monde, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Tout part de là. En même temps, ça me fait drôle parce que j’étais loin de la ville quand j’ai eu ces idées. J’avais la paix d’esprit nécessaire pour les accueillir, pour laisser aller mon imagination, d’où toute la dimension psychédélique", poursuit Sam avant de conclure.

"En voyage, c’est pas comme ici, nos yeux sont grands ouverts, captent tout, en tout temps." Et en regardant comme il faut à travers les yeux de Sam Roberts – qui sont d’une sorte de vert jade un peu délavé -, on peut apercevoir tous les océans qu’il a balayés du regard au cours de ce tour du monde qui le ramène là où tout a commencé: chez lui, à Montréal.

Sam Roberts
Chemical City
Universal

Le 29 avril
Au National

ooo

POUR EN FINIR AVEC JÉSUS-CHRIST
"Apôtre du rock", "messie", "sauveur", "prophète en son pays"… On a affublé Sam Roberts et sa gueule christique de tout un éventail de noms difficiles à porter – et il n’en demandait pas tant. Droit de réplique: "Je ne suis pas du tout à l’aise avec ça! Je présume que c’est un résultat du look… Certainement pas des tounes! Mais ça ne reflète pas la réalité. Je vis dans l’autre sens! Je ne me sens pas comme ça, je fais mes affaires dans mon coin, je développe mes idées… Ça se fait à partir d’une sorte d’instinct et je fais tout ça pour moi d’abord et avant tout. Tant mieux si ça parle à d’autres, mais ça, c’est un effet secondaire. À 35 ans, je raserai ma barbe et me couperai les cheveux, et là les gens vont se mettre à dire que j’ai l’air pas mal jeune et ils vont laisser de côté les comparaisons mystiques."

LES COUDES SERRÉS
Au cours des dernières années, on a vu Sam Roberts se produire aux côtés de plusieurs groupes canadiens (K-Os, Buck 65, les Stills) dont le dernier en lice est Malajube, qui l’accompagnera dans une mini-tournée ontarienne. "Pour nous, la communauté musicale a commencé avec les Dears. On est amis depuis 1992, on a fait bien des shows ensemble et George (Donoso), le batteur, était notre guitariste. C’est une communauté très éclectique, K-Os et Broken Social Scene n’ont pas grand-chose à voir ensemble si ce n’est la liberté artistique totale dont ils disposent. Et quand tu te sens libre, c’est facile d’être amical par la suite. Ça n’a rien à voir avec ce qui se passe aux États-Unis, où les groupes se battent pour avoir l’attention des médias."