Yannick Nézet-Séguin : Les baguettes en l’air
Le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin lèvera pour la première fois les baguettes devant l’Orchestre du Centre national des Arts pour diriger un concert singulier. Rencontre.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Yannick Nézet-Séguin a le vent dans les voiles et l’agenda bien gonflé, lui qui parcourt ces jours-ci l’Europe en tant que chef invité. Récipiendaire d’un Prix Opus 2006 pour son rayonnement à l’étranger, celui qui nous offrait avec éclat une lecture de Kurt Weill avec nulle autre que Diane Dufresne (Atma, 2005) s’apprête à conquérir l’Orchestre du Centre national des Arts (OCNA) avec le même brio. "J’ai joué avec les orchestres de plusieurs grandes villes du Canada, mais c’est une première avec l’OCNA. C’est très excitant, d’autant plus que le programme est assez inhabituel", lance-t-il de sa chambre d’hôtel en Suède, où il donnait le jour suivant un concert avec l’Orchestre symphonique de Malmö. Celui qui est à la tête de l’Orchestre métropolitain du Grand Montréal (OMGM) depuis mars 2000 dirigera donc l’OCNA dans un programme qui comprend La Valse de Ravel – "probablement ce qui me représente le plus dans le programme, je m’intéresse beaucoup à Ravel, Debussy…" -, la suite tirée de Roméo et Juliette de Prokofiev – "une grande page du répertoire symphonique, tout en contrastes" – et Kaléidoscope du compositeur québécois Pierre Mercure – "un des grands classiques canadiens, très rythmique et complexe". La célèbre percussionniste Evelyn Glennie est la soliste invitée de ce concert et interprétera le Concerto pour percussion de Joseph Schwantner avec une quinzaine d’instruments différents, alors que trois percussionnistes supplémentaires situés à l’arrière de l’orchestre en manipuleront une vingtaine d’autres. "C’est un concerto que je ne connais pas, je le découvre présentement puisque je l’étudie. C’est un compositeur américain et il sera présent au concert. Un certain jeu de lumières sera aussi lié à la performance. Evelyn Glennie étant malentendante, c’est toujours impressionnant de voir comment elle travaille sur l’union entre le son et la musique, puisqu’elle crée par des sensations tactiles. Le concerto unira donc le visuel et l’auditif pour un résultat certainement intéressant", lance le chef, qui prévoit une rencontre en tête à tête avec la soliste et ses instruments, une heure avant la répétition avec l’Orchestre, qui se déroulera deux jours avant le concert.
COUP DE BAGUETTES
D’abord pianiste émérite, Yannick Nézet-Séguin n’avait que 25 ans lorsqu’on lui proposa la direction de l’OMGM. Maintenant âgé de 31 ans, il a évolué depuis sur le plan personnel et a amené l’orchestre de Montréal vers des avenues beaucoup plus larges. "Je crois que c’est à chacun son chemin… Certains ont passé des années dans un orchestre avant d’en diriger un. Moi, je n’ai pas pu être dans un orchestre, j’étais pianiste, et de toute façon, je savais que c’était la direction qui m’attirait, donc, dans mon cas, c’était plus une vocation. Mais la question de l’âge ne me dérange pas, je ne travaille pas différemment la musique à cause de mon âge. Il y a certainement ce facteur au début de voir arriver un jeune et de penser qu’il est inexpérimenté… mais je n’ai qu’à bien faire mes devoirs. Je fais de mon mieux, je ne me prends pas pour quelqu’un que je ne suis pas et je ne m’excuse pas d’être là…", renchérit-il.
Lorsque le jeune maestro se présente devant un nouvel orchestre, il ne dispose d’aucune "recette secrète" pour briser la glace. Il essaie plutôt de faire preuve de respect: "C’est toujours à recommencer. C’est comme dans n’importe quelle rencontre humaine, on essaie que ça se passe le mieux possible, des fois il y a une chimie particulière qui s’installe, des fois ça prend un peu plus de temps. J’ai été très chanceux jusqu’à maintenant, il y a toujours eu des belles relations qui ont pu s’installer un peu partout dans le monde. L’important, c’est que je sache clairement ce que je veux, que je puisse le communiquer, tout en étant conscient de l’apport de chacun dans l’orchestre et en le respectant. Pour moi, c’est une priorité. C’est sûr, ça prend un chef, mais j’ai toujours beaucoup de respect envers les musiciens et je pense que cela amène le respect en retour. À chacun son métier finalement".
Il n’est pas rare pour lui de se retrouver devant des musiciens ayant le double d’années d’expérience que lui: "Il y a toujours quelque chose à prouver, et c’est normal parce que les musiciens devant moi sont des gens extrêmement bien formés qui ont joué les oeuvres peut-être plus souvent que moi. Ce qui est important, c’est de faire de la musique ensemble, puis de réussir à convaincre, à persuader ou à séduire…"
LA VIE DE CHEF
Dans le magazine Affaires Plus de février dernier, Yannick Nézet-Séguin était du nombre des 10 personnalités témoignant avoir trouvé l’"emploi parfait". Parfait, vraiment? "Je pense que chaque métier peut être idéal si c’est vraiment ce que l’on veut faire et ce que l’on aime faire. C’est sûr que pour certaines personnes, le fait de passer son temps à voyager, à travailler avec de nouveaux groupes, à faire de longues répétitions sans pause, à avoir beaucoup de responsabilités, à ne pas pouvoir se permettre d’être moins en forme ou malade, avec la pression, le travail d’études, etc., ça peut être perçu négativement. Mais, pour moi, c’est idéal. C’est ce que j’aime faire; la musique, c’est ma passion, et à aucun moment je ne remettrais ça en question. C’est sûr que je ne suis presque jamais chez moi, mais c’est la vie que j’ai choisie et, dans ce temps-là, il ne faut pas se mettre en position de se plaindre. Si on veut vivre de grandes joies, il faut être prêt à faire des sacrifices", lance-t-il. Et un des revers du métier est certainement la critique, à laquelle Nézet-Séguin ne se dit pas indifférent, même s’il a certainement appris à s’en distancier.
En ce qui a trait à l’OMGM, pour lequel plusieurs concerts estivaux sont prévus, le soleil commence finalement à se montrer le bout du nez après l’affaire Rescigno. Rappelons que l’ancien chef d’orchestre Joseph Rescigno avait intenté une poursuite contre l’Orchestre pour bris de contrat. Les deux parties en sont finalement arrivées à une entente, et il semblerait que l’OMGM sera dans l’obligation de verser une importante somme à M. Rescigno. "Il y a eu des moments difficiles, je ne peux pas en dire beaucoup, mais en ce qui concerne la situation financière et générale de l’Orchestre, on a de belles choses à annoncer très bientôt, assure Yannick Nézet-Séguin. C’est sûr que ça prend beaucoup de temps, d’énergie, et c’est dommage parce que j’estime qu’aucune organisation ne devrait avoir à se rendre-là, mais bon, l’important, c’est que ça nous donne un bel élan pour repartir encore mieux."
À travers tout le brouhaha de l’été, les concerts à l’étranger et spéciaux, le maestro a quand même réussi à isoler deux semaines de vacances cet été, dont il compte bien profiter avant que ne reprenne de plus belle la saison courante à la mi-septembre.
Les 24 et 25 mai à 20h
À la Salle Southam du CNA
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