Richard Desjardins : Auprès de mon arbre
Richard Desjardins revient présenter à Montréal son spectacle Kanasuta pour une des dernières fois avant de retourner auprès de son arbre composer ses futurs classiques.
Difficile d’interroger Richard Desjardins, notre poète et chanteur national, celui qui a remplacé Gilles Vigneault. Il voudrait sans doute causer forêts, dévastation de nos richesses naturelles, et nous, on préférerait jaser musique, chanson, composition. On aime le papier sur lequel il écrit son oeuvre poétique, le bois de l’arbre avec lequel sa guitare a été forgée. Desjardins est riche d’une conscience aiguë des choses. Il a bien raison de défendre la forêt, c’est son matériau de travail. Du bois et du papier, Richard en respire, en tâte au quotidien. Et nous, mélomanes francophones, on se délecte de son chant depuis une quinzaine d’années et l’avènement du CD. Tu m’aimes-tu? demandait-il en 1990. Oui, on l’aimait, par milliers. Le bon gars, coloré, baveux et un peu poète, c’était lui. Ce l’est toujours.
AUCUN CHANTEUR N’EST UNE ÎLE
Mais l’artiste Desjardins ne s’est pas fait tout seul. Une dame en Abitibi lui a appris le piano, il en garde un souvenir ému. Et l’artiste ne se fait pas prier non plus pour évoquer sa rencontre avec un homme important dans sa vie, le poète Michel X. Côté qui a signé quelques textes depuis Les Derniers Humains (1988) jusqu’à Kanasuta (2003): Les Flèches rouges; Le coeur est un oiseau; Signe distinctif; Quand ton corps touche; Le Saumon; etc.: "Je suis allé à l’école avec Michel. On s’est connus à 12 ans. Dans le temps, c’était un gars un peu spécial, il n’y en avait pas beaucoup comme lui à Rouyn. Un peu beatnik. Il lisait de la poésie, il m’a un peu initié à cet univers-là. À 18 ou 20 ans, quand on a eu fini l’école, presque tout le monde s’est en venu à Montréal. Pendant des années, Michel a travaillé dans des shops à paqueter des boîtes de carton. Il écrivait et peignait aussi, mais juste pour lui. Il ne voulait rien savoir de publier ça. Il disait qu’il ne voulait pas passer pour un prof de cégep! J’ai finalement réussi à le convaincre de sortir des recueils de poésie. C’est un gars qui a une écriture très puissante", raconte le chanteur dans un resto du Plateau, entre deux bouchées et une pause cigarette dehors.
De son ami et collaborateur, Desjardins dit aussi: "Quand on se met sur une job, lui et moi, on la finit. On continue à travailler ensemble, mais tu ne le pousses pas… Chaque année, il m’envoie un poème. La plupart du temps, j’en fais une chanson ou un monologue. Il a aussi été chanté par d’autres, il commence à aimer ça!" En effet, on retrouve la signature de Michel X. Côté, entre autres, sur le dernier Michel Faubert. Richard précise: "C’est moi qui l’ai inscrit à la SOCAN, il ne voulait pas. Je l’ai persuadé, les quelques piastres en droits d’auteur, c’était à lui." Quant à son autre poète collaborateur, Patrice Desbiens, Desjardins raconte simplement: "Desbiens, tu ne lui commandes rien. Il n’est pas là-dedans, il écrit surtout pour lui. Tout ce que j’ai interprété de lui, c’était déjà publié. Je n’oserais jamais lui demander un texte."
Desjardins entretient un long rapport amoureux avec la poésie. À 16 ans, il étudiait à l’école le poète du quinzième siècle François Villon (la Ballade des pendus). Des décennies plus tard, il écrira un poème à la manière de Villon: Lomer, une de ses chansons les plus fortes. Il la gravera sur Boom Boom en 1998: "Dans mon show solo, dans les années 90, je commençais avec ce texte, que je récitais les yeux bandés. J’ai mis de la musique plusieurs années plus tard."
