Lambchops : La ville fantôme
Les Lambchops, planqués à Nashville, sont devenus, après sept ans de dilettante, le plus lyrique des groupes de country-folk en Amérique. Et le miracle, c’est qu’ils passent un soir par ici.
Il existe sur les Lambchops comme sur une ville fantôme quelques mythes persistants que très peu d’entrevues ou de sites Internet sont arrivés à éclaircir. Sans doute la phrase la plus révélatrice sur cette dizaine de musiciens du Tennessee se trouve-t-elle à la fin d’une notice biographique immensément flatteuse disponible sur l’une des milliers de pages de la bible musicale Internet All Music Guide: "Lambchop was arguably the most consistently brilliant and unique American group to emerge during the 1990s. Its baroque beauty is held together by the surreal lyrical wit and droll vocal presence of frontman Kurt Wagner."
Mais en outre? S’il faut se fier à ce que l’on entend sur des disques vendus jusqu’à récemment à des prix prohibitifs et dans quelques chansons pompées sur Napster ou Limewire, les Lambchops font dans un country baroque d’avant-garde ponctué d’accents de jazz. Mais c’est le génie poétique de Kurt Wagner, parolier et chanteur à la voix de fibromyalgique, situant des couples aux vies indolentes et médiocres dans des huis clos de bungalows, motels glauques et cimetières d’autos propices aux scènes de ménage et à l’ennui, qui porte l’affaire vers des splendeurs inégalées. Wagner va enfin (presque) expliquer, sans jamais une seule seconde se prendre au sérieux, comment, à coups de poésie surréaliste, on transfigure la banalité du quotidien.
"Nos chansons sont des narrations basées plus ou moins librement sur des choses arrivées à des gens de mon entourage ou à moi-même. C’est triste? Eh bien, c’est ce que j’ai constaté… man…" Dans Paperback Bible, extrait du tout nouveau Damaged, album qui pourrait bien, tout comme Summerteeth l’a fait pour les amis de Wilco, ouvrir l’accès à un plus vaste auditoire, Wagner énumère non-stop la liste des rabais consentis au public dans un infomercial du genre Club TVA, qui, mine de rien, stigmatise toute l’Amérique, sa foi naïve, son abus de divertissements idiots et sa passion des armes, par des détours cyniques et désabusés: "I’d like to buy a good / Used paperbacked living bible / And I’ve got some things / That I’d like to put on out there / Like a pony cart and an old birdbath / I have always thought / That handguns were made for shooting people / Rather than for sport / Why not use a rifle in most other applications / There may always be / Someone looking for or finding some…"
"Bah! Peut-être que la majorité des gens ne comprennent pas grand-chose à ce que j’écris. Je l’ignore. Je réarrange tout ça de manière assez illogique… Moi-même, parfois, ça me prend des mois", dit Wagner dans d’intenses éclats de rire gras. "L’existence est comme un tableau abstrait, les choses sont si floues. On y éprouve bien quelques émotions intellectuelles sans trop savoir de quoi il est question. Je ne sais pas faire des chansons dont je pourrais prévoir la fin dès le premier couplet."
Et c’est sur ce flou que cet ancien poseur de planchers de Nashville, qui ne s’imaginait pas une minute artiste, a porté au sommet de l’estime, particulièrement chez les Européens, une demi-douzaine de disques splendides avec une bande d’amis, travailleurs manuels en dilettante dont on ne connaît pas bien le nombre: "Peut-être sommes-nous trop américains pour les Américains. Mais ne croyez-vous pas que les Européens éprouvent une fascination bizarrement exotique pour une certaine Amérique? Peut-être sont-ils plus friands de choses moins évidentes? En Europe, ils ne comprennent même pas la langue! Remarquez, nous, les Américains, on est les derniers à comprendre de quoi le reste de l’humanité parle."
Quoique né dans un coin de pays particulièrement conservateur, Wagner croit que Lambchops ne peut exister que dans le creuset moraliste mais foisonnant de Nashville, patrie planétaire du country et du folk: "C’est une ville qui a passablement changé. Au début, ces chansons ont probablement dérangé, mais personne ne nous a encore pendus aux arbres parce qu’on parlait de sexe et de choses sordides." Les Lambchops, qui n’ont pratiquement jamais mis les pieds au Canada, entament cette tournée à sept, en plus d’un quatuor à cordes, avec beaucoup d’attentes: "Il y a désormais des gens qui vivent de notre art, qui ont embarqué avec nous… Pourquoi un quatuor à cordes? Parce que nous aimons beaucoup perdre de l’argent? Quelle intéressante question. C’est un métier difficile. (rires)"
"Let’s take a walk. We’ll bring the dog. Words turn into flowers into paper into plastic cups that tie around a figure that was planted in the snow. And often is the case when you have set yourself specific goals you spazz out in mid sentence and your mind is gripped in fear. A patch of blue, a patch of dirt, a patch of prime, a patch of white, a patch through time that’s held like that because you’re bored." (Bored)
Le 23 septembre
Au National
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