Joanna Newsom et Vashti Bunyan : Âmes soeurs
Joanna Newsom et Vashti Bunyan viennent enchanter Montréal pour la première fois avec leur folk étrange. L’une pourrait être la mère de l’autre, mais dans la musique elles sont soeurs. Rencontre.
Mis à part les 37 années qui les éloignent, difficile de ne pas voir une parenté évidente entre les sensibilités de Vashti Bunyan et de Joanna Newsom. Toutes deux évoluent au coeur de l’éclatante scène folk déformatée qui réunit les fabuleux Devendra Banhart, Vetiver, Wild Oldham, CocoRosie et plusieurs autres. La musique de ces deux filles est d’une délicatesse infinie où chaque détail compte. Elles construisent une mythologie bien à elles, en parallèle, où elles nous invitent à entrer à pas de loup. Chaque fois on ressort de ces lieux secrets apaisé, réjoui. Comme Alice qui rentre du pays des merveilles en trottinant, le coeur léger.
Pour arriver à booker une entrevue avec Vashti et Joanna, il faut se lever de bonne heure et user de patience. Après maints efforts, nous avons réussi à attraper les deux gentes dames fuyantes. Première recommandation de l’attachée de presse de Joanna: ne pas prononcer le mot "fée": "La métaphore lui colle aux fesses depuis ses débuts et elle n’en peut plus!" Voilà qui est dit.
JOANNA
Avis à tous ceux qui avaient eu un petit coup de foudre pour The Milk-Eyed Mender (Drag City, 2004), un disque plein de lumière, tissé comme un patchwork ou une oeuvre artisanale, le nouvel opus de la harpiste (qui paraît le 14 novembre prochain) risque à coup sûr de vous embobiner une seconde fois. D’où vient son titre intrigant, Ys? "C’est en référence à une ville de la mythologie bretonne. Elle fut bâtie sur une île située plus bas que le niveau de la mer, encerclée par un barrage qui empêchait la mer de mouiller la ville. C’est une longue histoire, mais à un moment, une brèche dans le barrage laissa l’eau s’infiltrer. La ville fut inondée puis oubliée sous la mer. Voilà à quoi réfère le titre de l’album", explique l’Américaine, qui n’est pas une fée, ni une elfe, ni la petite-fille de Björk.
Beaucoup moins dépouillé que The Milk-Eyed…, on pourrait dire de Ys – un des plus beaux albums qu’on ait entendu jusqu’ici en 2006 – qu’il est ambitieux. Les cinq pièces qu’il contient sont d’une durée de huit ou neuf minutes chacune. Voix et harpes furent d’abord enregistrées par Steve Albini (Nirvana, The Pixies, PJ Harvey), qui céda le flambeau à Van Dyke Parks pour les arrangements de cordes hallucinants; tout un orchestre est ici réuni. Il y a aussi des cuivres, des flûtes, de la clarinette, du banjo, le la mandoline, toutes sortes de percussions, dont même un crâne de cheval! "Non, je ne sais pas à qui ce cheval appartenait! Ça produit un son creux, qui tremblote légèrement quand tu tapes dessus avec un bâton. On l’utilise sur la chanson Cosmia, quand je chante Why have you gone away pour laquelle je trouvais l’utilisation du crâne de cheval mort tout à fait appropriée!"
Au lieu de la traditionnelle guitare, c’est avec une harpe que Joanna Newsom compose. Encore ici, cette volonté de détruire le mythique féérique qui vient avec l’instrument: "C’est une Lyon & Healy 15, un modèle discontinué, très vieux, carrément désuet. J’économise pour m’en acheter une nouvelle." On peut d’ailleurs l’entendre jouer sur quelques morceaux du second disque de Vashti Bunyan (2005, Revolver): "Cette femme est un ange. À mes yeux elle représente la musicienne authentique, naturelle, si destinée à la musique qu’après avoir pris un break de 35 ans elle y est revenue comme si de rien n’était pour écrire des chansons d’une beauté et d’une force tellement renversantes que tout ce qu’il y a autour paraît tout pâle en comparaison."
VASHTI
Le mythe veut qu’après avoir lancé un premier album de folk éthéré, Just Another Diamond Day en 1970, la belle hippie se soit enfuie avec son prince à bord d’un carrosse attelé à un cheval jusque dans les coins les plus reculés de la campagne anglaise. C’est dans une van de tournée, sur une route cahoteuse entre Los Angeles et San Francisco que nous avons interceptée celle dont Devendra Banhart chante les louanges depuis ses débuts. "Ah oui, je lui dois beaucoup! Il a été mon plus grand défenseur jusqu’à ce jour! Joanna Newsom, Four Tet et Animal Collective ont donné à ma musique une deuxième vie et je leur suis tellement reconnaissante! Tout ce qui m’arrive est exaltant."
Il y a six ou sept ans, Vashti Bunyan, mère d’une famille nombreuse, décide d’écrire l’histoire de ses jeunes années à ses enfants qui ignorent tout de cette vie passée: "Je n’avais même pas de copie de mon disque! Je me suis acheté un ordinateur pour écrire, j’ai tapé mon nom sur google et c’est là que j’ai découvert qu’il n’était pas tombé dans l’oubli, bien au contraire! Ça m’a donné confiance et j’ai eu envie de ressortir ma guitare, confie-t-elle. Je pense que je n’en suis encore qu’au tout début. Je reprends exactement là où je m’étais arrêtée en 70. Et cette fois-ci je n’abandonnerai pas."
Vashti Bunyan
Le 4 octobre
Avec Mansfield Tya et Orillia Opry
À La Tulipe
Joanna Newsom
Le 5 octobre
Avec Under Byen et Joe Grass
À la salle Ukrainian Federation (5213, Hutchison)
À voir/écouter si vous aimez
Donovan
Nick Drake
Devendra Banhart
CocoRosie