Térez Montcalm : Voix de velours dans gant de fer
Musique

Térez Montcalm : Voix de velours dans gant de fer

Je retrouve Térez Montcalm attablée dans un café de Sherbooke par un midi pluvieux alors que, visiblement affamée, elle commande son dîner. Rencontre avec une femme de feu qui mord dans la vie à pleines dents et tient des propos acérés.

-Tu as du vin californien au verre ? demande-t-elle à la serveuse

-Non, je ne crois pas…

-T’as quoi ?

-On a du shiraz, on a du….

-Ok pour le shiraz.

S’il me restait quelques doutes quant à l’identité de celle qui est devant moi, ils viennent d’être dissipés. Le shiraz, un cépage puissant, racé et robuste. Aucun doute : c’est Térez Montcalm qui commande.

Elle s’excuse de manger durant l’entrevue, mais la conversation va bon train autour de Voodoo, son quatrième et plus récent album, réalisé par nul autre que Michel Cusson. Essentiellement en anglais, ce disque nous présente le versant jazz de Térez Montcalm. On retrouve sur ce disque quantité de chansons qui, lorsque reprises à la manière de l’original, cartonnent toujours. Ainsi en est-il de L.O.V.E. de Nat King Cole, ou Sweet Dreams de Eurythmics. Justement, dans le cas de cette dernière chanson, la beauté de l’interprétation tient dans les risques qu’elle prend en s’éloignant des sentiers battus, pour en livrer une interprétation bien personnelle. Même si ce disque contient majoritairement des reprises (on y retrouve même Voodoo Child, titre emblématique de Jimi Hendrix) l’une des plus belles surprises de ce disque est Growing Stronger, une composition de Montcalm.

Le saut vers le jazz s’est fait de façon toute naturelle pour la sulfureuse chanteuse et guitariste. Déjà sur son premier disque Risque, elle insérait quelques mesures du Caravan de Duke Ellington dans la chanson Mon cinéma. La tentation était déjà là : "J’ai grandi avec le jazz et j’ai toujours voulu faire un album jazz, mais en reprenant des chansons pas trop usées" et le pas s’effectue tout naturellement une douzaine d’années plus tard.

"Cet album-là, je voulais le faire depuis longtemps, mais Robert Vinet (le patron de GSI, son étiquette de disque) n’aime pas le jazz, mais il aime ma voix. Il a contacté Earl Rosen, le patron de Marquis Classics, et celui-ci a tout de suite embarqué dans le projet ", relate-t-elle a propos de ce qui l’a amené à signer avec la maison de disque torontoise. Ce disque en anglais n’est pas qu’un aléatoire botté de placement, c’est un solide pari artistique, puisque Marquis a signé avec elle un contrat de cinq albums. Le catalogue de Marquis est essentiellement composé de titres classiques et jazz. C’est ainsi qu’elle se retrouvera en compagnie de la chanteuse Molly Johnson ("La connais-tu? Elle est écoeurante!")

Quant aux fans de Térez Montcalm qui craindraient de la voir subitement s’exiler pour le Canada anglais, qu’ils se rassurent, car un nouvel album en français devrait voir le jour l’an prochain, toujours chez GSI.

N’empêche, le fait de chanter en anglais change-t-il quelque chose dans la visibilité? "J’ai déjà plus de shows avec Voodoo qu’avec mon troisième album en français. Lorsqu’on monte à Toronto, c’est pas rare qu’on entende mes chansons à la radio. Et puis la réception qu’on y reçoit est excellente. Risque, mon premier album en français, avait tourné en malade ici, mais je vais te dire pourquoi on m’entendait moins après: parce que je n’étais plus la nouveauté du jour. Au Québec, si t’es pas un gars qui fait du rock, on t’oublie vite", lâche-t-elle avec une lucidité décapante, mais sans s’apitoyer sur son sort. Et si elle se sait consciente que la chance ne lui est pas étrangère, elle insiste pour rappeler qu’elle travaille fort pour ce qui lui arrive. "Avant d’enregistrer Voodoo, Michel nous a dit d’aller jouer dans des petites places et de tester les chansons, et c’est ce que nous avons fait."

