Les Breastfeeders : Chats de ruelle
Musique

Les Breastfeeders : Chats de ruelle

Les Breastfeeders replongent dans la spirale rock infernale avec Les Matins de grands soirs. Ils hypothéqueront leur foie, détruiront leur image yé-yé et amèneront même certains à dépoussiérer leur dictionnaire. Rencontre.

L’entrevue a lieu chez Joe, bassiste des Breastfeeders, où le groupe avait rendez-vous pour discuter des Matins de grands soirs, deuxième album du combo rock explosif montréalais. Sur la porte de l’appartement qui a pignon sur la rue Saint-Vallier, une note attend le scribe: "Entre, nous sommes dans la ruelle." En traversant le 4 1/2 non sans une petite gêne, on remarque quelques livres sur la culture punk, une jolie guitare rouge et un mini-studio installé au beau milieu de la cuisine.

Les Breastfeeders se trouvent bel et bien dans la ruelle. Vêtus de leurs habits de grands soirs, les musiciens posent pour la séance photo d’un compétiteur. Avec ses murs de tôle rouillée, ses portes de clôtures cadenassées et ses bouteilles vides éclatées contre la façade d’un garage, l’environnement colle à l’image brute des Breast, sextuor garage entreprenant chaque concert comme si s’était son dernier, terminant chaque soirée dans un état d’ivresse décadent et assumé.

Autour des cinq comparses (le nouveau batteur Fred Fortin a préféré souper tranquille plutôt que de jouer les rock stars), s’agitent également deux cinéastes-documentaristes: Jorge et Sophie Guenan, tous deux de l’excellent long-métrage Dig!, présentant les groupes américains The Dandy Warhols et The Brian Jonestown Massacre. Le duo filme les Breastfeeders depuis plus d’un an à la suite d’une rencontre impromptue: récemment établi au Québec, Jorge, intrigué par l’affiche promotionnelle de la troupe, s’était rendu à un spectacle. Coup de foudre. Il a d’ailleurs suivi le groupe à Vancouver en mars dernier et lors de son concert au Spectrum pour les FrancoFolies en juin.

BRÛLE LES PLANCHES

"Ce spectacle m’inquiétait franchement car, au départ, nous devions lancer l’album au même moment, explique le chanteur et guitariste Luc Brien. En repoussant sa sortie en août (une question de coordination entre le label et le distributeur), nous perdions le momentum. J’avais donc peur qu’il n’y ait personne, d’autant plus qu’on jouait à sept heures le soir."

Pour Luc, Joe, Fred, Suzie McLelove (guitare / voix), Sunny Duval (guitare) et Johnny Maldoror (tambourin et danse animale), 19 h n’est pas une heure de concert, mais de déjeuner… D’où sans doute notre réflexe d’associer le titre, Les Matins de grands soirs, aux lendemains de veille. Un lien facile et erroné, selon Luc, qui expliquera plus tard qu’on ne peut savoir si ce titre réfère aux matins suivant les grands soirs ou à ceux qui les précèdent.

Pour revenir au concert, environ 800 personnes se sont finalement entassées dans le Spectrum, une foule suffisante pour crier victoire. C’était d’ailleurs la première fois que les Breastfeeders y rejouaient depuis que ce fou furieux de Johnny s’y était fait réprimander par les gardes de sécurité après avoir montré son sexe sur scène aux Francos de 2005. "Ils avaient voulu nous mettre dehors avant même la fin du concert, prétextant que mon geste allait causer un scandale", se souvient-il. "Le lendemain, poursuit Luc, André Ménard (grand manitou de l’équipe Spectra) nous a téléphoné pour s’excuser de la réaction de ses employés. Il m’a dit que tant que les gens paieraient cher pour voir des ballerines danser toutes nues à la Place des Arts, on pourrait voir une graine dans un show rock! De toute façon, c’est ça, les Breastfeeders, un show où tout peut arriver. Le jour où nous commencerons à faire des compromis, ce sera le jour où nous aurons abandonné le rock’n’roll."

BRÛLE LE STUDIO

Les Matins de grands soirs est né de cette énergie survoltée qui anime le groupe sur scène, une frénésie moins perceptible sur leur premier album Déjeuner sur l’herbe (2004). Plus abrasifs dans leur réalisation, des titres comme Viens avec moi et Tout va pour le mieux dans le pire des mondes laissent poindre toute la rage véhiculée par la voix de Luc, qui a gagné en efficacité à force de s’époumoner en spectacle. Même constat pour les compositions plus pop chantées par Suzie (Pas sans saveur et Funny funiculaire). Plus profondes et appuyées par la force rythmique de "Freddie Fourteen", elles décapent tout en restant accessibles, mélodiques et sucrées. Les Breastfeeders se renouvellent même au passage avec Septembre sous la pluie, une pièce psychédélique où domine une ligne de cornemuse.

Exit l’esprit rétro naïf yé-yé du dernier effort qui avait convaincu les radios indépendantes québécoises et américaines, amenant le groupe à se produire maintes fois aux États-Unis où le disque sera lancé en 2007. On perçoit toujours une propension pop sixties, mais livrée dans un esprit plus excessif. "Nous ne nous sommes jamais donné le mandat de jouer du rock rétro, soutient le chanteur-guitariste. Je compose ce genre de pièces parce que je suis fasciné par les années 60, mais je ne m’impose pas de barrières. Nous ne sommes pas des puristes qui cherchent à reproduire une époque, mais pour parler en termes sixties, disons que nous sommes passés du yé-yé à la tendance mods; tout en restant contemporains."

Sous ces tonnes de décibels se cachent de petits bijoux de textes signés majoritairement par le tandem Brien / Maldoror. En fait, depuis leur naissance au début des années 2000, la plupart des médias sont restés collés à l’image noceuse des Breastfeeders, passant sous silence la dimension plus littéraire des textes. Prenez simplement les premières lignes d’Où allez-vous si vite?: "La valse des secondes s’étiole / En tourbillon, en course folle / Il est des nuages comme une vie / Qu’on veut garder quand le ciel fuit / Et puis les pas sur le ciment / Claquent et résonnent, mais pourtant / Les trains n’arrivent jamais à l’heure / Ni l’argent, l’amour en couleur". On s’éloigne de tout ce qui se fait dans le rock au Québec. "Contrairement à plusieurs, nous n’écrivons pas nos textes pour remplir un vide sur nos musiques, remarque Johnny. C’est dur d’écrire des paroles rock en 2006. Tu ne veux pas faire la morale à personne, mais tu ne veux pas non plus te foutre des merdes qui se passent chaque jour sur Terre."

"En étudiant en littérature, j’ai appris à crypter un texte, à lui donner des clés de lecture, à amener des référentiels mettant le lecteur sur différentes pistes, lance pour sa part Luc Brien. Un jour, une fan m’a dit qu’après avoir lu les paroles de la pièce Rien à faire, elle était allée chercher la définition de "mantra" dans le dictionnaire, car j’y compare un réfrigérateur à un mantra électrique. Elle m’a dit avoir aimé l’image et que depuis, elle était portée à lire les textes d’une autre façon. C’est donc avec une chanson des Breast qu’elle a compris comment se forge une image poétique. C’est peut-être la plus belle chose que j’aie réussi à faire dans ma vie."

Le 4 octobre à 22 h
Au Café du Palais
En première partie: Xavier Caféïne
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