Ivy et Reggie : Porte-voix
Musique

Ivy et Reggie : Porte-voix

Ivy et Reggie, c’est un rêve qui se refuse à l’abandon. En toute simplicité, les deux gars se sont fait rattraper par la vie et par l’art. Les revoilà sur les planches…

On la connaît, cette histoire. Deux gars qui se rencontrent par hasard au cégep. Puis ils se retrouvent dans un sous-sol qui devient le centre d’un monde qu’ils réinventent, la guitare à la main, à jouer avec un plaisir évident. Naît une amitié spontanée autour de quelques accords. Le rêve s’insinue lentement, à mesure qu’ils entrelacent leurs mots avec leurs propres notes.

Reggie (Brassard) a les racines profondément plongées dans le bout de Dolbeau, c’est un gars du Lac, comme il s’en fait d’autres. Ivy (Ivan Bielinski) est français d’origine; ses parents se sont reclus sur une terre de la rive sud du fleuve, dans la région de Québec, alors qu’il n’avait que huit ans. C’est au Cégep de Lévis-Lauzon que leurs chemins se sont croisés lorsqu’un ami commun a organisé leur rencontre.

Même s’il reste beaucoup à faire pour que soit reconnue la relève, la situation culturelle actuelle est déjà plus conviviale qu’elle ne l’était dans les années 90 en ce qui a trait à la reconnaissance de la jeunesse. Ivy explique: "Nous autres, de la génération X, pour notre musique, on n’a pas été aidés. Aujourd’hui, c’est super, mais ça a évolué." En effet, des réseaux parallèles se sont développés – qui ne font certainement pas la richesse de leurs artistes mais qui au moins leur permettent de s’épanouir un peu. Avec cette lucidité imagée qui leur est caractéristique, en nonante quelque, Ivy et Reggie chantaient avec aplomb: "Nos vrais artistes pendant ce temps/Mangent leur guitare et leur talent…" Demeure ce goût amer d’être arrivés au mauvais moment… "Tout ce qui était considéré comme marginal en 95, ce bouillon-là, est ressorti…" lance Ivy avec peut-être un peu d’envie. Peut-être trouveront-ils leur place dans la mouvance actuelle…

Illusionnés, pris de ce genre de spasme de crédulité inoffensive qui pousse à agir, ils avaient autoproduit une cassette audio, en toute simplicité, qu’ils vendaient pas trop cher au public venu assister à leur show. "Ça, c’était très idéaliste, raconte Ivy. J’étais convaincu que ça passerait à la radio! Reggie, lui, ça lui déplaisait pas d’être undercover, marginal. Moi non plus, mais…" Leur démo s’est promené. Sans jamais atteindre les hautes sphères radiophoniques, il a plu à ceux de leur génération qui se reconnaissaient dans leur ton revanchard et protestataire. Il traîne encore dans quelque fond de tiroir, chez les plus fidèles. "Nous autres, on s’était habitués à jouer devant des publics qui n’écoutaient pas. Avec la cassette qui a circulé – c’est fou, on parle quand même d’il y a 11 ans! -, pour un show, à un moment donné, on attendait 30 personnes… et on en a eu 200. En plus, les gens connaissaient nos tounes et les chantaient avec nous autres."

Pourtant, le duo, à bout de souffle, combattant sans artillerie des moulins à vent armés jusqu’aux dents, a fini par se morceler. Ivy, avec philosophie, met ça sur le dos d’un manque de vision stratégique. Ils ont tout de même roulé leur bosse, d’un côté et de l’autre. Reggie a continué de côtoyer la scène underground. Il a trimbalé en solo ses compos, inspiré par la Vieille Capitale. Il s’est aussi intéressé au théâtre. Ivy, quant à lui, a flirté avec la poésie et la performance artistique. En avril 2005 paraissait son recueil intitulé Les corps carillonnent aux éditions du Noroît, et il a donné sa voix à plusieurs spoken words, entre autres pour l’émission Vous m’en lirez tant, à la Première Chaîne de Radio-Canada. Il a aussi collaboré avec quelques artistes, dont Chafiik, aujourd’hui dans les verbeux rangs de Loco Locass, et avec la colporteuse de poèmes Nathalie Lessard, pour les arrangements de M’a mett’ un homme là-dessus.

