Dumas : Temps fort
Musique

Dumas : Temps fort

Dumas se raffine avec l’âge, ses chansons aussi. On savait déjà son talent à composer des textes simples, beaux, et à les coucher sur des musiques somptueuses. Le voilà maintenant qui injecte à ce mariage couronné de succès une dose massive de pop qui fait boum. Wow!

Il y a un Dumas lumineux, explosif, prolixe, fébrile et souriant. Une bête de scène qui fait fondre le coeur des filles, qui malmène sa guitare. Il y a aussi un Dumas calme, réfléchi, posé, presque ténébreux. Celui-là triture ses bobos, explore le chaos de nos vies. Grave, il interroge nos désordres amoureux.

"Finalement, je suis quelqu’un d’assez mélancolique", laisse-t-il tomber, affalé dans un large divan de cuir rouge. "Mais j’aime aussi faire danser les gens", oppose-t-il la seconde suivante, son visage se fendant de ce sourire gamin qu’on lui connaît.

Miroir de cette personnalité composée d’un savant dosage d’ombres et de lumière, d’énergie brute et de force tranquille, le troisième et nouvel album de Dumas, Fixer le temps, est lui aussi une somme d’expériences et d’humeurs qui renvoie à la sagesse.

Sans surprise, on y renoue avec d’aériennes et intoxicantes ballades enfumées à la manière du très populaire album précédent, Le Cours des jours. Mais une tournée en groupe, 130 spectacles en solo, un mini-album (Ferme la radio) et la BO du film Les Aimants plus tard, se greffent à ces vapeurs d’éther musical des guitares fiévreuses et des incantations pop dont les mélodies, délicieusement teigneuses, restent fixées au cortex pour de bon. Autant de refrains, carrément contagieux, qu’on se surprend à fredonner après seulement quelques écoutes.

"Les mélodies, explique un Dumas visiblement content de la remarque, ce sont vraiment les shows en solo qui m’ont amené là. Le fait de jouer tout seul, de looper [échantillonner] ma voix, ça m’a en quelque sorte décomplexé, alors quand je me suis mis à l’écriture, j’ai beaucoup exploré ce côté-là. (…) Aussi, le côté aérien du Cours des jours, je voulais le reproduire, mais plus avec les voix cette fois, en faisant beaucoup de pistes vocales superposées."

Et si Le Cours des jours était un projet de studio où "l’interprétation des chansons a pas mal changé lors du passage à la scène", tel que le raconte Dumas, Fixer le temps, lui, tente de se rapprocher de cette puissance en évitant d’évacuer le versant plus intimiste d’un type de chansons qui a trouvé sa place dans le coeur de milliers de mélomanes.

En ce sens, la pièce d’ouverture intitulée Nébuleuse fait le pont entre les deux albums. Un clavier y cède rapidement le plancher au profit des guitares, d’une batterie entêtée qui marque un rythme tranchant sur lequel les voix du premier couplet se posent avec légèreté, jusqu’au refrain parfaitement alcalin qui équilibre le pH d’une chanson au texte amer.

Puis, tout au fil de l’album, les guitares prennent du volume, la cadence accélère, tandis que les mélodies s’affinent pour former un recueil de pop intelligente, sensible, un peu plus rock qu’atmosphérique.

"En écrivant les chansons, je pensais au groupe, confie Dumas. Je voulais retrouver l’énergie du groupe que je n’avais pas sur le dernier disque. Et quand je suis entré en studio, je voulais faire ça comme dans le temps, avec des rubans, sans ordinateur. Ça donne une certaine urgence à ce que tu fais parce que ça coûte très cher, et aussi tu ne peux pas faire un nombre de pistes illimité, comme avec l’ordinateur. Il faut que tu décides tout de suite après l’enregistrement si t’as la bonne prise ou non parce que, sinon, faut l’effacer et recommencer."

LE CRI DU SABLIER

Non seulement la notion de temps est omniprésente dans les textes de ce nouvel essai, mais elle a aussi infecté sa conception jusque dans ses paramètres techniques, tel qu’il l’exprime dans le choix de cette contrainte qu’est l’enregistrement "à l’ancienne", sur bobines.

"Cet album, c’est une prise de conscience", expose Dumas, pensif. "J’ai vécu des deuils, et les deuils, ça te fait réaliser que tu n’es pas éternel, qu’il y a des rendez-vous manqués dans la vie."

Le temps, donc. Celui qui fuit, qui manque, qui court, qui parfois s’étire. Et cette vie sur laquelle on a trop rarement prise.

