Katerine : Le martyr était en rose
Musique

Katerine : Le martyr était en rose

Katerine revient par chez nous après nous avoir déstabilisés avec le très délirant Robots après tout. Mais qui est cet être humain-là à côté de nous, avec son col roulé rose et cet air ahuri? Enquête.

"Qui est cet être humain-là à côté de moi?" chante Katerine en symbiose avec le tas d’humains-mutants qui l’escorte dans la première chanson de Robots après tout, l’album rose délire lancé l’automne dernier. Principalement composé sur un groovebox, petite machine sur laquelle on pianote et on enregistre des notes et des sonorités associées aux années 80, le disque a quelque chose de déconcertant, provoque une sorte de malaise. Depuis ses débuts avec Les Mariages chinois en 1991, jamais Katerine ne s’était adressé à nous de la sorte, de façon aussi directe. On s’était habitué à suivre son personnage dans des univers déconstruits, baroques et surréalistes sur 8e Ciel (2002), autodérisoires et hallucinés sur Les Créatures (1999). On le suivait; voici qu’il vient à notre rencontre. Aussi, on est tenté de parler d’un album en rupture, mais ce serait ignorer qu’avec Katerine, la rupture est fondamentale.

MORT À LA POÉSIE

D’abord et avant tout, rupture vis-à-vis des artistes que l’on peut associer à la "nouvelle chanson française". Le Vendéen ne ressemble pas aux Cali, Bénabar, Jeanne Cherhal, Jérémie Kisling et autres Carla Bruni, issus d’une école qui, selon lui, arrive en bout de course et produit des albums qui ne correspondent plus à l’époque: "On flotte dans de vieilles eaux stagnantes. Brassens n’est jamais très loin, et ensuite t’as Brel. Ce sont des ombres qui sont un peu lourdes. Dès qu’on s’éloigne de ces quelques schémas qui ressemblent à de la poésie ou à de la littérature chantée, on se sent un peu perdu, et ça fait du bien de s’échapper. En rap, par exemple, ça existe, on s’exprime enfin différemment, on s’éloigne finalement de la littérature. En France, on a toujours l’impression qu’il faut s’approcher du bien écrit, du bien tourné, du bien envoyé… Il faut faire les choses bien, avec un peu de douleur aussi, car il en faut toujours un peu, en France (rires). Et au bout d’un moment, ça devient risible. Voilà, je trouve qu’il faut donner un grand coup de pied là-dedans. Y en a plusieurs qui essayent; c’est pas si évident."

Katerine, avec ses souliers impossibles, son caleçon stretch, ce col roulé rose poudre et cet air ahuri, le fait, lui. Et malgré l’apparent délire et des textes déconnants sur des musiques déconcertantes, il pose la question très moderne, tout à fait actuelle, du rapport de l’individu au collectif dans un monde déshumanisant: "Oui, il y a cette contradiction entre vouloir et refuser d’être dans cette société." "Le métro ferme à 1 h du mat’ / Le métro ouvre à 6 h du mat’ / Monoprix ouvre à 10 h / Monoprix ferme à 20 h / Les enfants partent à 8 h / Les enfants reviennent à 16 h / Le repas commence à 20 / On débarrasse à 20 h 30 / Je suis borderline". Quand Katerine, sur le fil, énumère les banalités du quotidien de cette voix au bord de l’affolement, qu’il répète que "tout va bien" comme pour s’en convaincre, et que l’amas d’êtres à perruques blanches qui l’accompagne murmure en choeur "borderline", il nous vient cette impression que le disque est ancré dans un univers post-catastrophique. Comme si les humains s’étaient adaptés à quelque chose d’inhumain. "Je suis parti d’un petit concept: une espèce de secte de survivants qui chantent et qui essaient de se serrer les coudes pour survivre. Donc, ce qu’on entend, ce sont des souvenirs d’une période datant d’avant la catastrophe. Je me suis demandé ce que cette secte pourrait chanter, et qu’est-ce que son gourou, en l’occurrence Philippe Katerine, très modestement, pourrait chanter."