Le problème qui a toujours été vécu par Ivy et Reggie, c’est que leur musique ne trouvait sa place nulle part; ni sur les réseaux, ni chez les producteurs, ni même dans les bars… Avec des rythmes pourtant accrocheurs, leurs textes pamphlétaires – qui, selon Ivy, représentent près de 100 % de leur travail – avaient ce pouvoir de toucher droit au but, avec tout ce que ça peut impliquer comme conséquence. Un propriétaire de bar les aurait même un jour payés pour qu’ils cessent de chanter et qu’ils quittent la scène. Dans les shows punk, ils n’étaient pas dans le son, rien à voir non plus avec le pop, ça jurait même avec le grunge…

Au détour du siècle, les deux gars se retrouvent à l’Île-du-Repos, à Sainte-Monique-de-Péribonka, pour un spectacle plutôt amical. Reggie ayant continué de s’impliquer dans la région, entre autres à la télévision communautaire, on l’avait aidé à organiser ces retrouvailles pour le plaisir. "On aborde ça comme deux gars qui font des textes… Qui font leur maximum… Il y a le show, le texte, et l’événement aussi. J’aime ça être sur scène avec lui." Or, dans la salle, parmi les regards qui se jetaient sur eux et les éclats de rire qui tonnaient devant l’inventivité de leurs paroles, se trouve un invité de marque. Richard Desjardins, qui avait ouvert la soirée par la lecture d’un poème, a attendu la fin pour aller à leur rencontre et leur a simplement demandé où s’en allait leur affaire… Et eux de répondre que c’était mort depuis longtemps.

Devant leur ébahissement, le poète engagé, le verbe chargé de l’odeur des sapinages qu’il a tenté de sauver, a refusé de voir ce duo se taire. Depuis, la dithyrambique critique de Richard Desjardins fait partie de leur dossier de presse.

C’est un retour en force qui attendait le groupe. Leur musique est passée à l’ère du CD, et l’album s’est vendu de façon surprenante. Selon Ivy, il ne resterait plus qu’une centaine de copies de leur album sur le marché, acheté non seulement par des nostalgiques, ravis de leur retour, ayant acquis un pouvoir d’achat qu’ils n’avaient pas à l’époque, mais aussi par de nouveaux amateurs. Leur récente collaboration avec Polémil Bazar, dont ils ont assuré la première partie pour quelques spectacles, aura certainement contribué à ce succès imprévu. "Ça a fait notre affaire… Ça nous a permis d’arriver comme un cheveu sur la soupe. Et la réponse a été bonne", affirme Ivy.

Ce que la formation propose, avec un peu d’humour ou avec un coup de dents, c’est rien de moins qu’une prise de parole. Pas question d’adhérer à l’aveuglement volontaire de quelque ligne de pensée trop souvent présentée comme une recette. Le groupe a plutôt le désir de stimuler l’engagement. "Oublie surtout pas ça… La clé c’est toi!" chante Reggie dans Su’l’même accord de la. Leurs chansons sont non seulement des prises de parole, mais surtout des outils pour sortir de notre salon, des porte-voix qui encouragent à décrier les stupidités qui ont cours dans notre société et auxquels nous participons souvent par paresse. Pas question d’accepter n’importe quoi: "Je trouvais qu’au Québec, on s’encensait trop, déclare Ivy. L’identité québécoise, c’est quelque chose qui me fait un peu peur. On amène l’identité dans une direction. On crée une image de ce qui est québécois et de ce qui ne l’est pas."

Aujourd’hui, l’intérêt est revenu. Et le resurgissement de leur rêve pourrait être un exemple pour nos jeunes. C’est un peu ce qui explique que le groupe a été invité à participer au rassemblement jeunesse, le 13 mai, à Alma. Parce qu’ils sont engagés. Et parce que leurs chansons auront certainement un écho auprès des jeunes de chez nous.

L’avenir se trace au fur et à mesure pour deux grandes gueules qui se sont tues trop longtemps. "On poursuit notre chemin. On veut en faire, des albums… On en a des centaines de chansons! Il faut briser la chaîne pour en arriver à quelque chose de brut, de réel. J’adore le milieu des artistes, c’est des gens sensibles, mais c’est superficiel…" Leur prochain album devrait nous faire grincer des dents, quelque part dans le mois de novembre, si tout va bien. "On va trouver le bon véhicule pour que ça dure. Il faut tenir le coup." Un message d’espoir qu’il faut capter au vol.

Le 12 mai
Au Vox Populi
Le 13 mai
Au rassemblement jeunesse Alma
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