Wozzeck : Mourir d’aimer
Wozzeck au TNM: inspiré et inspirant
La pérennité d’une oeuvre prouve sans doute l’actualité universelle de son sujet, mais qu’elle puisse encore faire preuve d’une telle force 80 ans après sa création prouve le génie qui a présidé à sa conception. Le génie de la musique, celle d’Alban Berg, et le génie du texte, inspiré de la pièce Woyzeck, que Georg Büchner laissa inachevée à sa mort en 1837 (à 24 ans!) et qui fut créée en 1914. Le texte est cru et dur, comme les différents thèmes abordés (l’armée, la pauvreté, la trahison, l’abus de pouvoir, l’assassinat, le suicide…), tandis que la musique, magnifiée par la réduction pour un ensemble de 21 musiciens opérée par le compositeur John Rea, colle au sujet et lui donne un caractère de réalité qui amplifie le drame.
Cette musique, dont la majorité du public découvre encore aujourd’hui l’étonnante modernité, est servie avec brio par les musiciens de l’Orchestre Métropolitain, que dirige avec fougue Yannick Nézet-Séguin, mais aussi par les chanteurs, Alexander Dobson (Wozzeck) en tête. Que cette production soit donnée dans un théâtre aura peut-être inspiré les chanteurs; peut-être aussi est-ce la relative "intimité" du lieu (comparé à Wilfrid-Pelletier), qui permet de mieux goûter leur jeu. Quoi qu’il en soit, ils ont là de vraies émotions à nous transmettre, et on les sent passer.
Wozzeck, le regard perdu, est hallucinant de détresse; Éthel Guéret joue une Marie écrasée par la culpabilité, mais encore capable d’éphémères soubresauts de fierté; Michel Corbeil, en capitaine imbu de la redoutable méchanceté des crétins, brûle lui aussi les planches. Le reste de la distribution est à l’avenant.
Le génie, dans cette production, c’est aussi celui de la mise en scène de Lorraine Pintal, concentrée dans un seul décor (de Jean Bard). L’inspiration brechtienne annoncée est bien là, et les chanteurs se transforment fréquemment en accessoiristes, transformant le lieu en déplaçant seulement un banc, ou en tenant un cadre. La noirceur totale du drame est traversée par quelques bouffées d’air tragicomiques, gracieusetés du capitaine et du médecin (Claude Grenier), deux bouffons dansant sur les ruines du monde. Parfait sur toute la ligne.
Il faut voir Wozzeck!
Les 8, 9, 13 et 15 juin à 20 h et le 11 juin à 15 h
Au Théâtre du Nouveau Monde
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