Ninja Tune : Il était une fois dans l’Ouest
L’étiquette électronique Ninja Tune célèbre les dix ans d’activité de son bureau de Montréal. Petite histoire d’une des étiquettes les plus innovatrices et crédibles de sa génération.
Véritables pionniers des scènes hip-hop et électro des années 80, les D.J. et producteurs Matt Black et Jonathan More, du tandem Coldcut, ont visé juste. Désirant fuir l’éthique financière des gros labels, c’est au cours d’une excursion en terre nipponne que l’idée de mettre sur pied une étiquette indépendante prit racine. "Là-bas, on a déniché un livre vraiment fantastique sur les ninjas", raconte Black, un brin nostalgique. Fasciné par l’identité cachée et la philosophie zen et furtive de ces personnages aux pouvoirs magiques, le duo revint en Angleterre avec un plan d’action concret. The rest is history, comme disent les anglos.
En fondant l’étiquette indépendante Ninja Tune en 1990 (avec Peter Quicke, aujourd’hui directeur de l’administration des bureaux londoniens), la bande d’amis venait de créer un véritable catalyseur de talents créatifs des musiques urbaines et électro tous azimuts, avec un goût prononcé pour l’aventure et l’expérimentation. Avec l’ouverture d’esprit remarquable et imperméable aux modes qui a fait sa réputation, Ninja Tune ne tardera pas à se faire un nom et à se démarquer de ses compétiteurs grâce à son éclectisme musical et sa nature underground.
Affranchie des restrictions artistiques imposées par les multinationales, l’étiquette est devenue, en très peu de temps, l’une des plus innovatrices et crédibles de sa génération. Matt Black se souvient: "L’idée de départ était d’être libre. Personne n’aimait travailler pour des têtes dirigeantes qui nous disaient quoi faire, alors la seule façon de fuir cette situation était de faire les choses à notre manière. Dès le début, les artistes venaient vers nous, désireux de se joindre à la famille. On s’est mis à les écouter et à les traiter comme des êtres humains sans se mêler de leur processus créatif. Tout ce qui nous importait était de leur offrir un environnement sain dans lequel ils puissent évoluer en confiance."
Le succès n’a pas tardé, avec notamment la parution de la série Jazz Brakes de DJ Food (produite par Coldcut) qui proposait une musique de facture hip-hop instrumentale et groovy, à la base même du futur mouvement trip-hop. Fondée en 1997, son étiquette soeur Big Dada fournit une plate-forme au hip-hop britannique et européen et compte aujourd’hui dans ses rangs des artistes de renommée internationale tels que Diplo, Spank Rock, Roots Manuva et TTC. "On voulait donner une identité propre au hip-hop plutôt que de répéter ce que les Américains produisaient depuis des années. J’ai toujours aimé cette musique mais la personnalité américaine est tellement prépondérante qu’elle a fini par contaminer le monde entier!"
Six ans après son inauguration, le label londonien en pleine expansion éprouvait le besoin de s’imposer en territoire nord-américain. Située à quelques pas du Théâtre Corona, dans l’Ouest de la ville, la lilliputienne succursale montréalaise vit le jour sous la supervision de Jeff Waye. La décision d’exporter des quartiers généraux à Montréal plutôt qu’à Los Angeles ou New York avait de quoi surprendre. "On aimait Montréal. C’est un peu à cause de la désinvolture et de l’insolence des Américains qu’on a décidé d’implanter un bureau dans cette ville. C’est aussi une question de gestion des affaires", raconte Black. Le libre-échange facilitant grandement les transactions avec les cousins américains, il est indéniable que le contexte économique de l’époque favorisait l’ouverture d’une telle succursale. D’un point de vue purement commercial (pensons d’abord au coût des loyers), le choix était logique.