REGARDER DANSER LES GENS

Malgré un clin d’oeil à Human After All de Daft Punk (un autre disque déconcertant et robotique, avec ses boucles hypnotiques), c’est lors d’un spectacle de la chorégraphe française Mathilde Monnier que l’idée du disque est née. "Je ne connaissais pas du tout la danse contemporaine. J’ai constaté lors de ce spectacle qu’un danseur pouvait faire un geste, qui amenait l’autre danseur à faire un geste et ainsi de suite, un peu comme dans un mécanisme d’horlogerie. Ça m’a vraiment frappé, j’ai élaboré des chansons d’après ce que j’y ai vu, et aussi cette histoire de survivants dont j’aime parler." Katerine planche d’ailleurs sur un spectacle de danse contemporaine, à partir des chansons du disque.

Réalisé par Renaud Letang et Gonzales, Robots après tout est un disque qui passe par le corps. Quand il n’est pas occupé à se sauver de ses organes qui le suivent partout ("Et patati et patata, parfois j’en ai ras le bol de moi", chante-t-il) ou à s’excuser très poliment d’avoir éjaculé dans les cheveux de sa douce moitié, il se transforme en détestable D.J. au Louxor, jouant avec les nerfs des danseurs pour ensuite être martyrisé à son tour. "Il finira encerclé, pendu la tête en bas. C’est l’oppression. Pouvoir danser là-dessus, c’est formidable."

Le personnage que Katerine met de l’avant nous apparaît comme un humain décalé, un peu dépassé par le monde dans lequel il doit vivre, un fou à la fois banal et extraordinaire, un poil parano, assez dérangeant pour les autres (rappelez-vous Je vous emmerde, sur Les Créatures), qui met les gens mal à l’aise et les exaspère de temps en temps. "Je dois dire que je suis assez attiré par les images de martyrs. Saint Sébastien est un personnage qui me plaît beaucoup. Je constate que revient souvent, dans mes chansons, l’idée d’un homme martyrisé par plusieurs autres. Je me sens bien dans ce rôle de saint Sébastien criblé de flèches. Il y a une image très érotique là, déjà. Et c’est dans cette peau-là que je me sens la plupart du temps."

Personnage ou alter ego? Il vient un moment où la question surgit. "J’ai l’impression que c’est assez éloigné de moi, mais tous mes amis me disent qu’il n’y a aucune différence entre ce personnage et la personne que je suis. À qui je peux faire confiance… Je ne sais qui croire", dit-il, moqueur.

Un disque qui passe par le corps, disions-nous, parce que l’on peut danser sur quelques titres (Au Louxor, V.I.P., Excuse-moi, Qu’est-ce qu’il a dit, Après moi). Katerine aussi s’en réjouit: "J’ai toujours adoré danser, dans des boîtes de nuit, entre autres. J’ai même reçu un prix un soir. J’étais particulièrement en forme et ils élisaient le meilleur danseur funky de la soirée. C’est moi qui ai gagné le prix! J’ai eu un gros nounours. J’étais bien emmerdé avec mon nounours; toute la soirée, je l’ai promené, c’était très débile. Je danse aussi le matin, nu, chez moi, dans mon salon pendant des heures, je n’ai pas forcément besoin de sortir. Pour pouvoir le faire sur scène, il fallait trouver des chansons adéquates. Et ça me plaît, cette idée de pouvoir danser sur des chansons qui distillent un sentiment de malaise, d’oppression et de paranoïa. C’est un luxe qu’il faut savoir se payer de temps en temps."

Un luxe, voire une audace, que Katerine s’est offert en allant jusqu’à demander à Gonzales (ces deux-là ont quelque chose en commun, manifestement, un mélange d’humour et d’intelligence au 8e degré, il faut les entendre disserter sur le recours au conditionnel passé première forme dans Marine Le Pen) des musiques qui provoquent une réaction de dégoût, de malaise. "Pas dans toutes les chansons, mais des fois je voulais que ce soit dissonant ou désaccordé, comme dans Marine Le Pen, qui est une chanson assez laide, tout y est pénible. Je voulais qu’il appuie un petit peu sur ce malaise-là. Moi j’aime bien l’idée de faire des chansons horribles, qui soient ingrates, plutôt que forcément jolies. Sur ce disque, par moments on va dans le joli, et parfois dans le répugnant."

Le 9 novembre à 20h
À l’Impérial de Québec
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