Elisabeth Kontomanou : Elisabeth première
Musique

Elisabeth Kontomanou : Elisabeth première

Elisabeth Kontomanou, consacrée Voix de l’année aux Victoires du jazz 2006, propose une relecture personnelle des classiques de Billie Holiday et de chansons soul qui l’ont bercée.

D’origine gréco-africaine, Elisabeth Kontomanou est née dans le Sud de la France. À quatre ans, elle découvre Maria Callas, mais aussi Stevie Wonder et Carmen McRae, qui la fascinent: "J’ai tout de suite senti que je voudrais chanter toute ma vie." En 1980, elle s’en va vivre en Suède: "À 20 ans, je me demandais dans quelle direction musicale je voulais aller. Je me suis retirée deux ans. J’ai commencé à improviser a cappella, à écrire, à m’intéresser aux musiques ethniques. Ça m’a aidée à développer une vision." De retour à Paris, elle forme le quintette Conversation et devient un personnage incontournable de la scène française du jazz. 1987 devient une année déterminante: c’est à ce moment qu’elle fait la rencontre du pianiste Jean-Michel Pilc et de musiciens comme Stéphane Belmondo et Thomas Bramerie.

En 1995, elle se rend à New York avec Pilc. Elle y vit maintenant depuis 11 ans: "Jean-Michel et moi sommes allés là-bas par curiosité. Ce fut le coup de foudre. Notre aventure a eu un effet d’entraînement sur d’autres musiciens français: François Moutin, puis Thomas Bramerie et Frank Amsallem sont venus nous rejoindre." À partir de ce moment, Kontomanou a joué avec la crème des musiciens new-yorkais: David Binney, Bruce Barth, Sylvie Courvoisier, Andy Milne, Donny McCaslin, Clarence Penn, Nasheet Waits, Matt Wilson. En 1999-2000, elle enregistre deux albums en tant que leader sous étiquette SteepleChase, dont Embrace, en nomination aux Djangos d’Or.

À New York, Kontomanou joue de façon ponctuelle avec des musiciens parmi les plus novateurs de notre époque (pianistes, batteurs, guitaristes) et approfondit sa relation privilégiée avec Jean-Michel Pilc. Elle s’entoure de percussionnistes reconnus pour leur grand sens de la polyrythmie: Ari Hoenig, Leon Parker, Donald Kontomanou, chante en duo avec les pianistes Zoot Fleischer et Frank Amsallem: "Le rythme est très important pour moi. J’aime les batteurs qui mettent l’accent sur le côté percussif mais qui, en même temps, ont un grand sens de l’harmonie. J’ai joué avec Mike Stern au moment où il s’intéressait aux musiques du monde. Avec Jean-Michel Pilc, il s’agit d’un vrai duo. Cela n’a rien à voir avec le fait qu’il soit pianiste, mais bien avec le musicien. Il a des oreilles. Il sait écouter."

Midnight Sun (2005) et Waitin’ For Spring (2006), sous étiquette Nocturne, sonnent la consécration. Le premier, en duo avec Jean-Michel Pilc, joue d’audace: The Midnight Sun (Lionel Hampton), All Alone (Olitt / Kontomanou / Bramerie), Yesterdays (Kern / Hartback), Everytime We Say Goodbye (Cole Porter), For All We Know (Coots / Lewis) et surtout You’re My Thrill (Claire / Gomey). Cette dernière chanson de Billie Holiday fut reprise par Shirley Horn. Chanson de l’abandon consenti. Quand Kontomanou détache langoureusement les syllabes des mots why this strange desire, en épelle le mystérieux alphabet, cela vous défait d’abord, puis vous remet au monde. Tout baigne dans la lenteur…

Manifestement, la chanteuse aime transformer le timbre de sa voix, en changer le tempo. On songe à des interprètes qui utilisent la voix comme un instrument: Abbey Lincoln, Jeanne Lee, Jay Clayton interprétant Lonely Woman d’Ornette Coleman: "Je n’aime pas dire qu’on se sert de la voix comme d’un instrument. Le plus important, c’est l’oreille. Un peintre regarde, un musicien écoute. Il faut vraiment être dans la créativité. Les chansons que je choisis, il faut que j’éprouve pour elles un coup de foudre. Puis, j’essaie de les interpréter d’une façon qui me soit propre."

Et le complice, Jean-Michel Pilc, souvent baroque et effervescent dans d’autres contextes, est ici d’une économie exemplaire. Il laisse respirer l’espace comme seul le vieux Duke en avait le secret. Waitin’ For Spring, habité par le blues, le gospel et le soul, est un album plus accessible. Kontomanou s’entoure de musiciens importants de la scène actuelle du jazz à New York dont Daryll Hall et Sam Newsome. Elle y chante en duo, quartette, quintette, sextette: "Ce sont des chansons d’une autre époque de ma vie, mes préférées. Les différentes combinaisons de musiciens permettent des nuances." Le disque est dédié au refuge pour femmes et enfants sans foyer Fox House, à Harlem, dirigé par soeur Florence. Des chansons comme Fever, Sunny et la magnifique Sound of Love de Duke Ellington semblent, en grande partie, offertes à tous les déracinés de la planète. Kontomanou voudrait-elle renouer avec ses racines grecques et guinéennes? "J’ai été orpheline très jeune. Mon identité, j’ai dû me la créer. Et c’est dans le jazz que je la trouve."

Le 6 juillet à 19 h
Au Club Soda
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