Boogat : Contes d’asphalte

Le cellulaire sonne quelques coups, puis la voix enjouée de Daniel Russo Garrido aka Boogat demande d’attendre quelques instants. Au loin, une conversation en espagnol, puis des éclats de rire. Le moment présent prend des allures de fête. Du coup, bien que séparés par une centaine de kilomètres, on comprend à quoi carbure le rappeur originaire de la ville de Québec et que ce n’est pas par hasard que les organisateurs du Festival urbain l’ont choisi comme porte-parole de leur seconde édition.

LA VILLE PARLE

Garrido, qui a lancé Patte de salamandre en mai, s’habille de simplicité. Il n’érige aucun mur entre son coeur et son personnage de scène. Les mots qu’il prononce sont empreints d’une troublante honnêteté. Une qualité en voie de disparition dans le monde du show-business. Boogat n’économise pas les bons commentaires à l’égard du Festival urbain à Trois-Rivières, un des rares événements du genre dans la province. Il parle d’abord de la variété d’artistes qu’on pourra y découvrir, puis il oriente son discours vers un aspect plus social. "Je sais qu’il y a du monde que le Festival touche vraiment. Et ça peut le diriger dans des voies qu’autrement il ne prendrait pas", signale-t-il. Au fait, un tel événement, mu par des valeurs d’entraide et d’amitié, peut-il arriver à redorer le blason du hip-hop? "Le hip-hop, c’est quand même banni au Québec! (rires) Les radios commerciales ne veulent rien savoir. Pendant longtemps, l’image qu’on avait du hip-hop, c’était celle des gros gangsters, des rappeurs anglophones, américains surtout. Mais, il y a un tout autre hip-hop qui est en train de se démarquer présentement au Québec. Il y a beaucoup d’autres groupes, beaucoup d’autres styles qui sont en train de sortir. Et ça, à la longue, ça va changer la mentalité des gens. Et pour les jeunes, d’avoir un événement comme ça, où ils peuvent faire quelque chose de positif, c’est génial. Mais, selon ma théorie à moi, si les gens ont déjà leur stéréotype, c’est difficile de les convaincre du contraire. C’est comme quelqu’un qui n’aime pas le poisson: tu as beau lui donner le meilleur poisson du monde, il peut rester "bocké". En plus, il ne va peut-être même pas y goûter. C’est là le problème. Il y a beaucoup de personnes qui pleurent à cause de ça et qui voudraient changer l’opinion des gens. Mais pourquoi dépenser son énergie pour rien? Il vaut mieux focaliser sur le monde qui est là pour vrai et qui veut vraiment entendre cette musique. Autrement, tu entres dans une affaire de préjugés, dans le secteur flou du racisme, de la xénophobie et de l’ignorance."

HISTOIRES D’AILLEURS

L’album Patte de salamandre aborde justement de tels problèmes. C’est que Boogat, dont l’identité repose sur trois pôles (québécoise, mexicaine et paraguayenne), a largement été inspiré par la question d’immigration lors de sa création. "Il y a des problèmes liés à l’immigration comme la discrimination. Au Québec, ce qui est cool, c’est qu’on n’a pas de racisme extrémiste, à part quelques aléas comme les skins, qui sont réapparus dans la ville de Québec. Oui, il y a du racisme, mais ce n’est pas rendu à un point extrême, où on veut faire sortir les gens du pays, où on les bat et on les condamne." Malgré tout, il rêve d’un monde où les différentes ethnies se respectent et cohabitent en harmonie. Il s’attriste de la montée d’un vent de droite, de l’agressivité que certains gangs entretiennent envers d’autres cultures. Sa pensée vogue alors vers un de ses amis, qui a frôlé la mort il y a quelques semaines, après avoir été sauvagement battu par quatre skins. "C’est triste. C’est de l’ignorance. Ça ne va nulle part. Ça ne va pas construire une société", souligne-t-il.

Le sympathique musicien délaisse donc les ténèbres pour s’allonger au soleil, ou plutôt il allume la lumière dans les sombres ruelles de la condition humaine. "Mon dernier album est très positif comparativement à d’habitude. Mais dans la vie, il y a aussi des côtés négatifs. Et je pense qu’il faut en parler. Sur mes autres albums, j’étais plus jeune et j’ai trop focalisé sur le négatif. Quand tu fais de la musique, il faut que tu t’amuses. C’est cool de faire réfléchir le monde. Mais, si quelqu’un passe une journée de merde, qu’il écoute ma chanson et qu’il va mieux, bien que ça soit quelque chose d’éphémère, c’est quelque chose de plus valorisant pour moi que de faire réfléchir quelqu’un", admet-il.

Accompagné de son band, Boogat promet d’ailleurs toute une fête au moment de son passage à Trois-Rivières, le vendredi 25 août. "Je vais faire un mix de tous mes anciens disques et de Patte de salamandre. On va être quatre. Et éventuellement, il va y avoir de petits featurings. On va beaucoup s’amuser! J’ai vraiment hâte." Et quels sont ces fameux invités spéciaux? Daniel Russo Garrido, en bon politicien, répond: "Tout le monde doit s’en douter déjà… Il y a des musiciens avec qui je ne me déplace pas! "

Le 25 août à 20h30
Au parc portuaire de Trois-Rivières (Festival urbain)
Voir calendrier Hip-hop/Funk

Cultivés, bien élevés!

Après une première édition assez réussie, le Festival urbain (FU) revient du 25 au 27 août au parc portuaire de Trois-Rivières avec des bases encore plus solides. Ses organisateurs ont travaillé fort durant la dernière année pour établir de nouveaux partenariats, mais surtout ils se sont rapprochés de leur clientèle cible. "On veut que ce festival-là soit dans les mains des jeunes. On en a donc impliqué le plus possible", explique le coordonnateur, Dany Carpentier. "On est toute une équipe de bénévoles. Et on est bien fiers de ça, car c’est le but de l’événement de promouvoir un engagement social. Les jeunes qui se dévouent pour les jeunes, c’est bien le fun." En 2006, le FU gagne ainsi en diversité. Il propose une série d’activités, où les jeunes branchés de 16 à 25 ans devraient trouver leur compte. Spectacles hip-hop (Daniel Russo Garido aka Boogat, Sans Pression, Sagacité, Métazon…), tournoi de basketball, ateliers de danse, slam poétique, débats de société, match d’improvisation sont quelques-unes des activités qui figurent au cahier de programmation. Bref, le rendez-vous ratisse large. Un geste posé afin de défaire les préjugés à l’égard de la culture hip-hop. "C’est pour ça que ça s’appelle le Festival urbain. Nous, on a notre définition du hip-hop, qui n’est vraiment pas celle des gens." Une définition orientée vers un désir de donner une place aux jeunes. Pour la programmation complète: www.festivalurbain.com.