Fredric Gary Comeau : French kiss
Désormais, Fredric Gary Comeau vit et aime en français. C’est donc dans cette langue qu’il chante et nous offre l’album Ève rêve, où une couleur domine: le folk sensuel.
Au téléphone, le débit de Fredric Gary Comeau est lent, rêveur, chercheur, ponctué de silences: "Heureusement qu’on n’est pas à la radio!" réagit-il, comme pour lui-même. Ses nouvelles chansons collent parfaitement à son débit de parole en entrevue: elles prennent leur temps, tourbillonnent sur elles-mêmes, semblent s’égarer, puis reviennent à l’essentiel – la sensuelle émotion.
Depuis Hungry Ghosts (2002), son deuxième CD, on savait Comeau apte à envoûter l’auditeur par un grain de voix rauque, un folk foisonnant, une richesse mélodique épatante (Rainy Day in Istanbul). Quatre ans ont passé. Comeau a changé de maison de disques, passant d’Audiogram à Tacca: "Je m’entendais très bien avec l’équipe de Tacca, j’aimais leur philosophie. La personne-clé pour moi chez Audiogram, celle qui m’a accompagné, c’est Denis Wolff et il est parti, cela a donc été plus facile de les quitter."
Le poète acadien et grand voyageur a troqué la langue de Leonard Cohen contre celle de Rimbaud: "Je dirais à cause de mon parcours géographique. Depuis quelques années, je suis revenu à Montréal, je suis plus stable. Mes histoires d’amour se passent en français. Alors que, pour mes autres disques, j’ai beaucoup écrit en voyage, et l’anglais était souvent la langue qui faisait le pont entre mon interlocutrice et moi. J’ai l’impression que je suis plus sensuel en français et plus cynique en anglais. Je ne sais pas pourquoi. Je me dévoile davantage en français. Et c’est quand même ma première langue, mais j’ai grandi en français et en anglais, comme c’est souvent le cas au Nouveau-Brunswick." Comeau retourne quelques fois par année en Acadie, où il peut retrouver la mer – très présente dans ses chansons.
L’amour et la mer sont deux sources d’inspiration chez le chanteur, qui sait rendre leur violence comme leur douceur. Le langage choisi, parfois exacerbé (avec des mots comme vomir et cracher), surprend: "L’amour, ça peut être violent. Ce n’est pas très romantique, mais ça va avec la rupture, comme dans J’ai déjà vu pire. Mais les ruptures peuvent aussi être douces, surtout en voyage, chacun part de son côté…"
Le réalisateur-arrangeur François Lalonde, conjointement avec Comeau, a réfléchi longuement afin d’obtenir un parfait ordre de chansons au goût du chanteur: "Je trouve qu’un disque bien construit, c’est souvent un peu comme des montagnes russes. La tension monte, ça redescend, ça remonte, redescend… Après J’ai déjà vu pire, on a mis J’ai rêvé, qui flotte, qui est romantique… Ensuite, avec Barcelone, c’est un peu la fin du monde! Ce n’est pas que la chanson soit rapide, mais elle est assez intense, je crois."
Le choix de Lalonde pour réaliser Ève rêve s’est fait tout seul: "François et moi, on s’entend à merveille, on pense souvent pareil. Et puis il y avait une direction un peu différente par rapport au disque précédent. Je n’avais pas envie de refaire Hungry Ghosts, au niveau de l’instrumentation, avec beaucoup de cordes, de violons, violoncelles. Cette fois-ci, on a décidé d’aller vers les percussions mélodiques, les vibraphone, xylophone, harmonica, mélodica…"
Quatre chansons d’Ève rêve convient Marie-Jo Thério pour quelques choeurs discrets: "Elle fait ça tout en subtilité, c’est vraiment particulier. Marie-Jo, je la connais depuis plusieurs années, on s’est souvent croisés. J’avais repris sa chanson Arbre à fruits pour un disque produit par le Festival acadien. Pendant qu’on était en pré-production pour mon nouvel album, j’entendais la voix de Marie-Jo sur certaines chansons (J’ai déjà vu pire; Je disparaîtrai). Pour Barcelone, lorsqu’elle l’a entendue, c’est elle qui a dit qu’elle aimerait chanter dessus."
Idéalement, il faut prendre son temps pour apprivoiser Ève rêve. Non qu’il déconcerte de prime abord, mais il demande une lenteur, une patience, une certaine introspection. Ses chansons ont une saveur d’automne, une langueur de pluie et de laine. Pour l’instant, elles sont hors saison, trop riches, trop pleines pour se savourer sous le soleil et l’air climatisé. Elles préfèrent sans doute le vent, l’air du dehors cher à Jérôme Minière. Des chansons automnales et hivernales, qui tiennent au chaud, qui font rêver. Comeau aura beau jeu de venir nous les présenter sur scène à ce moment-là. Elles voyageront ensuite en nous, pour se tramer à nos souvenirs.
Fredric Gary Comeau
Ève rêve
(Tacca musique)
Sortie le 8 août