Comme décor à ce théâtre de la petite cruauté humaine, Dumas a plaqué des images fortes, surtout des lieux de transit où le temps s’arrête: "J’aime les concepts, alors je suis parti avec des idées d’endroits communs: des aéroports, des trains, des taxis, des chambres d’hôtel et la ville. La ville est très présente dans l’album. Je crois que ça m’est venu du film Lost in Translation, où la ville est presque un personnage. J’ai fini la tournée en mai à Paris et, après, je suis allé à Berlin, qui m’a beaucoup influencé, touché. La Ville s’éveille, j’ai écrit ce texte là-bas."

"Les néons s’éteignent sur les boulevards/Une radio chuchote California/Et toi assoupie au creux de mes bras/Es-tu la solution/Ou une autre histoire sans écho/La ville s’éveille/Et moi je monte à l’arrière des taxis/Les traits tirés/Ma ville s’endort."

LES SAUVEURS

Puisque Fixer le temps s’avère un condensé de ce que Dumas a fait de mieux à ce jour, empruntant au son du Cours des jours (certifié disque d’or), à l’inventivité de ses spectacles (Félix du meilleur spectacle pour un auteur-compositeur-interprète en 2005) et aux refrains pop bonbon de la bande sonore des Aimants (produite en collaboration avec Carl Bastien, qui signait la réalisation du Cours des jours et cosigne celle de Fixer le temps avec Louis Legault), gageons que le natif de Victoriaville vient de renouveler son bail au firmament de ce que les médias avides d’étiquettes aiment appeler "les sauveurs du rock québécois".

En entendant la remarque, Dumas éclate de rire.

"Il n’y a jamais rien d’acquis dans ce métier-là. J’ai été surpris par le succès du Cours des jours, je ne pensais pas en vendre autant. Mais [en ce qui concerne cette étiquette de sauveur de la musique québécoise], faut en prendre et en laisser. On est dans une période où on crie au chef-d’oeuvre une fois par semaine."

Conséquence de son succès, c’est un autre phénomène qui fascine plus particulièrement Dumas: le rapprochement avec les individus que permet la musique, ce petit miracle de l’intime qui devient, au contact de l’autre, universel: "C’est ce qui a de merveilleux avec ce médium-là, s’exclame celui qui, à la sortie de son premier album, hésitait encore entre chanson et littérature. Tu reçois des courriels de personnes qui racontent qu’elles écoutaient Le Cours des jours à tel ou tel moment, pendant un voyage par exemple… Et au départ, ce sont des chansons que t’as écrites tout seul, dans ton appartement, pour toi. Avec la musique, tu entres dans la vie des gens. C’est vraiment la plus belle récompense."

ooo

LA PRESSION

Après le passage de Dumas à l’émission Tout le monde en parle dans le cadre de la tournée promo du film Les Aimants d’Yves P. Pelletier, les ventes de son second album, Le Cours des jours, ont littéralement explosé, permettant au disque de passer du statut de succès critique, et donc d’estime, à celui, aussi rare qu’enviable, de succès populaire.

Ajoutez à cela les Félix remportés au gala de l’ADISQ et les courriels de nombreux fans affirmant qu’ils se passent le disque en boucle et vous obtenez le degré de pression nécessaire pour faire exploser la cocotte de l’artiste qui cherche à se surpasser. Ce qu’on appelle généralement le "syndrome du second album", Dumas l’a vécu avec son troisième. "Pour moi, c’est un peu mon deuxième disque, explique-t-il, parce que le premier, c’est vrai, partait un peu dans tous les sens. Je ne savais pas encore où je voulais aller. Mon son, je l’ai véritablement trouvé avec Le Cours des jours."

"Je te mentirais si je te disais que ce succès ne m’a pas mis de pression. Sauf que tu ne peux pas écrire une chanson en te disant: tiens, ça va toucher les gens, ça va jouer à la radio, je vais vendre plein d’albums. Tu fais une erreur si tu fais ça. J’ai pris cette pression-là en me disant que la meilleure chose à faire pour contrer ça, c’était de travailler. J’ai écrit beaucoup de chansons, peut-être 25 pour les 12 qui ont abouti sur l’album. Et j’ai fait beaucoup de réécriture aussi. J’allais au mieux de ce que je pouvais faire. J’ai travaillé avec l’équipe que je voulais… Ce stress, je l’ai géré comme ça."

Dumas
Fixer le temps
(Tacca)

Du 28 au 31 décembre
Au National
Voir calendrier Rock/Pop