Charlotte Gainsbourg : Love etc.
L’actrice Charlotte Gainsbourg revient à sa passion pour la musique avec l’album 5:55, d’une beauté crépusculaire et lente. Elle y réunit une équipe parfaite, en commençant par Air.
La scène se passe dans le film Ma femme est une actrice. Charlotte Gainsbourg y rayonne, étincelle de charme, de discrétion. Elle scrute les rayons d’un magasin de disques. L’origine de sa passion musicale n’est pas difficile à trouver, avec son père Serge, le plus grand créateur de la chanson française, le plus adulé parmi les mélomanes branchés du monde entier. Et sa mère, la divine Jane Birkin, icône des écrans, chanteuse portée aux nues. Chanteuse, Jane? Pas vraiment. Comme sa fille Charlotte: des murmureuses. Elles ne chantent pas, elles susurrent tout en douceur, tout en volupté. Follement sexy.
On a rencontré Charlotte dans la suite d’un chic hôtel montréalais. Les journalistes la pressent de questions, elle répond de bonne grâce, simplement, même aux plus indiscrètes. Courageuse femme, répondre sans arrêt aux mêmes questions sur ses parents et son mari réalisateur de films. Mais ce qui importe vraiment pour elle, on le sent, c’est la qualité de son disque, 5:55, sorti il y a un mois en Europe et tout juste arrivé ici. Elle en parle comme d’un désir, presque charnel: "J’en avais vraiment envie. C’est vrai qu’Air m’a poussée, sinon j’aurais pu en discuter avec eux pendant des années avant de me lancer. Mais je n’ai eu besoin que d’un petit coup de pouce."
Le désir de refaire un album la tenaillait depuis longtemps. La chanson a toujours fait partie de sa vie. Après son disque d’adolescente Charlotte Forever en 1986, elle enregistre deux chansons thèmes de films: Love etc. en 1996 et L’un reste, l’autre part en 2005. En français dans le texte; tout comme sa reprise, en 2001, de Manu de Renaud en compagnie de Francis Cabrel et Julien Clerc; et enfin, Charlotte accompagnait Étienne Daho pour le duo If en 2003. Changement de cap cette fois-ci, pour son deuxième album personnel en vingt ans. Fini la chanson française de Daho à Renaud, les compagnons de route s’appelleront cette fois-ci Air, Jarvis Cocker, Neil Hannon (Divine Comedy). Qui lui écriront, aidés par Charlotte, des morceaux sur-mesure, en anglais s’il vous plaît, sauf une exception (Tel que tu es). La langue d’Air, internationale par excellence, a été choisie afin d’éviter les comparaisons avec son père. Elle voulait se sentir libre, et non coincée par un héritage écrasant. Pour couronner le tout, il fallait un producteur dans le vent. Ce sera Nigel Godrich (Beck, Radiohead).
"En studio, il y beaucoup beaucoup de prises. Parce que j’avais le temps. On a enregistré pendant plus d’un an. Je suis quelqu’un de très lent, et j’avais besoin de sentir une progression. J’ai eu ce sentiment-là, de progresser, de m’approprier les chansons, les textes. Tout cela n’est pas venu dès la première prise. Nigel me disait toujours qu’il y aurait LE moment magique. Quand tu sais ça, ça te fout une pression monstrueuse! Et en fait, les choses se font un peu malgré tout. C’est un travail constant."
"Mes chansons préférées, sur le disque, c’est Morning Song, pour ce que ça touche d’intime. Et Everything I cannot see, c’est la plus puissante et celle qui m’a demandé le plus d’efforts, presque physiques, mais qui était la plus gratifiante au final. C’est comme les scènes de violence où on se laisse aller: la musique, c’était plus fort que moi, il fallait que je plonge dedans", raconte celle qui joue du piano depuis toujours. "Il y a des moments où je me provoque des sensations grâce à la musique. Ça a une part très importante dans ma vie. Le classique, mais j’ai aussi du plaisir à découvrir des artistes d’aujourd’hui et d’hier, que je découvre seulement maintenant, comme Syd Barrett. En chanson française, il y a Camille, j’aime beaucoup ce qu’elle fait. Sur scène, elle est incroyable! Étienne (Daho), évidemment… Katerine, aussi. Là, je fais un film sur Bob Dylan, et je n’écoute que ça!"
Il aura fallu à Charlotte vingt ans pour mettre au monde un second album, et celui-ci risque fort de parcourir la planète, d’infiltrer tous les mélomanes branchés du globe. 5:55 a un pouvoir hypnotisant, grâce à la minutie d’Air, à la sensualité de son interprète. L’auditeur plonge avec elle dans un univers vaporeux, en suspension, une frêle atmosphère de nuit où le piano s’égrène, joué par un gant de velours. Son père chantait Aux armes etc., et voici qu’elle fredonne doucement des chansons en forme de Love etc.
Charlotte Gainsbourg
5 :55
(Because Music/Warner)
À écouter si vous aimez
Air
Jane Birkin
Portishead