Daniel Russo Garrido : Leçon identitaire
Daniel Russo Garrido délaisse les introspections retrouvées sur son premier disque pour porter bien haut le flambeau du multiculturalisme. Rencontre.
Boogat (Daniel Russo Garrido de son vrai nom) ouvre son deuxième album avec un poème adapté de Rodolfo "Corky" Gonzales, un boxeur / vendeur d’assurances devenu, dans les années 70, phare dans la lutte pour les droits des Chicanos, ces Mexicains immigrés aux États-Unis. Le jeune rappeur en nomination à l’ADISQ l’an dernier pour son premier effort, Tristes et Belles Histoires, récite les vers en français d’I am Joaquin sur un fond mélancolique de guitare acoustique et de flûte traversière joué par ses soeurs Anahi et Sara.
"C’est un vieux tape qui date de 10-15 ans, confie Daniel. Mes soeurs s’étaient enregistrées devant un magnétophone bas de gamme. J’ai inclus ce passage à mon album à la demande de ma mère."
Des rappeurs qui, à la suite de pressions maternelles, ajoutent à leur album un vieil enregistrement de leurs soeurs, on en voit rarement sur la scène hip-hop québécoise, où tout est question de crédibilité. Or, venant de Daniel, le geste très solennel ne surprend guère et annonce les couleurs de Patte de Salamandre, un disque sous le signe de la sincérité, des valeurs altruistes et des origines mexicaines (maman) et paraguayennes (papa) de Garrido.
Grand gagnant du Gala Montréal-Underground (qui récompense la scène urbaine d’ici) en 2005, le rappeur s’avère l’un des plus ouverts d’esprit de la province. Sur ce nouveau compact, le Montréalais ne se cantonne pas seulement dans le mouvement rap-acoustique (Accrophone, Les 2 Tom) de sa ville d’origine, Québec, mais exploite également des sonorités latines et électroniques. Après La Musiquita, une pièce hispanophone ensoleillée, Boogat enchaîne d’ailleurs avec P’tit Matin, un titre basé sur un échantillonnage accéléré d’À Toutes les Fois de Beau Dommage. Bonjour le multiculturalisme!
"Les rappeurs québécois, particulièrement à Montréal, utilisent également des échantillonnages de pièces jouées à haute vitesse, mais ils choisissent presque toujours de vieux tubes américains. Influencés par le rap des States ou celui de la France, ils refoulent complètement leur identité québécoise, comme si notre culture était trop quétaine. Cette attitude de colonisé m’enrage. Je viens d’Amérique du Sud, de la ville de Québec et je reste à Montréal. Voilà qui je suis."
Ce sentiment d’appartenance partagé entre trois pôles, Boogat l’explique aisément: "Je m’associe à Québec pour sa scène rap où j’ai longtemps évolué. Bien que j’aie énormément d’amis là-bas, la mentalité bourgeoise et le manque d’ouverture de la ville m’exaspèrent. À l’école, on m’a appelé Pedro toute ma jeunesse à cause de mes traits mexicains. À l’inverse, l’ethnicité de Montréal me plaît énormément. Lorsque je me promène à Montréal-Nord et que j’entends parler haïtien, j’ai la fantastique impression d’être en territoire international. Et mon bagage latin me vient de mon éducation et des valeurs qu’on m’a inculquées. Adolescent, si nous étions huit à la maison à l’heure du souper, nous étions huit à table, même si nous n’avions de la bouffe pour que pour cinq personnes. Nos assiettes étaient moins garnies, mais chacun mangeait à sa faim. C’est comme lorsqu’un touriste se rend au Mexique, il est certain de trouver quelqu’un qui l’hébergera et lui fera passer un beau séjour. Ici, on s’en "crisse" des touristes mexicains."
Tout est une question de coeur à la bonne, comme en témoigne Daniel sur la pièce Ernesto, inspirée par le Che Guevara; "pas la biz de T-Shirt, mais le combattant révolutionnaire."
Daniel Russo Garrido présente Boogat
Patte de Salamandre
(HLM / DEP)
Concert le 4 août à 20 h
Au Séminaire de Sherbrooke
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