RETOUR EN FORCE
Presque dix ans après la sortie de l’ambitieux Let Us Play, Coldcut effectuait un retour remarqué cette année avec Sound Mirrors, un cinquième album complet se situant quelque part entre funk déjanté et hip-hop bouncy. Entouré d’une impressionnante brochette de collaborateurs (dont Roots Manuva, Saul Williams et Jon Spencer), le vétéran duo de producteurs se défend d’avoir pris son temps. "Nous ne sommes pas une machine fabriquant des hambourgeois à la chaîne. Nous sommes libres et nous avons pleinement profité de cette liberté. De plus, un artiste a besoin d’expériences humaines pour grandir. On voulait amener notre musique à un autre niveau et on a procédé au développement de notre son d’une façon authentique", raconte le père de famille et artiste de 45 ans.
Programmeur et concepteur du logiciel Vjamm, permettant de réaliser des montages et remixages vidéo en temps réel (qu’on peut se procurer pour une centaine de dollars canadiens ainsi qu’en version démo sur Sound Mirrors, le plus récent album de Coldcut), Black ne cesse de révolutionner l’univers multimédia en produisant des outils indispensables pour les D.J. de la planète. Après plus de 300 spectacles au cours des trois dernières années, à quoi peut-on s’attendre de cette soirée dixième anniversaire, le 13 mai au Métropolis? "Pour la tournée Let Us Play!, on avait créé un show audiovisuel cohérent dont le concept a été développé depuis. Le nouvel album étant beaucoup plus orienté vers l’aspect chanson, on devait procéder autrement. Pour moi, la musique live doit contenir un élément de risque qui provoque chez le spectateur un sentiment d’excitation. Si tu enlèves l’élément de danger, automatiquement, l’élément excitant disparaît. Je crois qu’on a trouvé une façon de faire les choses différemment. Il s’agissait d’adapter la technologie à nos besoins et le processus fut souvent pénible, mais on frétille déjà d’impatience de présenter le résultat!"
PETIT MONTRÉALAIS DEVENU GRAND
Faisant preuve d’une dextérité à couper le souffle derrière les tables tournantes, le Montréalais d’adoption Eric San, alias Kid Koala, devint le premier Nord-Américain à signer un contrat avec Ninja Tune, en 1996. "Je crois que les gars ont fondé ce label afin de fournir une plate-forme à leurs artistes pour qu’ils puissent produire des disques par pure passion. Cette philosophie se retrouve au coeur même du label et de ses artistes", raconte San, attrapé au vol à New York alors qu’il visitait des amis après une série de spectacles.
Influencé par l’expérimentation débridée de Coldcut, le petit homme a produit un premier mixtape (Scratchcratchratchatch) qui se retrouva entre les mains de Jon More. Du jour au lendemain, il était catapulté sur le même label que ses idoles d’enfance. "Lorsque j’avais 13 ans, je me suis procuré une copie de What’s the Noise? (le premier album de Coldcut) qui est rapidement devenu un des disques m’ayant donné le goût de commencer à faire des sets de D.J., explique l’artiste de 32 ans, natif de Vancouver. Ce truc sonnait comme rien de ce que j’avais entendu auparavant et ça me démontrait les possibilités infinies du découpage sonore. Depuis, je suis devenu un fan inconditionnel de Coldcut", poursuit-il.
Si on s’attend à un véritable feu d’artifice visuel et sonore pour la prestation de Coldcut, Kid Koala, semble-t-il, fera les choses plus sobrement. "Il y aura trois tables tournantes et beaucoup de vinyles. Attendez-vous à entendre du nouveau matériel que je testerai pour la première fois ainsi que des disques que j’aime particulièrement provenant de mon passé musical, des trucs plus récents et d’autres que j’ai toujours voulu entendre à fort volume mais que personne n’ose jamais faire jouer! Bref, ce sera un vrai gros party rempli de mélodies dans le front, de bons gros beats et de sons merveilleux!"
Ayant atteint un niveau de notoriété remarquable au fil des ans, Ninja Tune ne cesse d’étonner par la variété et la qualité de ses parutions. Ajoutez à cela une éthique remarquable et un goût pour l’aspect avant-gardiste et vous obtenez une étiquette qui ne prend pas l’auditeur pour un con. Longue vie à Ninja Tune!
Coldcut et Kid Koala
Le 13 mai
Au Métropolis
Avec Blockhead et DJ Signify
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