Brigitte Fontaine : Désir égale danger
Brigitte Fontaine, immense artiste de la chanson française, se fend de Libido, un disque qui allume parfois l’auditeur par l’envoûtement, la démesure et le livret bédéesque.
Elle a mauvaise réputation, Brigitte Fontaine. Les médias la disent folle, alors que son public – grandissant de manière exponentielle depuis 15 ans – préfère l’adjectif "extravagante". Le cercle des fans la vénère, les journalistes s’en méfient. La dame serait ingérable en entrevue: elle peut quitter en plein milieu de l’entretien sans prévenir ou envoyer promener son interlocuteur: "Ah non, j’ai répondu à ça toute la journée, j’en ai marre. Question suivante", nous décrète-t-elle au bout du fil. Et nous qui cherchions à comprendre la réponse obscure qu’elle venait de balancer. En fait, plutôt que de la qualifier d’emmerdeuse, on préférera penser qu’elle n’a pas sa place dans la promo. Elle n’y est visiblement pas à l’aise. Malgré son âge avancé, Brigitte Fontaine ressemble à une petite fille qui a le coeur à jouer, à s’amuser et que l’on oblige à aller à confesse. Pourquoi ne pas simplement l’écouter chanter?
La dame a déjà une belle carrière derrière elle. Elle débute au milieu des années 60 chez Jacques Canetti, puis à partir de 1968 elle enregistre chez Saravah une série de disques fabuleux qui l’installe comme un des artistes les plus importants de la scène underground française, aux côtés de Jacques Higelin et Pierre Barouh. Pendant 20 ans, elle sera la plus inventive, la plus prodigieuse des marginales. Puis les années 80 sont une traversée du désert, personne ne veut d’elle. L’ère hippie qu’elle représentait n’a plus cours. Elle revient en force en 1995 (Genre humain) grâce au soutien d’Étienne Daho.
Son style a considérablement changé: elle a troqué ses chansons complexes, longues et souvent sans refrain contre une forme plus populaire. On peut maintenant la chanter sans problème: "J’aime le vers classique, même si le contenu ne l’est guère. Avant, j’écrivais en vers libres ou en prose." Le succès de la nouvelle Fontaine a été foudroyant depuis Genre humain. Pour Libido, elle profite des ressources d’une grosse maison de disques (Universal): "J’y suis aux anges. Ils sont tous formidables. J’ai toute la liberté que j’avais chez Saravah, mais en plus, j’ai les moyens." On la voit à la télé, l’entend à la radio. La marge, c’était une autre époque.
Libido tourne autour du thème de l’érotisme, dans sa déclinaison tantôt primaire, tantôt raffinée. Fontaine oscille entre la petite fille qui adore sortir des gros mots et la grande poétesse douée pour la métaphore marine, sensuelle. Naturellement, le mélange détonne et n’est pas toujours heureux. On navigue entre le grandiose (Château intérieur), le vulgaire (Cul béni), le somptueux (Mendelssohn) et l’insignifiant (Mister Mistère, avec le chanteur M). Néanmoins, Libido est supérieur au disque précédent, l’exécrable Rue Saint-Louis en l’île (2004): "Aimez-vous Libido? C’est mon préféré avec Comme à la radio", déclare-t-elle pendant qu’on s’étouffe. Comparer son dernier-né avec le chef-d’oeuvre absolu qu’est Comme à la radio (voir encadré)? Tout compte fait, Brigitte comprend peut-être mieux qu’on ne le pensait le jeu de la promo. Se vendre avant tout.
Ce qui allume dans Libido, outre une maigre poignée de chansons, c’est la joliesse du livret illustré à la manière d’une bédé, qui donne un aspect ludique à Brigitte Fontaine. Avec elle, on revient toujours au jeu, à la fantaisie, à la liberté créatrice qu’elle s’octroie. On appréciera aussi le clin d’oeil à Gainsbourg dans Mendelssohn et la présence de Jean-Claude Vannier qui réalise le morceau en s’inspirant d’Histoire de Melody Nelson. Ce même Vannier qui, en 1968, signait les arrangements du premier opus chez Saravah de Brigitte. Une autre époque, parfois regrettée.
Brigitte Fontaine
Libido
Universal
Sortie: 28 novembre
À écouter si vous aimez
M
Diane Dufresne
Pierre Lapointe
QUATRE ALBUMS ESSENTIELS DE BRIGITTE FONTAINE
Comme à la radio (1969). La jeune chanteuse s’allie avec le groupe de free jazz Art Ensemble of Chicago. La poésie singulière, subversive, mêlée au lyrisme sidérant de la musique. Son premier chef-d’oeuvre.
Je ne connais pas cet homme (1973). Pour son cinquième album, Fontaine fait équipe avec son futur mari, Areski, aux percussions. L’extravagance de l’une, les rythmes arabisants et envoûtants de l’autre: la perfection. Contient le classique et hilarant C’est normal.
Les Palaces (1997). Un duo avec Bashung (City), une Symphonie pastorale qui a jeté Pierre Lapointe sur le cul, une collection de suaves perles.
Kekeland (2001). Des invités très spéciaux (Sonic Youth, M, Noir Désir), une inspiration poétique de haut niveau, des mélodies inoubliables. Second chef-d’oeuvre.