Serge Fiori : Le grand retour
Musique

Serge Fiori : Le grand retour

Serge Fiori, ex-leader d’Harmonium, est célébré sur un disque de reprises. Rare entretien avec un homme qui a voulu se faire plus petit que son propre mythe.

Dans la fable, la grenouille veut se faire aussi grosse que le boeuf et finit par en crever; dans la vraie vie, on a voulu faire de Serge Fiori un boeuf, mais juste avant d’en crever, l’homme a fait sauter le breaker. C’était en 1981. Leader d’Harmonium, Serge Fiori a disjoncté, après deux ans de tournée où ça n’allait plus du tout. Après avoir combattu une dépression, au seuil de la psychose, Fiori se rebâtira lentement, et gagnera sa vie loin des feux de la rampe. Vingt-cinq ans plus tard, plus serein mais toujours fragile, ce musicien parmi tant d’autres avoue qu’il aimerait bien remonter un jour sur une scène, mais sans y imploser. Juste par plaisir. Pour l’heure, Fiori apprécie au plus haut point cet hommage senti que lui font entre autres Marc Déry, Éric Lapointe, Catherine Durand, Bruno Pelletier et Mes Aïeux.

Pensez-vous que cet hommage agira comme une sorte de catharsis pour vous, après les conflits qui…

"Il n’y a pas eu de conflits. C’est juste moi qui ai complètement décroché. Pendant les deux dernières années de tournée d’Harmonium, je ne fonctionnais plus. Tout était trop gros. Je composais avec une énergie de groupe, mais pas mal tout était centré sur moi. Des fois, je me demande si ce n’est pas ce qui est arrivé à Dédé Fortin, avec Les Colocs. Moi, je m’en allais par là, j’ai fait un burn-out."

Entre cet épisode décisif et aujourd’hui, on vous a très peu vu; qu’avez-vous fait pendant 25 ans?

"Je me suis refait, par toutes sortes de moyens. Je me suis monté un studio d’enregistrement et de production, pour payer mes factures et parce que je ne peux pas me passer de la musique."

Vous parlez de la musique comme d’une nécessité. Comment est-elle arrivée dans votre vie?

"J’avais 12 ans quand j’ai commencé, dans l’orchestre de mon père. On jouait dans un club situé en haut de la brasserie Molson. Je n’avais pas le droit d’être là, mais à cette époque, c’était moins grave qu’aujourd’hui! Il manquait souvent des musiciens et comme le monde dans la salle prenait un coup, c’était pas bien bien grave si je remplaçais les absents. (rires) Jusqu’à Harmonium, presque toutes les fins de semaine, je remplaçais dans cet orchestre-là. C’est la meilleure école, car si tu fais un solo et que tu es dans les patates, tu reviens chez vous et tu gosses ta guitare en maususse! Et tu te mets à couvrir tout ton manche. C’est une façon de jouer qui a fait partie de mes structures de composition de chansons, plus tard. De ces expérimentations sont nés les solos qu’on retrouve dans Harmonium. J’ai remis la main récemment sur l’enregistrement d’un show à Bromont: j’ai fait un solo de 17 minutes, devant des milliers de personnes!"

Fort contraste avec les chansons d’aujourd’hui, qui doivent durer trois minutes et demie pour passer à la radio.

"En spectacle, si je me rends là – car je veux trouver un endroit où je me sente bien, et je veux trouver comment je peux réussir à avoir de nouveau du plaisir à faire ça, je ne peux pas faire comme Bori et me cacher sur scène! (rires) _, c’est sûr que mes tounes vont durer plus longtemps. Quand tu montes sur une scène, tu ne sais pas quand tu vas ressortir. Je ne veux pas des cues d’éclairage avec une console automatisée dans le fond de la salle qui fait que le petit spot jaune s’allume quand je fais ma note, je n’en ai rien à cirer! Si tu es un musicien à la base, ça va à l’encontre de tout ce à quoi tu crois. Il n’y a plus moyen de faire des montées rythmiques, d’explorer… C’est pour ça que je suis content d’avoir vécu ce que j’ai vécu à l’époque où je l’ai vécu."

Vous parlez de cet espace de liberté qu’on ne retrouve plus aujourd’hui?

"Oui, et quand tu l’as connu, tu ne peux pas vivre ou jouer de la musique autrement. Quand j’ai essayé de faire des chansons pour respecter leur moule, je me suis pété la gueule, ça n’avait aucun sens! (rires) Et il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles et toujours leur offrir la même bouillie pour les chats. Ils ont envie d’écouter de la musique différente, surtout les jeunes."

Internet va sauver la mise, peut-être.

"J’ai déjà pensé ça, mais plus maintenant. Pour qu’une culture survive, elle ne peut être parallèle à la société. La révolution va passer par les producteurs; plusieurs doivent lever les pattes, ils sont vieux, et les autres devront innover. Sinon, ça va péter au frette!"

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(Zone 3)