Il semble que la collaboration avec Michel Cusson se soit révélée fructueuse, puisque du matériel suffisant pour deux albums ("ou deux shows différents") a été enregistré. "C’était difficile de faire un choix, il y avait tellement de bonnes chansons; il a fallu que Michel fasse un tri", révèle-t-elle à propos des sessions d’enregistrement.

À savoir si elle serait intéressée à réaliser un album de blues, la réponse ne se fait pas attendre. "J’aime pas le blues", et si on a l’outrecuidance d’avancer qu’elle aurait la voix et que…. "Il y a plein de gens qui confondent le jazz et le blues. Je te montrerais une chart de jazz et une de blues et tu verrais que c’est pas pareil pantoute", dit-elle en nous regardant droit dans les yeux avec intensité. On n’a pas envie de la contredire. On se risque alors à la questionner sur ce qui a justifié le choix d’une chanson plutôt qu’une autre. Est-ce une question de registre? Encore là, la réponse fuse du tac au tac: "J’ai pas de problème de registre". Qu’on se le tienne pour dit.

Autant Térez Montcalm semble exigeante (l’entendre railler les journalistes et chroniqueurs qui n’ont pas écouté ses albums est un pur plaisir!), autant elle est reconnaissante envers ceux qui l’accompagnent au fil des ans. Il faut l’entendre parler avec passion de ses musiciens. Seront présents avec elle à Magog, Carl Naud à la guitare, Alain Bastien à la batterie, ainsi que François Marion à la basse.

On lui fait remarquer que cette brève absence des feux médiatiques l’a amenée à renouveler également ses musiciens, et qu’à l’exception de son bassiste, ce sont de nouveaux collaborateurs. "J’avais des super bons musiciens pour mon 3e album, mais des fois, ils sont bookés longtemps d’avance…"

On avance alors le nom de Julie Lamontagne, pianiste pour des artistes comme Bruno Pelletier, Isabelle Boulay ou Monica Freire (qui a en plus enregistré l’album Facing The Truth sous son nom sur étiquette Effendi)

À ce moment, elle dépose son panini, et s’enflamme: "C’te p’tite-là, je suis fière de dire que c’est moi qui l’ai mise sur la map! Elle est tellement bourrée de talent, et quand je joue avec elle, faut pas trop que je l’écoute, parce que des fois je pars!"

Le nom de Térez Montcalm polarise les avis comme peu dans le monde de la chanson québécoise. Au moins n’y-t-il aucun doute lorsqu’elle chante: ce phrasé, ce grain de voix inimitable, c’est bien elle. On a, semble-t-il, les défauts de ses qualités. Dans le cas de Térez Montcalm, sa puissance et son timbre vocal séparait en deux camps ses admirateurs de ses détracteurs. Avec ce plus récent disque, elle semble réussir la quadrature du cercle: non seulement ses admirateurs la suivront-ils dans cette nouvelle avenue artistique qui lui sied comme un gant, mais ses détracteurs d’alors ne pourront que dire que "elle est plus supportable qu’avant."

Et pour ceux qui douteraient encore de la capacité de Térez Montcalm à jazzer dans la cour des grands, sachez qu’elle vient d’être signée par le prestigieux label Dreyfus en France pour la distribution de son album, qui devrait être lancé de l’autre côté de l’Atlantique en début d’année prochaine, juste à temps pour les programmateurs des nombreux festivals de musique européens. Enfin, elle sera de la prochaine édition du MIDEM (Marché international de musique) tenu chaque année en janvier à Cannes. Quelqu’un douterait-il que son prochain été sera très occupé?

Le vendredi 22 septembre à 20h30
Au Vieux Clocher de Magog
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