Damien Robitaille : L'homme et son double
Musique

Damien Robitaille : L’homme et son double

Damien Robitaille a été comparé à tout le monde: Boris Vian, Jacques Dutronc, David Byrne, Jim Corcoran, Mara Tremblay, Gainsbourg, même à Tom Cruise! Il a judicieusement choisi L’Homme qui me ressemble comme titre de son premier album officiel. Bienvenue dans le cerveau singulier de la prochaine coqueluche de la chanson québécoise…

La dernière fois que la rumeur de l’éclosion d’un talent sur scène avait fait autant de bruit, avant même la parution d’un premier album, c’était pour Pierre Lapointe. Dans le cas de Damien Robitaille, ses six prix au Festival de la chanson de Granby en 2003 et sa victoire sans équivoque lors de la finale des Francouvertes le 21 avril 2005 ont achevé de répandre la bonne nouvelle. Celle de la naissance d’un artiste étrange et attachant, maladroit et parfois confus, qu’on imagine habité par un tourbillon de pensées et d’émotions, et qui, seul sur scène, nous renvoie le tout sous la forme d’un feu d’artifice de mots et de musiques. Partout où il passe, le jeune Franco-Ontarien d’origine provoque les mêmes résultats: des crampes dans les joues d’avoir trop souri et la très agréable impression d’avoir oxygéné notre âme et notre cerveau grâce à ses mélodies aussi irrésistibles que contagieuses.

Né à Brandford en Ontario (ville natale de Wayne Gretzky et d’Alexander Graham Bell), Damien Robitaille a grandi dans le petit village francophone de Lafontaine. Une enclave agricole isolée, en banlieue de Toronto, mais à l’esprit communautaire développé. "Disons qu’il fallait avoir pas mal d’imagination pour passer le temps et s’amuser, raconte Damien Robitaille. C’est surtout mon père qui apportait la présence francophone à la maison, mais comme il est mort quand j’avais 13 ans, et qu’à l’adolescence ça devenait moins cool de parler français, je me suis mis à utiliser davantage l’anglais. Et comme à l’école secondaire francophone, on était punis quand on se faisait prendre à parler en anglais, ça nous faisait sentir encore plus rebelles!"

Cette double culture pourrait donc expliquer pas mal de choses, autant sur la personnalité que sur le personnage de scène de Robitaille. Parce que la frontière est mince entre les deux (le Damien de la vie courante cherche autant ses mots et saute du coq à l’âne aussi facilement que celui de la scène), et on le soupçonne de n’avoir aucune pudeur à jouer de ses maladresses et de son cerveau bicéphale, où les idées semblent s’entrechoquer dans les deux langues. "Quand je suis sur scène, c’est certain que c’est exagéré, mais ce n’est pas calculé, ça me vient naturellement, se défend presque Damien Robitaille. Déjà au secondaire, j’étais le président du conseil étudiant, et une de mes tâches, c’était de faire les annonces officielles devant toute l’école, et j’étais déjà comme ça! On me disait: "Calme-toi, Damien, prends ton temps quand tu parles." Mais j’avais pas le goût de me forcer, je voulais rester moi-même… Peut-être que, si je me forçais pour mieux m’exprimer en spectacle, les gens seraient déçus et diraient: "On veut l’idiot!""

Plongé dans un milieu universitaire anglophone, Damien Robitaille sent le besoin de retrouver ses racines francophones. Encouragé par son ancien professeur de musique du secondaire, il enregistre un premier disque en français tiré à 500 exemplaires et qualifié de "pas mal quétaine" par son auteur. Il remporte ensuite le concours Ontario Pop, décroche une bourse d’études à l’École nationale de la chanson de Granby, où il avouera avoir beaucoup gagné en confiance, et, finalement, fait le grand saut en déménageant dans la métropole. Le soir de la finale des Francouvertes, il est obligé de partir tout de suite après l’annonce de sa victoire. Il devait se lever le lendemain à 4h pour aller faire le concierge au Quat’Sous, sur l’avenue des Pins: "J’ai gardé la job encore deux, trois mois, se souvient Damien Robitaille, et j’ai appelé mon meilleur ami de Lafontaine pour lui proposer de déménager à Montréal avec une job de concierge assurée… Alors, j’ai maintenant un petit morceau de Lafontaine juste en bas de la rue chez moi. On a commencé à jouer ensemble en duo, un projet country-folk qui s’appelle Les Joyeux Habitants. On a fait un seul spectacle jusqu’à maintenant."

Sur le très attendu L’Homme qui me ressemble, premier album "officiel" sur étiquette Audiogram, et qui nous récompense de très belle façon d’avoir été si patients, on retrouve un florilège de chansons toutes aussi savoureuses les unes que les autres et qui ont subi une métamorphose salutaire sur le plan des arrangements. Des chansons qui, même si elles remplissent l’auditeur de joie et de bonheur, laissent parfois entrevoir un esprit tourmenté lorsqu’on s’attarde aux textes de morceaux comme Cercles, Amnésie sélective et Dans l’horizon je vois l’aube. Sur le hit en puissance Cercles par exemple: "Je tourne en rond, je suis tellement étourdi/Sans contrôle, ma vie, c’est une anarchie/Un bateau à la mer sans gouvernail/Passager d’un train qui déraille". Qu’une énergie aussi positive émane d’un texte aussi aliénant reste un mystère que même le principal intéressé a peine à expliquer: "C’est sûr que les tourments, ça inspire l’écriture. Mais j’essaie de faire sortir le positif de chaque situation. Je suis content de vivre des moments de tristesse ou de tourments, ça accentue les beaux moments. On peut aussi sourire dans la tristesse…"

On a aussi l’impression que la meilleure façon pour Damien Robitaille de s’exprimer, d’apaiser les tourbillons qui soufflent dans son esprit, c’est lorsqu’il se tourne vers l’espace, qu’il se place au-dessus des choses, comme dans la très touchante Astronaute, mais aussi dans Mon atlas, Voyeur planétaire et Mètres de mon être. Il s’y dégage une légèreté, une certaine lucidité, voire un état d’apesanteur qui semble l’apaiser: "D’abord, je suis quelqu’un qui est très observateur, contemplatif, avoue Damien Robitaille. Et j’ai certainement été marqué par les grands espaces et l’horizon de mon enfance. Je m’échappais dans l’observation des étoiles et des planètes. Et même si je suis beaucoup moins pratiquant, il y a aussi l’aspect religieux de mon éducation qui y est sûrement pour beaucoup. Ma mère était pasteur, et j’étais enfant de choeur, je chantais à l’église. J’ai même formé un band de christian rock! Ce qui fait que j’ai toujours été fasciné par les mystères de la vie éternelle, par Dieu et par la Création en général. Ça m’a appris à être heureux dans toutes les situations de la vie et à ne pas avoir peur de la mort. On va avoir la vie éternelle après, alors on peut se permettre de s’amuser en attendant."

Damien Robitaille
L’Homme qui me ressemble
(Audiogram)
En vente le 17 octobre