The Strokes : Les pieds sur Terre
Musique

The Strokes : Les pieds sur Terre

Le guitariste des Strokes, Nick Valensi, se fait l’émissaire du groupe new-yorkais le temps d’un échange bizarroïde… Kit de décodage non compris.

La voix à l’autre bout du fil est celle de Nick Valensi, guitariste et porte-parole officiel des Strokes le temps de cette interview-éclair. Le signal reçu émane d’un téléphone cellulaire, mais pourrait aussi bien provenir d’un bidule de communication extraterrestre: au bout de 30 secondes, on a vraiment l’impression de converser avec un Martien. Impression, tout compte fait, peut-être moins bizarre qu’il n’y paraît quand on se rappelle que le plus récent disque des New-Yorkais s’intitule First Impression of Earth

Album aussi ambitieux que brillant, le troisième album des Strokes est doté d’un son volontairement "ample et tonitruant" – dixit Valensi. Le groupe y fait preuve d’un sens de l’aventure indéniable qui s’exprime de mille manières: dans l’attaque quasi klezmer ponctuant le solo de Vision of Division, dans l’arrangement néopsychédélique de Ask Me Anything, dans la mélodie empruntée à Barry Manilow réusinée sur Razorblade, on en passe et des meilleures.

Ce programme post-postmoderne n’a cependant pas plu à toutes les oreilles. Il s’en est trouvé pour dire que First Impressions… n’était pas assez ramassé, manquait de punch, recyclait plus d’idées qu’il n’en générait… Des critiques déjà entendues lors de la parution du précédent Room On Fire, qui faisait suite au mémorable coup d’envoi Is This It? On ne peut pas plaire à tout le monde et à son père…

Allô, Nick, tu me reçois bien? Allô, j’entends du bruit derrière…

"Ce n’est rien, c’est juste Albert (Hammond Jr.) qui grattouille sa guitare… Dis, c’est quoi ton nom, mec?"

Michel, de Montréal.

"Michel de Montréal… Excuse-moi, tu fais l’entrevue pour qui?"

Pour l’hebdomadaire Voir.

"L’hebdomadaire Roi?"

Non, Voir. V-O-I-R, comme le verbe "to see". Tu connais?

"Non. Je suis passé par Montréal une fois seulement."

C’était pour le concert?

"C’était pour le concert…"

Ok, heu?!?

"Allo, Michel de Montréal, t’es toujours là, dude?"

Êtes-vous satisfait de l’accueil fait au nouvel album jusqu’ici?

"C’est difficile à dire. C’est pas comme si les gens venaient me voir pour me dire: "Votre disque est nul". Je sais qu’il marche bien en Europe en Amérique du Sud, au Japon et en Asie. Je ne sais pas comment ça se passe au Canada, mais aux États-Unis, ça marche moins bien que ce que l’on espérait. De toute façon, je ne suis pas sûr de savoir ce que l’expression "on espérait" signifie…"

Que les attentes sont élevées pour un groupe comme les Strokes, non?

"Je suppose que oui. Mais je suis très content de ce disque. Qu’est-ce qu’on peut faire… Quoi que l’on fasse, il y aura toujours des gens pour nous aimer et d’autres pour nous détester."

Le vidéoclip pour Juicebox décoche quelques flèches à l’endroit du monde de la radio. Charge sérieuse ou ironique?

"Le clip est ironique à mes yeux. La radio est nulle en Amérique. Je ne sais pas comment c’est au Canada, mais chez nous, c’est terrible. Cela dit, le clip n’est pas un appel à la révolution, c’est plutôt une blague. Le comédien qui joue le DJ est un copain à nous. Dans son show stand-up, il a un sketch sur les DJ matinaux, qu’il dépeint comme des êtres détestables. On s’est dit qu’il serait parfait pour le rôle…"

Distillant un humour bipolaire, le clip a de quoi amuser le public lambda. Mais il comporte également quelques références que seuls quelques initiés pourront décoder. Des jokes propres à cinq gars hyper soudés, qui partagent une réalité imperméable au commun des mortels. En cela, on pense aux Beatles, qui habitaient un univers étanche aux contours connus d’eux seuls. Les Strokes semblent aussi vivre dans leur petite bulle. En tentant d’y pénétrer, on a l’impression de déranger, d’interrompre une conversation tellement plus importante que celle qu’on a à proposer.

ooo

"Désolé, Michel, ça chahute derrière…"

Est-ce que c’est encore John qui joue de la guitare?

"John? John qui?"

Je ne sais pas… Il n’y a pas de John dans le groupe (rires)…?

"Non, il n’y pas de John dans le groupe […]. Anyway, on est sur le New Jersey Turnpike, en route pour Atlantic City, où on donne un spectacle ce soir…"

Faites gaffe à ne pas louper votre sortie…

"Ce n’est pas moi qui suis au volant (hyper sérieux). On a un chauffeur. Je serais incapable de conduire un tel engin. Mais peut-être bien que si, en cas d’extrême urgence. En cas d’urgence, on peut accomplir bien des choses, Michel…"

Ok, heu?!?

Sur ces mots empreints d’une grande lucidité, le standardiste se fait entendre et nous indique que le temps alloué à l’échange est écoulé. Dérouté par la tournure étrange qu’a prise ce dialogue follet – genre Ionesco chez les rockeurs de l’espace -, on n’aura pas eu le temps de poser le quart des questions "intelligentes" qu’on voulait poser: que pensez-vous des journalistes qui vous accusent de chapardage? Le rock moderne est-il condamné à l’autocaricature? Quelles chansons allez-vous jouer lors du concert-hommage à Joey Ramone prévu en mai?

Le sifflet coupé, nous pouvons pourtant encore entendre la voix de Valensi: "Standardiste, on passe à un autre appel?" "Non, ça sera tout pour aujourd’hui." Et puis voilà, silence radio.

Le 7 mai
Au CEPSUM