Sonic Youth : Fontaine de jouvence
Redevenu quatuor, Sonic Youth propose avec Rather Ripped un de ses albums les plus accessibles et dépouillés en 25 ans de savant tapage. Les temps changent mais l’esprit demeure le même: mélodie et dissonance ne doivent faire qu’un.
Mine de rien, Kim Gordon (basse, voix) et Lee Ranaldo (guitare, voix) font désormais partie du club des quinquagénaires. Thurston Moore (guitare, voix) bénéficie encore de quelques années de sursis avant d’en joindre les rangs, alors que le benjamin du groupe, Steve Shelley (batterie), n’y sera pas intronisé avant 2012. N’empêche que la formation Sonic Youth peut se targuer d’être demeurée au fil des ans une figure dominante du rock alternatif, s’étant toujours tenue aux premières lignes de l’avant-garde.
Sur Rather Ripped, plus récent essai que plusieurs considèrent comme l’album pop du groupe, le vent de fraîcheur est toujours au rendez-vous. Sauf que cette fois, il apporte avec lui quelques effluves d’optimisme et de félicité. Thurston Moore rigole de bon coeur devant l’observation. "Tu sais quoi? On voulait justement que cet album ait une petite touche joyeuse, explique-t-il depuis sa résidence de Northampton (Massachusetts), où il habite avec son épouse bassiste et leur fille de 12 ans, Coco Hayley. "Cela s’est fait assez consciemment, même si nous n’en avons pas vraiment discuté, poursuit-il. Nous ne souhaitions pas que ce soit un disque trop sombre et tordu, en réponse au tumulte social actuellement en cours. Et nous ne voulions pas non plus trop nous détacher de tout ça ou l’ignorer, mais plutôt y injecter une énergie positive, ajoute-t-il, incapable de confirmer ou d’infirmer l’accroissement du bonheur au fil des années. "Il est facile de devenir de plus en plus amer avec l’âge, mais il m’apparaît plus sain de se concentrer sur le côté positif des choses. La plupart des gens que je connais n’empruntent pas vraiment cette route…"
Depuis le départ de Jim O’Rourke, qui se consacre désormais au cinéma, la troupe a retrouvé sa forme originelle de quatuor. Mais se réunir tous les quatre pour répéter et composer n’est plus aussi simple aujourd’hui. "On habite à une plus grande distance les uns des autres maintenant, puis il y a les enfants qui se sont ajoutés à travers ça aussi, remarque Moore. Avant, on répétait tout le temps dans notre local à Manhattan, échafaudant les idées tous ensemble; des albums comme Sister se sont faits comme ça. Mais on n’a malheureusement plus le privilège de fonctionner de la sorte aujourd’hui. Maintenant, lorsqu’on se réunit, on est conscients de disposer d’un temps limité. Alors souvent, j’aurai déjà préparé quelques idées afin que lorsqu’on se rencontrera, on ait le temps de s’adonner à l’improvisation et d’engendrer des trucs comme Jams Run Free…"
Favori de l’artiste et du journaliste, Jams Run Free est un très bon exemple du morceau pop typique à la Sonic Youth: une batterie entraînante, une basse et des guitares qui s’entremêlent dans une douce et mystérieuse harmonie; on croirait surfer dans le noir. La voix claire et ensorcelante de Kim Gordon nous parvient comme une brise perçant le brouillard: "Jagged brain / Slow refrain / We love the jams / And jams run free / I love the way you move / I hope it’s not too late for me / It’s too good on the sea / Where the light is green…" Ici et là, telles des méduses fluorescentes, quelques petites notes étrangères s’accrochent les unes aux autres, laissant présager l’intermède cacophonique qui accompagnera nos culbutes lors de la chute ultime au coeur de la vague. Mais ces petites notes faussent-elles vraiment ou n’a-t-on simplement jamais entendu cette harmonie? "C’est quelque chose qu’on a toujours aimé étudier en tant que groupe, confirme le grand Thurston. Essayer d’en arriver à cette espèce de musique hybride entre dissonance et mélodie, qui ne se manifeste pas de prime abord en dissonance et où aucun des deux aspects ne prend le dessus, en fait; que les deux arrivent à constituer une seule chose unifiée. Et cette chanson en est un bon exemple, concède-t-il. Ce type de jeu de guitare s’inspire beaucoup de ce que j’ai entendu de la part de groupes new-yorkais des années 70 et du début des années 80 comme The Contortions, Mars, DNA ou Teenage Jesus and the Jerks, des groupes qui nous ont beaucoup influencés, tout comme les formations britanniques Public Image, The Pop Group, Gang of Four ou The Raincoats…"
Gardant le souvenir d’un accouchement plutôt rapide pour Rather Ripped, Moore confie ne plus trop apprécier les processus créatifs trop laborieux. "Pas que cela soit mal de s’attarder longtemps sur des idées musicales, mais généralement, je n’aime pas trop travailler de cette façon. Cela peut s’avérer des expériences très enrichissantes, mais souvent, ça devient un peu trop exigeant et exagéré…" On savait le groupe parmi les rares chanceux sur une étiquette majeure à pouvoir en faire pleinement à leur tête. Mais jamais aurait-on pu soupçonner l’origine inusitée de quelques-unes des nouvelles pièces. "Certaines sont venues de riffs que j’avais écrits pour un commercial de banque!" confie-t-il, citant en exemple Reena, ouvrant le disque. "J’ai obtenu un contrat pour écrire des petits clips musicaux pour des pubs télévisées. Mais quelques-unes de ces idées se sont transformées en vraies chansons de trois minutes… C’était une expérience assez intéressante!"
Le 2 septembre à 21h45
Au parc Jean-Drapeau
Scène de la Rivière
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