Lomer a le souffle épique, la fulgurance d’une autre de ses oeuvres marquantes, Les Yankees. Celle-ci a été reprise récemment par le jeune auteur-compositeur-interprète Murphee qui en donne une relecture très émouvante. Avis aux intéressés, ce ne sont pas tous les amateurs de Desjardins qui reprennent la sempiternelle Quand j’aime une fois, j’aime pour toujours. Yann Perreau revisite superbement aussi On m’a oublié.
LES DERNIERS HUMAINS, ALBUM FONDATEUR
Un peu à la manière de Plume Latraverse, le répertoire de Desjardins oscille entre les chansons populaires (Le Bon Gars) et les oeuvres plus difficiles d’approche, que la beauté des musiques rend plus accessibles. Une démarcation voulue par le chanteur dès le début de sa carrière solo: "Les Derniers Humains était plus philosophique, je dirais. À cette époque-là, la plupart des chansons de Tu m’aimes-tu étaient déjà faites, mais je ne les ai pas mises sur Les Derniers Humains. J’ai choisi les textes assez longs, très politiques, des sagas. Je revenais de passer une année chez les Inuits, ça paraît un peu. Je me suis dit que j’allais faire des textes longs, comme je les aime souvent, pour me donner la possibilité de toujours revenir à ce format-là quand j’allais le vouloir. Je ne voulais pas commencer avec Le Bon Gars, tu sais… et que les gens attendent juste ça."
Le disque Les Derniers Humains n’est pas seulement le coup d’envoi d’une grande carrière dans la chanson francophone, des deux côtés de l’Atlantique. Il figure également comme l’un des albums essentiels de Desjardins, un coup de maître, une pierre fondatrice. Le chanteur a même profité du succès populaire de Tu m’aimes-tu pour retourner en studio réenregistrer en 1992 Les Derniers Humains, la version de 1988 ne le satisfaisant pas: "Techniquement, ce n’est pas ce qui a été fait de mieux. On l’avait enregistré la nuit avec peu de complicité avec les techniciens. C’était à petit budget. Je n’étais pas satisfait. Les CD n’existaient pas en 1988. D’ailleurs, Les Derniers Humains a été le dernier vinyle fabriqué au Canada. Ils ont fermé le "plant" tout de suite après!" dit-il en riant.
Aujourd’hui, Richard Desjardins prépare ce qui sera probablement la dernière représentation du spectacle Kanasuta à Montréal. Il envisage une tournée en Amérique du Sud, avec ses chansons traduites en espagnol. Il compte retourner à la formule solo guitare/voix, le temps de quelques représentations. Et il compose, toujours, des musiques pour l’instant sans paroles qui donneront peut-être un premier disque instrumental: "Juste piano. J’ai ben du fun en ce moment à faire ça. Comme des nocturnes. J’ai beaucoup écouté Chopin, Gabriel Fauré."
Georges Brassens chantait: "Auprès de mon arbre / Je vivais heureux / J’aurais jamais dû m’éloigner / De mon arbre". Il ne quittait son arbre que pour monter sur des planches en bois et pousser des couplets que le public, religieusement, écoutait, célébration anarchiste et poétique. Idem pour Desjardins, qui triture sa guitare et son piano pour en extraire des chants beaux comme des forêts, solides comme des arbres. Vivons heureux.
Le 4 novembre
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RÉÉDITION DU PREMIER VINYLE D’ABBITTIBBI?
Tous les amateurs de Desjardins aimeraient pouvoir remonter aux sources de l’oeuvre et écouter le premier album qu’il a sorti avec son groupe Abbittibbi: l’introuvable Boom Town Café en 1981. Une réédition n’est pas impossible: "On n’a jamais eu les bandes maîtresses, elles sont disparues avec les productrices. Mais on regarde ça pour le rééditer. La technique permet de se passer des bandes maîtresses. À partir d’un bon vinyle, tu peux arriver à faire quelque chose de mieux que le disque original, qui avait un son épouvantable. Les hausses et basses fréquences avaient été coupées parce que les productrices voulaient nous faire tourner sur le AM. Ils ont écrasé le son." On croise les doigts pour qu’un CD en témoigne bientôt.