Les Vulgaires Machins : Bien faire le mal
Musique

Les Vulgaires Machins : Bien faire le mal

Les Vulgaires Machins sont de retour avec Compter les corps, un disque où le groupe s’attaque au mouvement punk et se prononce en faveur de la légalisation de l’héroïne. Rien de moins.

Les adolescents adeptes de punk californien à la NOFX, Bad Religion, Rancid et Green Day sont en général peu friands de musique québécoise. Ils renient les radios commerciales et considèrent malheureusement trop souvent, à tort, la musique francophone comme arriérée ou tout simplement quétaine. Or, pour plusieurs d’entre eux, la donne a changé en septembre 2002, avec la parution du troisième album des Vulgaires Machins, Aimer le mal. Les vidéoclips de Comme une brique, La chasse est ouverte et Anesthésie se sont infiltrés avec force dans la programmation de MusiquePlus et, forcément, dans la tête de son audimat posté devant la télé câblée de la maison familiale.

ENTRETENIR LE FEU

Fondé à Granby en 1996, Vulgaires Machins a écoulé 15 000 exemplaires d’Aimer le mal: le plus gros succès punk francophone québécois. Il s’est produit sans relâche au cours de 2003 et 2004, visitant même la France à deux reprises. "J’ai passé deux ans à me faire dire que le groupe ne réussirait jamais à surpasser Aimer le mal, explique le chanteur-guitariste Guillaume Beauregard. Je ne crois pas que les gens cherchaient à me mettre de la pression. Mais forcément, je me suis mis à voir l’écriture du prochain disque comme une montagne à franchir. Avant même de commencer à le composer, je le voulais parfait, sans faille. Ç’a eu l’effet d’un frein, mais d’un autre côté, je suis devenu hypercritique envers moi-même."

Heureusement pour Guillaume, avant d’entamer le processus de composition avec la guitariste-chanteuse Marie-Ève Roy, le bassiste Maxime Beauregard et le batteur Patrick Landry, la troupe s’offrit une longue pause, question de se ressourcer. "Nos deux ans passés sur les planches se sont conclus par un mois en France suivi immédiatement d’un concert à Saskatoon pour Coup de coeur francophone, indique Marie-Ève. Nous étions déjà cernés avant même de partir pour l’Hexagone. Le corps ne suivait plus." "Au moment de redéposer nos instruments dans le local, début décembre, le mot d’ordre était "on se rappelle un de ces jours"", se souvient Guillaume.

La pause dura six mois. Vingt-six semaines où les quatre musiciens durent réapprendre à vivre sans les Vulgaires, groupe formé alors que Guillaume et Marie-Ève n’avaient que 17 ans. Patrick fonda une compagnie de vente de chandails en ligne, Maxime travailla sur des chantiers de construction, et Marie-Ève suivit des cours de théâtre pendant que Guillaume grattait toujours sa six cordes, se demandant toutefois si ses nouvelles compositions serviraient aux Vulgaires. "Il fallait vivre en se disant que le groupe n’existait plus pour vraiment décrocher, et laisser le feu nous envahir à nouveau, précise Marie-Ève. Soudain, pour la première fois en dix ans, la priorité n’était plus la musique, mais notre moral personnel." La formation reprit le collier en mai 2005, planchant sur les compositions de Compter les corps qui fait suite à Aimer le mal (2002), Regarder le monde (2000) et Vingt-quatre quarante (1998).

PUNKS INCORPORÉS

À l’écoute de ce quatrième effort réalisé par Gus Van Go (The Stills, Priestess), on sent aussitôt l’intention de marquer une coupure avec Aimer le mal. S’ouvrant avec une douce intro jouée au piano et les plus rock Anéantir le dogme et Compter les corps, trois pièces enchaînées sans pause et plus complexes qu’un simple hymne punk rapide, l’album prouve dès le départ l’efficacité du retour des Vulgaires. "Nous souhaitions amorcer l’album avec une autre couleur, répondre à ceux qui affirmaient que nous ne pouvions faire mieux que le disque précédent, souligne Guillaume. Nous revenons ensuite avec quelques pièces punk classiques, mais entrecoupées de compositions plus complexes. C’était une manière d’évoluer sans perdre les jeunes qui trippent sur nos pièces rentre-dedans."

Ces jeunes se sentiront toutefois visés par le texte d’Être un comme, qui matraque le mouvement punk lié à la tournée Vans Warped Tour, festival itinérant regroupant chaque année une cinquantaine de formations. "Le Warped Tour est l’événement punk de l’année, mais c’est beurré de commanditaires, les billets coûtent une fortune, la malbouffe et la bière (une seule marque sur le site) s’y vendent à un prix exorbitant et une immense allée de stands de marchandise y est aménagée chaque année. Le Vans Warped Tour est un supermarché punk. Une contradiction totale. On y joue la carte de l’anarchie et de la contre-culture à fond la caisse dans un format ultra-capitaliste."

Pas surprenant d’entendre Guillaume tenir de tels propos. Restant sur scène après chaque concert pour parler avec les fans et signer des autographes, le chanteur n’hésitera pas non plus à critiquer la foule comme il l’a fait au Festival d’été de Québec, alors que les Vulgaires Machins assuraient la première partie du concert-réunion de Bérurier Noir. Peu avant la fête, un orage avait transformé les plaines d’Abraham en champ de vase. Plusieurs s’étaient alors amusés à lancer de la boue sur le groupe. Il avait fallu que Loran des Béru se pointe sur scène pour calmer les esprits. "Je peux comprendre que certains extrémistes nous critiquent pour avoir tourné à MusiquePlus, mais c’est la journée où le mouvement anarchique m’a le plus déçu. Ces punks avaient besoin d’un gourou de l’anarchie, en la personne de Loran, pour comprendre que le respect est impératif à toute révolution. Même dans l’anarchie, ça leur prenait une certaine forme de dictature. Sans respect, le dogme de l’anarchie est aussi ridicule que celui du capitalisme."

Un titre comme Légaliser l’héroïne a aussi de quoi surprendre. "En fait, j’aurais dû chanter "décriminaliser l’héroïne", mais ça ne sonnait pas bien. J’ai eu l’idée en écoutant Les Chasseurs d’idées à Télé-Québec. Il y avait un débat sur la décriminalisation de l’héro, un tabou qui en dit long sur l’hypocrisie de notre société. Pour chaque dollar dépensé dans la guerre contre la drogue, 90 ¢ vont pour arrêter les consommateurs et revendeurs, tandis que seulement 10 ¢ financent la prévention. On dépense des milliards pour mener une guerre sans fin, car tant qu’elle ne sera pas décriminalisée, la drogue engendrera le crime (vols, meurtres, prostitution). La répression ne mène à rien. Il faut informer les gens et cesser de mettre les junkies en prison."

Et pour ceux qui trouvent que les Vulgaires Machins se répètent depuis la parution d’Aimer le mal, rappelons que Bush fut réélu, que les libéraux forment le gouvernement québécois et que les conservateurs sont entrés à Ottawa. Trois bonnes raisons de revenir à la charge.

Vulgaires Machins
Compter les corps
(Indica / Outside)