CéU : Fleur rare
CéU atteste de cette nouvelle scène underground et multicolore qui fleurit encore à Sao Paolo et se confesse, plutôt fière, d’en être partie prenante.
C’est ce sacré Gainsbourg qui disait, en parlant de Vanessa: "Paradis, c’est l’enfer!". On pourrait penser la même chose de cette virginale Maria de Sao Paolo. La métisse brésilienne porte les noms de Whitaker (par sa mère blanche, d’origine européenne) et de Poças (par son grand musicien de père). Mais on la surnomme tout simplement CéU (prononcer comme: "C’est où?"), tel qu’il se dit affectueusement au Brésil de ce qui est d’essence céleste. Comme un petit ange venu du ciel avec deux ailes qui nous offre en musique un refuge, un petit coin de paradis tropical.
"Il y a tellement d’artistes talentueux qui s’amusent à créer dans cet univers, dit-elle avec enthousiasme et humilité, je me sens vraiment chanceuse d’être ici aujourd’hui, dans cette gang. Sao Paolo, c’est vraiment la ville gigantesque, tentaculaire, la cité des opportunités, et les gens arrivent de partout au Brésil pour y chercher du boulot. La scène musicale est donc la résultante directe de ces mélanges de différents backgrounds culturels."
Sandrine Teixido, une journaliste établie en France mais qui connaît bien le sujet, affirme que ce premier disque que nous avons trouvé si subtil, envoûtant, audacieux et magique est en réalité "une photographie sonore de Sao Paolo". Au téléphone, CéU acquiesce et confirme comment sa version très personnelle de Concrete Jungle de Bob Marley, par exemple, reflète encore pour elle la mégapole du Sud où elle a grandi. Cette marmite bouillonnante de dix-huit millions d’habitants a d’ailleurs fait les manchettes encore une fois, le mois dernier, lorsque la mafia locale s’est mise à prendre d’assaut tous les commissariats de la zone, à l’arme lourde, et en plein jour. Pas drôle!
"Oui, le crime organisé tire à vue et attaque ouvertement les quartiers de la police. Pendant deux jours, on avait même peur de mettre le nez dehors. Ce n’est pas nouveau ici, mais c’est toujours très dangereux. Il y a une tension considérable et surtout, malheureusement, rien ne change. En fait, la corruption persiste au Brésil et c’est d’autant plus triste que le pays est régi par des lois beaucoup trop vieilles pour affronter la réalité d’aujourd’hui."
Du rose et des couleurs pastel, il y en a pourtant partout dans la pochette attrayante de cet album attachant qui se retrouve aujourd’hui jusque dans les grandes surfaces au Québec. Un regard complice, invitant, mais qui révèle l’intelligence et la chaleur humaine plutôt que la concupiscence ou la surenchère des starlettes sexy qui sont légion aujourd’hui.
"Je ne suis pas une star. Non, non!, dit CéU en riant candidement. Ça va plutôt bien pourtant: le courant passe, je remplis mes salles et certaines personnes me reconnaissent dans la rue. Mais c’est tout."
L’artiste – dont le premier album a eu un certain écho en France – est plutôt flattée et même carrément intimidée d’entendre comment le public d’ici est réceptif à son mélange d’électro-jazz, d’afro beat, de reggae dub. C’est qu’elle vient de loin.
À dix-huit ans, lorsqu’elle est montée à New York, Maria CéU voulait se perfectionner en jazz et blues et surtout voir autre chose. Elle galère d’abord dans East Village, se cherche un coloc, tombe sur Antonio Pinto, un cousin éloigné et un peu pommé qui a signé les trames sonores des fabuleux films brésiliens Gare Centrale et Cité des Dieux. C’est lui qui va la présenter à ces diablotins de Alec Haiat et Beto Vilares, de jeunes et talentueux musiciens avec lesquels elle forme d’abord un groupe de samba funk avant d’écrire une flopée de chansons et d’enregistrer cette merveille d’album dans le chaos total. Une aventure un peu folle qui les amène à Montréal dans quelques jours.
"Ça a été très long. On avait la plupart des chansons, mais j’ai écrit Raina et Roda pendant l’enregistrement. C’était assez chaotique. Beto et moi, on n’était pas très organisés et on voulait tout changer, tout rejouer du jour au lendemain".
CéU sonne comme une fille au naturel qui déborde de créativité. Elle est timide à la guitare mais ô combien flattée que son père et son frère, des musiciens classiques de la grande tradition brésilienne, aient approuvé son style peu orthodoxe. Elle qui adore jouer du drum dans les répétitions de son groupe de six considère que sa voix est son principal instrument.
Une jeune chanteuse brésilienne totalement inconnue dont on n’a jamais vu le moindre clip ni entendu la moindre entrevue qui réussit à vendre dix mille copies de son premier album en quatre mois, au Québec seulement: on n’avait jamais vu ça! Il y a un tel buzz autour de cette fille tellement cool que sa visite au FIJM au deuxième jour de la série Voix du Monde est en train de devenir un événement avant la lettre, une de ces petites bombes qui valent à elles seules l’existence des grands festivals.
Le 30 juin à 19 h
Au Club Soda